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Économie - Énergie

Le nucléaire est-il la solution à la neutralité carbone ?

LUDOVIC MARIN / AFP
LUDOVIC MARIN / AFP

La centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux est photographiée derrière un champ de blé le 12 juin 2017 à Saint-Laurent-Nouan, près d'Orléans. (Photo de LUDOVIC MARIN / AFP)

 

L’énergie nucléaire est un sujet fort conflictuel et controversé. Essayons d’y voir plus clair. L’argument phare aujourd'hui des défenseurs du nucléaire, c'est son avantage en termes de neutralité carbone. Le nucléaire serait l'énergie la « moins émettrice », à équivalent ou mieux disant encore, que le solaire ou l'éolien. Est-ce pour autant la solution - avec un S majuscule ou pas d'ailleurs - à la neutralité carbone ou est-ce un problème ? 

Pour répondre à cette question, il faut d'abord parler de la question, aujourd'hui très importante, du classement dans le cadre de la taxonomie européenne du nucléaire comme investissement durable. On sait que la France s’est beaucoup battue pour faire entrer le nucléaire dans la taxonomie européenne, mais elle s’est heurtée à une très forte opposition parce que si le nucléaire est effectivement peu émetteur de gaz à effet de serre et donc coche la bonne case sur les six catégories de la taxonomie européenne qui permettent effectivement d'être qualifié d'investissement durable, c'est-à-dire de lutter contre le réchauffement climatique, il ne coche en revanche pas les autres cases. Or, on sait que dans la taxonomie européenne, pour être durable, il faut non seulement être bon dans une des six catégories, mais ne pas être mauvais dans les autres. Or, le nucléaire pose des problèmes qui concernent la biodiversité et la pollution de l'air. 

Le nucléaire est un élément extrêmement important aujourd'hui. Pour moi, le nucléaire est une fausse solution, mais c'est un vrai problème. Pourquoi est-ce une fausse solution ?  Parce que le nucléaire n'émet pas ou peu de gaz à effet de serre, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en émet pas du tout, mais il n’y a aucune forme d'énergie qui n'en émette pas du tout. Donc, il ne faut pas non plus dire des choses qui sont fausses. C'est une solution bas carbone indéniable, et du reste, ce n'est pas pour rien que la France se base sur le plan de relance pour essayer de confondre technologies vertes et technologies bas carbone. Or, il faut savoir que ce n’est pas la même chose. 

Pourquoi c'est une fausse bonne solution ? D'abord, il faut revenir aux réalités statistiques. Le nucléaire ne représente qu'une très faible part de la production énergétique mondiale : 10 % de la production d'électricité, 4,3 % de l'énergie produite dans le monde. Et c'est une part qui décroît alors qu'entre 2010 et 2020, le total de l'énergie primaire a augmenté de 10 %. La part du nucléaire a baissé de 2,5 %. Et même en France qui, comme on le sait, est un des grands pays nucléarisés par tête d'habitant et par kilomètre carré, nous sommes les plus nucléarisés du monde, cette part a baissé : nous sommes en effet un peu en dessous de 70 % actuellement. Est-ce qu'il est donc raisonnable d'investir dans une forme d'énergie qui est très coûteuse sur le plan financier pour une énergie qui finalement reste marginale dans le mix énergétique planétaire ? 

La question se pose d'autant plus que dans l'Union européenne, à l'exclusion des pays de l'Europe de l'Est qui ont des vieilles centrales nucléaires qui posent un certain nombre de problèmes, autour de nous, nos voisins ont opté pour une solution dénucléarisée. Les seuls qui étaient nucléarisés, c'étaient les Anglais, mais ils n'appartiennent plus à l'Union européenne. Ces décisions concernant la sortie du nucléaire entraînent des conséquences non négligeables parce qu’elles nous obligent notamment à nous éloigner de l'Allemagne, qui a un modèle complètement différent du nôtre, et à nous associer à des pays comme la Pologne qui, sur le plan énergétique, ne sont pas forcément très fréquentables. 

Deuxièmement, l’adaptation au dérèglement climatique impose une décentralisation énergétique. L'autoconsommation collective est évidemment quelque chose qui va massivement se développer parce que c'est du win win win. Il est très clair que l'avenir est effectivement à la décentralisation énergétique. 

Enfin, l'inadaptation du modèle nucléaire au regard du dérèglement climatique renforce la fragilité énergétique de la France. Pour ce qu'on appelle les centrales humides, c'est-à-dire celles qui sont au bord de l'eau, elles sont confrontées à une difficulté majeure qui est l'insuffisance de l'eau. Pendant les périodes estivales, cette insuffisance de l'eau peut rendre problématique, voire impossible, le refroidissement des centrales. Elle contraint les préfets, pratiquement chaque année, à autoriser des dérogations aux limites de températures autorisées pour les rejets d'eau, ce qui - évidemment - a des conséquences non négligeables pour la biodiversité. 

Quant aux centrales au bord de mer, elles sont exposées, bien entendu, aux risques climatiques et aux phénomènes extrêmes. Tout le monde se souvient de l’inondation de la centrale nucléaire du Blayais en 1999. C'est pour cette raison que le nucléaire est une fausse solution, mais c'est un vrai problème. 

Pourquoi est-ce un vrai problème ? Parce qu’en France le nucléaire a été, malheureusement, un découragement massif au développement des énergies renouvelables. La France a accumulé un retard abyssal. Résultat en 2020, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de la France s'élevait à 19,1 %. La France aurait dû atteindre en 2020 l'objectif de 23 %. 

La France est le troisième plus mauvais élève de l'Europe en termes d'atteinte des objectifs nationaux en matière d'énergies renouvelables. Les projections de 2030 sont très ambitieuses, mais on peut se demander comment on va les atteindre au rythme actuel. Pour rappel, aujourd'hui, il s’agit de 33 %, qu'avec le nouvel objectif fixé par l'Union européenne, cet objectif va probablement grimper encore. La question est de savoir comment nous allons avoir la capacité d'atteindre cet objectif avec les investissements qui restent encore trop modestes en matière d'énergies renouvelables. 

Le découragement des énergies renouvelables et le retard que la France a accumulé, c’est un vrai sujet. Parce que la France a beaucoup de mal à avoir une filière puissante dans le domaine des énergies renouvelables, même s'il y a des chefs d'entreprise qui font des choses tout à fait remarquables dans ce domaine. C’est un travail extrêmement difficile. Pendant des années, les entreprises spécialisées en énergies renouvelables évitaient la France. Paradoxalement, l’entreprise française EDF Énergies Renouvelables a réalisé des projets formidables partout dans le monde, sauf en France !

Le deuxième problème massif est le découragement d'une véritable politique de sobriété énergétique. Il est clair que la France n’en sort pas si elle ne mêle pas à la fois énergies renouvelables et sobriété énergétique. Or, la France a une vraie faiblesse en matière de politique d'économie d'énergie. On peut saluer effectivement les investissements qui vont être faits maintenant dans le domaine de la rénovation énergétique. Il est clair, cependant, que toute la politique menée pendant des années pour encourager les Français à aller vers le chauffage électrique a été une manière d'encourager une consommation massive d'électricité alors qu’il fallait essayer de la baisser. Et aujourd'hui, il existe effectivement des projections d'augmentation de la consommation d'électricité. On verra ce que donnera l'avenir, pour le moment, elles ne sont pas confirmées dans les chiffres. Pour rappel, la France a des objectifs de baisse massive de la consommation énergétique, ce qui signifie qu’il sera difficile de les atteindre en continuant à encourager les gens à développer l'électricité. 

Le troisième point est le coût pharaonique du nucléaire qui empêche d'investir massivement dans un réel changement du mix énergétique. Beaucoup pensent que la Programmation pluriannuelle de l'énergie qui a été adoptée ne se réalisera jamais parce qu'elle parie sur une augmentation massive de la consommation liée à la demande intérieure, mais surtout à l'exportation. Or, nos voisins fournissent des efforts considérables pour réduire leur consommation énergétique. Donc la France va investir massivement. Pourquoi ? Une falaise financière, mais elle est tout à fait claire. Il a été rappelé que la France devait mettre ses centrales en ordre de bataille. Ce n’est pas un sujet nouveau. On en parle depuis des années. Pour le moment, les travaux engagés sont encore extrêmement modestes et bien entendu, il va bien falloir s'y coller. Et est-ce qu'EDF aura la capacité de s'y coller ?  Le projet, qui avait été engagé au niveau européen, n'a pas marché. 

Le deuxième point, c'est l'absence de perspectives de l'EPR en France et à l'étranger. Le troisième point, c'est le manque de perspectives avec la disparition du programme Astrid[1] et une quatrième génération qui aurait été une réplique de Superphénix. Et enfin, la poussière sous le tapis, en ce qui concerne les déchets et le démantèlement. Tout ceci pour dire que c'est tout à fait normal que le nucléaire se défende. Il est clair que si c'est une énergie qui nous a rendu des services au 20e siècle, ce n'est pas du tout une énergie compatible avec les exigences du 21e.

Personne de sensé n'a demandé qu'on ferme toutes les centrales nucléaires aujourd'hui. C'est totalement absurde. Le vrai sujet, c'est : Est-ce qu'on en construit d'autres ou pas ? Autrement dit, le vrai sujet, c'est : Est-ce qu'on considère que, au-delà 2030 ou 2040, ce sera la fin de vie des centrales les plus jeunes, on repart sur un programme nucléaire de 60 ans, au moins, ou est-ce qu'on sort du nucléaire ? 

 

En guise de conclusion

Il ne faut pas oublier que le coût de mise à niveau va être extrêmement important. Il s’agit d’une question économique, sécuritaire et financière car il faut savoir si cela vaut le coup d'investir massivement pour que certaines centrales durent encore 20 ans, tandis qu’il vaut mieux programmer une fermeture pour d’autres, vu l'état, les risques et le coût que cela représenterait d'assurer vraiment leur sûreté.


 


[1] Yves Bréchet, L’arrêt du programme ASTRID : une étude de cas de disparition de l’État stratège, 22.09.2019, https://revue-progressistes.org/2019/09/22/larret-du-programme-astrid-une-etude-de-cas-de-disparition-de-letat-stratege