Accueil recherche MENU

Monde

Révisions de la crise

Le Dialogue

Le monde traverse ces dernières années une crise dont les indicateurs ne se limitent pas seulement aux chiffres de l’inflation et des déficits budgétaires. Cette crise a provoqué, et provoque toujours, de vifs débats intellectuels et politiques parmi les élites de nombreux pays du monde, principalement en Occident. De tels débats remettent en question les fondements des systèmes politiques et les modèles adoptés et promus durant des décennies.

Le débat qui attire le plus l’attention est celui qui questionne le modèle économique libéral fondé sur le secteur privé, par opposition au  secteur public dépendant de l’intervention et du soutien de l’État. De nombreuses causes ont entraîné cette remise en question des fondements sur lesquels repose le système économique occidental, dont principalement la crise du Coronavirus mais également la guerre en Ukraine et la montée rapide de la Chine qui rivalise avec l’Occident dans le domaine de la haute technologie. 

La loi récemment adoptée par le Congrès américain pour soutenir la fabrication de puces électroniques aux États-Unis, au lieu de les importer, a déclenché un grand débat sur le rôle de l’État dans l’économie capitaliste. Cette loi prévoit une enveloppe de 280 milliards de dollars de subventions et financements pour améliorer la compétitivité des États-Unis dans la production nationale de puces électroniques et de semi-conducteurs.

La Maison Blanche a présenté le projet de loi comme étant indispensable à la sécurité nationale, la plupart des puces étant importées de l’étranger, en particulier d’Asie où les risques « géopolitiques ». Pourtant, cette loi a été vivement critiquée car elle braverait les règles du système économique capitaliste mondial, fondées essentiellement sur le système du marché libre qui ne préconise pas l’interventionnisme de l’État dans les sujets de l’industrie nationale.

Une autre polémique a éclaté dans plusieurs pays occidentaux concernant la pertinence de l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des gouvernements. Cela est dû au fait que ces derniers, ainsi que leurs élus, subissent directement les conséquences des politiques mises en place par leurs banques centrales. Certains ont appelé à limiter cette indépendance, ce qui peut également être considéré comme une remise en question des principes classiques du modèle économique capitaliste.

De nombreux spécialistes ont également remis en question le succès de la politique monétaire adoptée par ces banques, en particulier la hausse du taux d’intérêt pour absorber l’inflation. Cette politique représente l’un des fondements des économies capitalistes afin de faire face à la hausse des prix.

Un autre débat, qui a également fait couler beaucoup d’encre, tourne autour de l’un des fondements des systèmes politiques, à savoir les « institutions » constitutionnelles dont l’importance dépasse celle des personnes qui les constituent. Le Wall Street Journal américain a publié un entretien important avec James Hankins, historien et professeur à l’Université de Harvard, dans lequel ce dernier a présenté un ensemble d’idées critiquant le concept d’« institutions ». Il y qualifie l’élite politique en Occident au XXIe siècle de décadente et non qualifiée ; à tel point que les dirigeants politiques comme les intellectuels cumulent les échecs. Il donne aux hommes politiques américains des exemples de ces échecs, tels que le retrait d’Afghanistan, les fortes vagues d’inflation, le chaos régnant à la frontière sud, la mauvaise gestion de la crise pandémique du Coronavirus, la crise énergétique, les taux de criminalité élevés et la mauvaise méthode éducative dans les écoles et les universités.

La Constitution des États-Unis suppose que les mauvais dirigeants sont une partie intégrante et inévitable de la vie politique, et que la façon de faire face à cela est d’établir des contrôles légaux sur le pouvoir politique, au lieu de développer une classe dirigeante plus puissante.

Hankins souligne que la pensée occidentale compte toujours sur la légitimité d’institutions telles que le Congrès ou la Présidence. Le problème étant bel et bien que les députés comme les présidents, aussi mauvais qu’incompétents, ne faisaient que délégitimer les institutions en question.  Au manque de confiance dans les institutions qui devenaient de plus en plus illégitimes s’ajoutent les manifestations populaires qui reviennent dans les rues de nombreux pays démocratiques pour faire entendre leur mécontentement des parlementaires censés exprimer la volonté des citoyens sans les faire descendre dans la rue. 

La diminution du nombre de membres des partis politiques représente un autre défi. Selon une étude politique, les deux grands partis de Grande-Bretagne (les Conservateurs et les Travaillistes) représentaient la plupart des organisations civiles du pays. Alors qu’actuellement leurs nombres est inférieur aux ceux des mêmes associations civiles. Partout, les partis politiques n’arrivent plus à attirer des adhérents ayant l’esprit du parti, ni  à mobiliser les électeurs.

De tels défis ne signifient pas nécessairement la fin d’un modèle politique ou économique particulier, ni l’émergence de nouveaux modèles qui devanceraient les anciens. Ils ne signifient pas non plus que les régimes totalitaires représentent une meilleure alternative. Ils indiquent cependant que le modèle démocratique/capitaliste, tel que le monde l’a connu au cours des dernières décennies, doit évoluer afin de permettre une gouvernance qui prenne en compte la volonté populaire. 

Ces débats et remises en question certifient que le monde est entré dans une nouvelle phase visant à transformer le système unipolaire international actuel en une forme plus pluraliste dans la structure des rapports de force. Ce qui aboutira à la fin de l’unilatéralisme des modèles politiques, ou ce que Francis Fukuyama appelait la fin de l’histoire.