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Monde

MBS : personnalité géopolitique 2022 ?

Le Dialogue

Une photo prise le 22 octobre 2018 montre un portrait du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MBS) dans la capitale Riyad un jour avant la conférence Future Investment Initiative FII qui se tiendra à Riyad du 23 au 25 octobre. (Photo de FAYEZ NURELDINE / AFP)

 

Après avoir été conspué, critiqué et même marginalisé par les dirigeants occidentaux, le prince héritier saoudien a su attendre son heure. A l’aune du conflit en Ukraine, MBS a profité des difficultés économiques sur le vieux continent pour devenir fréquentables. Dans le même temps, l’homme fort tisse des alliances et impose une réelle dynamique d’indépendance vis-à-vis de Washington.

 

Et si 2022 était l’année de la consécration pour MBS. L'année écoulée est assurément l'année de tous les bouleversements pour le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. A 37 ans, l'homme fort du royaume wahhabite est en effet passé du statut du vilain petit canard aux yeux des chancelleries occidentales à celui de dirigeant courtisé pour ses abondantes ressources.

Tout un symbole, il recevait début décembre le président chinois pour une visite de trois jours dans la capitale saoudienne. Pékin et Riyad ont conclu pas moins de 34 contrats pour un montant avoisinant les 30 milliards de dollars. De quoi irriter l'oncle Sam, sachant que leurs échanges avec le royaume saoudien étaient de 29 milliards sur l'ensemble de l'année 2021. 

Toutefois, ce sont les conséquences du conflit en Ukraine qui ont projeté l'Arabie saoudite au centre des convoitises internationales. Riyad a su intelligemment tirer son épingle du jeu.

 

Le moralisme des démocrates ne passe plus en Arabie saoudite

Dès le lancement de « l'opération militaire spéciale » russe en Ukraine le 24 février 2022, les capitales occidentales ont appliqué une série de sanctions économiques contre Moscou. La question était de savoir si Riyad, alliée traditionnelle de Washington, allait rejoindre le camp occidental antirusse. 

Lors du vote à l'ONU le 2 mars 2022, l'Arabie saoudite vote dans un premier temps  en faveur d'un retrait des troupes russes du territoire ukrainien et condamne l’opération de Poutine.  Or, pour la Maison Blanche cette posture officielle à l’égard de Moscou n'est pas suffisante, il faut s'attaquer aux finances russes et notamment à sa rente issue de la vente d'hydrocarbures qui permet son effort de guerre.

Insatisfait, Joe Biden va s'empresser de s'entretenir avec ses homologues du Golfe, notamment Mohammed ben Salmane et l'homme fort des Emirats, Mohammed ben Zayed. Les deux dirigeants arabes ont boudé à plusieurs reprises les appels du président américain, révèle le Wall Street Journal dans un article datant du 8 mars 2022. 

Compte tenu des difficultés grandissantes, les chancelleries américaines et européennes vont multiplier la valse des diplomates pour renouer officiellement avec MBS. Malgré l’insistance occidentale pour que Riyad augmente sa production pétrolière afin de faire baisser le prix du baril et ainsi empêcher la Russie de renflouer ses caisses, l'Arabie saoudite s'est alignée sur les vues de Moscou au sein de l'Opep en maintenant un prix du baril à 117 dollars en mars dernier.

De quoi provoquer l’ire de certains outre Atlantique. Le Foreign Policy publie même un article le 22 mars 2022 intitulé « Biden devrait punir l'Arabie saoudite pour avoir soutenu la Russie ». 

 

Le moment de grâce de MBS

Conspué et mis au ban des arcanes internationales après l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul en octobre 2018, le prince héritier d'Arabie saoudite avait même fait l'objet d'une réprimande particulière de la part du nouveau locataire de la Maison Blanche. Lors de sa campagne présidentielle, Joe Biden avait ainsi promis de le traiter en « paria » mais également de « recalibrer » ses relations avec Riyad. Les médias occidentaux pointaient du doigt l’autoritarisme du jeune dirigeant, la guerre interminable au Yémen, se moquaient des projets urbanistiques mégalomaniaques et ce, alors que la société saoudienne n’a jamais autant évolué que sous la houlette de MBS. 

Joe Biden s'est en effet rendu à Riyad à la mi-juillet, contre les avis de son propre camp. Délaissant le moralisme de sa campagne, il a rencontré MBS. Un déplacement pour rien. L'homme fort de l'Arabie saoudite était de fait courtisé. Il se rend à Paris le 28 juillet pour son premier déplacement en Europe depuis l'affaire Khashoggi. Critiqué pour cette rencontre, le président français a dû réajuster sa relation avec la pétromonarchie dans un contexte d'envolée des prix de l'or noir et n’a donc pas parlé des questions relatives aux droits de l’homme. Puis vint le tour d'Olaf Scholz de faire le déplacement dans la capitale saoudienne le 24 septembre pour trouver une alternative aux hydrocarbures russes. 

Malgré la réhabilitation de MBS par l’Occident, rien n'y fait, Riyad campe sur ses positions. Le 5 octobre, lors d'un sommet de l'Opep, les pays producteurs diminuent la production de deux millions de barils par jour pour maintenir des prix élevés, une position qui a irrité quelque peu Washington. Mais Washington est prêt à tout pour arrimer l’Arabie saoudite à son opposition à la Russie. Poursuivi par la justice américaine pour son implication dans l’assassinat du journaliste américano-saoudien Jamal Khashoggi, MBS se voit désormais protégé par l’administration de Joe Biden qui lui accorde une immunité en novembre. 

 

Riyad prend son indépendance ?

Malgré les critiques occidentales, Mohammed Ben Salmane est devenu un dirigeant incontournable de l'échiquier mondial. Outre sa manne pétrolière, au gré d’une conjoncture avantageuse l’homme fort du royaume joue des différentes alliances. Au lendemain du déplacement du président sud-africain dans la monarchie en octobre 2022, Cyril Ramaphosa a fait savoir que Riyad était intéressé à l'idée de rejoindre l’organisation des BRICS. Si cette hypothèse venait à se confirmer, cela serait un énième pied de nez à l’administration Biden.

De surcroît, après plus de dix ans de brouilles avec la Turquie, contre son gré et surtout pour des raisons électorales et financières Erdogan s'est rendu en Arabie saoudite pour sceller la réconciliation le 28 avril dernier. Indépendamment du scandale l'assassinat commis dans le consulat saoudien d'Istanbul, les deux pays avaient pris des chemins opposés lors des mal nommés « printemps arabes ». Alors qu'Ankara avait pris fait et cause pour les mouvements révolutionnaires fréristes en Tunisie, en Égypte, en Syrie et en Libye, l'Arabie saoudite plus modérée était partisane d'un statu quo.

Seul petit bémol à cette année géopolitique extraordinaire, les pourparlers avec l'Iran qui n'ont pas encore débouché sur un dégel. Les deux pays n'ont plus de relations diplomatiques depuis 2016. En avril 2021, les dirigeants iraniens et saoudiens s'étaient réunis à Bagdad pour tenter de désamorcer la crise. Malgré plusieurs réunions bilatérales, les récents mouvements de contestations en Iran ont ébranlé quelque peu la volonté commune de dialogue. 

En somme, en 2022 l’homme honni par l’Occident a su attendre son heure en jouant habilement de ses forces pour faire monter les enchères auprès de ses partenaires occidentaux et a surtout montré son envie d’autonomie vis-à-vis d’une administration démocrate américaine erratique.