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Monde

Le 14 février 2003 : les dernières bribes du gaullisme sur la scène internationale

Le Dialogue

Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'adresse au Conseil de sécurité des Nations Unies après un rapport de l'inspecteur en chef des armes des Nations Unies, Hans Blix, lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur la situation en Irak le 14 février 2003 à l'ONU à New York. (Photo par HENNY RAY ABRAMS / AFP)

 

Le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York est sans nul doute le moment de la politique étrangère française en ce début de nouveau millénaire. Outre le refus de participer à la guerre en Irak et de suivre les Américains dans leur interventionnisme, ce moment diplomatique constitue ni plus ni moins que le dernier instant gaulliste d’une France qui refusait de se soumettre à un manichéisme.

Même si Mitterrand avait décidé de rejoindre en janvier 1991 la coalition internationale pour lutter contre l’armée irakienne qui occupait le Koweït, la France chiraquienne voulait jouer de son influence pour tenter de désamorcer une nouvelle guerre inéluctable au Moyen-Orient. Malgré le retrait des troupes de Saddam Hussein, Washington ambitionnait de faire plier l’autocrate de Bagdad. La décennie 90 a vu le Pentagone imposer un embargo pétrolier et commercial qui plongea les Irakiens dans un chaos. Le but était simple : retourner la population contre le régime. 

Si Paris participa à la mise en place d’une exclusion aérienne du pays avec Londres et Washington, Jacques Chirac se retire de l’opération d’interdiction de survol en 1996 pour la zone nord et 1999 pour la zone sud. Le président français va même critiquer le bienfait des sanctions américaines lors du sommet de la francophonie à Hanoï en 1997 : « Nous voulons, nous, convaincre et non pas contraindre. Je n'ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs ». 

Mais pour les Etats-Unis, il fallait adresser un coup fatal à Bagdad. L’attentat du 11 septembre va servir de prétexte fallacieux à l’administration américaine pour accuser à tort le régime de Saddam Hussein d’avoir des liens avec Al-Qaïda. En dépit de l’engagement irakien de se plier aux demandes des Nations unies de la commission Blix pour fournir des preuves de l’inexistence d’armes de destruction massive en produisant un document de douze milles pages, fidèle à sa posture jusqu’au-boutiste la conseillère à la Sécurité nationale des Etats-Unis de l’époque Condoleezza Rice n’y prête pas attention. 

 

Les prémices d’un partenariat Paris Berlin Moscou

Pour clarifier les intentions américaines, en ce début d’année 2003, Jacques Chirac envoie le diplomate Maurice Gourdautl-Montagne à Washington. Suivant les informations révélées dans son propre ouvrage, Les autres ne pensent pas comme nous, aux éditions Bouquins, l’ambassadeur aborde avec Condoleezza Rice la question irakienne. Répondant à la question de savoir ce qui pourrait arrêter Washington dans ses desseins belliqueux, la conseillère à la Sécurité nationale de Georges W.Bush rétorqua laconiquement « que Saddam parte! ». Le changement de régime est donc la priorité américaine. Face à la retenue française, le ton monte entre Washington et Paris. Dès lors, le gouvernement français prit soin de renforcer sa position auprès de ses partenaires européens et au Conseil de sécurité. 

La France se tourne naturellement vers l’Allemagne du nouveau chancelier Gerhard Schröder. Les deux pays rappellent leur attachement à la résolution 1441 et réaffirment que « la guerre serait la pire des solutions ». Paris et Berlin insistent sur le fait que seule une entrave à la mission onusienne en Irak pourrait justifier le recours à la force. Pour renforcer ce front diplomatique, le président français a la bonne idée de se rapprocher de Vladimir Poutine. Jacques Chirac est un fin connaisseur de la culture russe et comprend la lutte contre les oligarques au lendemain de la période Eltsine. 

Le chef d’État français profite alors de la visite du chef du kremlin le 10 février pour faire part de l’initiative franco-allemande. Le président russe accepte moyennant quelques petites modifications. Moscou veut s’assurer que Paris est prêt à prendre des décisions diplomatiques qui vont dans le sens de ses positions. 

C’est ainsi qu’un bloc du refus se met en place, auquel se joint la Chine du nouveau président Hu Jintao. La France intensifie ses contacts avec l’Inde pour espérer que New Delhi reste à l’écart de ce conflit latent. Malgré de bonnes relations avec Washington, le gouvernement indien fidèle à sa politique de non alignement se tient à l’écart du dossier irakien. Mais Paris veut aller plus loin en convaincant les dix membres non-permanents du Conseil de sécurité, notamment le Mexique et le Chili. Malgré d’intenses pressions américaines, les deux pays d’Amérique latine s’opposent dans un premier temps à cette guerre. La diplomatie française n’arrive toutefois pas à rallier le Cameroun et la Guinée à sa position. Moyennant des promesses économiques, les deux pays africains s’arriment finalement à celles des Américains et des Britanniques. 

L’Italie de Berlusconi et l’Espagne de José Maria Aznar, par tropisme atlantiste, finissent par rejoindre Washington et Londres. En dépit des bons contacts avec la Pologne, Chirac n’arrive pas à convaincre son homologue qui a l’obsession de plaire aux Américains. 

 

Un discours pour l’Histoire

 

 

Jusqu’au bout la France a tenu son rôle de puissance médiatrice, pragmatique et ne rechignant devant aucun effort. Le chef de la diplomatie française lit et relit son discours en présence du président. Ce dernier lui donne son aval. 

Il y a des discours qui laissent des traces dans l’Histoire et celui de Dominique de Villepin en fait partie. « Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur ». Le ministre français des Affaires étrangères est ovationné. Ses mots dépassent de loin les seules frontières de l’hémicycle new-yorkais. Au Moyen-Orient, ses propos ont un retentissement sans précédent. Déjà apprécié du fait son accrochage avec la police israélienne en 1996, Jacques Chirac jouit davantage d’une grande popularité dans le monde arabe. Ce refus d’intervenir aux côtés des États-Unis, ce non alignement, ce choix du dialogue et des négociations à la place de la coercition et de la force est resté dans les mémoires. 

Malgré les efforts français pour éviter ce conflit catastrophique à l’échelle de toute une région, la guerre débute officiellement le 20 mars 2003. Entre le frenchbashing et les appels au boycott outre-Atlantique la relation franco-américaine a du plomb dans l’aile. Rapidement, les choses rentrent dans l’ordre.

Malheureusement pour la France, cette posture indépendante et mesurée ne s’est pas inscrite dans la durée. Ce moment Villepin était en quelque sorte le baroud d’honneur d’un gaullisme vieillissant qui a laissé sa place à un suivisme et un alignement sur Washington.