Accueil recherche MENU

Monde

Séisme turco-syrien, quand la géopolitique se rappelle à son bon souvenir…

Le Dialogue

Un soldat turc marche parmi des bâtiments détruits à Hatay, le 12 février 2023, après qu'un tremblement de terre de magnitude 7,8 a frappé le sud-est du pays. Le bilan des morts d'un tremblement de terre massif qui a frappé la Turquie et la Syrie a grimpé à plus de 20 000 le 9 février 2023, alors que l'espoir de retrouver des survivants coincés sous les décombres par temps glacial s'est estompé. (Photo de Yasin AKGUL / AFP)

 

22 765 personnes tuées selon le décompte du 9 février. Des morts majoritairement de nationalité turque, dans une moindre mesure syrienne. Tels sont les chiffres avancés par l’Organisation mondiale de la santé dans son bilan provisoire, tandis que plus de 70 000 blessés sont recensés.  Dans les jours, voire les semaines à venir, ce compte macabre ira s’accroitre encore. 

Le bilan de ce séisme d’une gravité sans précédent depuis celui de 1138 qui avait ravagé la ville d’Alep est triple. Humain d’abord, au regard du nombre de victimes inégalement secourues, matériel (des dizaines de milliers de bâtiments détruits), politique (Erdogan et Assad seront jugés par leur aptitude à relever le défi du sauvetage et de la reconstruction avec les moyens à leur disposition) et diplomatique enfin. Cette catastrophe aura-t-elle un effet positif dans le rapprochement opéré depuis les dernières semaines entre Damas et Ankara à défaut de réhabiliter la Syrie dans le système international ? Probablement oui si la realpolitik et l’opportunisme l’emportent sur les passions. Syriens et Turcs ont chacun plus à gagner qu’à perdre, mais il faudra des gages suffisamment convainquant, à commencer par l’évacuation des territoires syriens contrôlés par l’armée d’Ankara et une hypothétique solution sur le retour des réfugiés dans leur pays natal.

De même que les zones rebelles du nord-ouest de Syrie tenues par les djihadistes de Hayat Tahrir ach Cham pensent être assurés que l’aide internationale arrivera tandis que les victimes demeurant dans les zones loyalistes ne se font pas d’illusion, sur une solidarité internationale à géométrie variable, qui peine à distinguer le pouvoir d’une population qui subit la double peine, celle des sanctions et celle de la nature.

Dans un entretien au Figaro.fr, le géographe spécialiste du Moyen Orient, Fabrice Balanche, rappelle, lucide, que « ceux qui n’ont pas été loyaux envers le régime seront les derniers secourus ». Au banc des nations parias, la République arabe syrienne paie l’effroyable bilan d’une sanglante répression contre ses opposants. Mais Damas peut à ce jour compter sur le soutien des pays frères, au premier rang desquels le Liban, l’Égypte, l’Algérie, sans oublier l’Irak, les Émirats Arabes Unis et la Jordanie.  Hormis l’aide venue des pays frères (Liban, Égypte, Irak, Algérie, Jordanie, Émirats Arabes Unis), il y a la Russie, la Chine, l’Inde en moindre mesure, l’Arménie qui réitèrent leur geste d’amitié jamais démenti tout au long de la dernière décennie.

Victime de l’agression militaire turco-azérie en 2020 et plus récemment en septembre 2022, la petite Arménie a envoyé une aide à la Turquie qui l’a accepté, voyant dans ce geste humanitaire un pas positif dans le difficile dialogue qui doit conduire les deux voisins à ébaucher une normalisation des relations bilatérales. Si Ankara a accepté l’aide massive de la Grèce dont elle viole quotidiennement l’espace aérien et maritime, elle a néanmoins refusé l’aide proposée par la République de Chypre dont plus d’un tiers de son territoire se trouve occupé par l’armée turque. L’émotion est de mise, elle durera un temps. Mais les populations secourues n’oublieront pas la main tendue par les voisins solidaires.

Un patrimoine menacé    

Ce séisme nous rappelle aussi que la géographie et l’histoire refont surface en décalcomanie.  A regarder de plus près la zone de l’épicentre et ses alentours, on peut aisément retracer la carte d’un royaume disparu. La terre a tremblé sur les terres de l’antique Cilicie, ancien royaume d’une Arménie extra territoriale où une civilisation avait fleuri au Moyen âge. Là où la plaque anatolienne se heurte à la plaque arabique, la géopolitique s’est invitée à la catastrophe. Les villes de Turquie qui ont été touchées épousent une même vulnérabilité géologique mais pas les mêmes populations, ainsi les turcs sunnites de Marach et de Malatya ont été mieux secourus que leurs compatriotes arabophones d’origine syrienne du Sandjak d’Alexandrette et kurdes de Diyarbakir. 

Tout porte à croire que ce sont les plus vulnérables, à savoir ceux qui ont souffert de la guerre de Syrie mais aussi les minorités qui sont appelés à payer le prix fort. A Alep la poignée de chrétiens demeurés dans leur ville, ceux qui n’ont pas cédé aux sirènes de l’émigration, dorment à présent dans les églises qui tiennent encore debout, ou encore dans leurs voitures. 

A l’heure où nous écrivons ces lignes, c'est tout un écosystème qui est plus que jamais menacé de disparaître. Les noms des villes meurtries évoquent l’ancien et le nouveau Testament. Antioche, berceau de la chrétienté, ville syrienne arbitrairement rattachée à la Turquie par la pusillanimité d’une France soucieuse de ménager la Turquie à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Antep, ancienne métropole arménienne de Cilicie avec sa forteresse en lambeaux, sa cathédrale reconvertie en mosquée n’est plus que l’ombre d’elle-même. Malatya, l’ancienne Mélitène, un des berceaux de l’Arménie occidentale avec est un amas de ruines. Et au-delà des pierres et des gravats. Une voix timide peine à se faire entendre.  Qui peut prêter une oreille à la plainte des derniers chrétiens d’Antioche en Occident ? Tandis que les baptisés de Syrie sont quasiment inaudibles quand ils ne sont pas instrumentalisés à des fins idéologiques, c’est tout un monde qui disparaît dans le fracas d’un Orient disparu. 

« Comprenez, la géopolitique est une science dure, un art qui ne souffre aucun écart. Il ne faudrait pas se compromettre, faire un pas de côté législatif et diplomatique. Va-t-on enfin bouger ? Ne serait-ce qu'une fois, même pour ces quelques jours, ces quelques heures, ce temps qu’il faut pour sauver quelques vies et en préserver quelques autres. Je me demande bien parfois ce que pourrait nous envier ce peuple qui nous regarde le regarder en crevant. » écrivait le père Brun le Gouest, fin connaisseur, de la Syrie, sur sa page Facebook.