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Monde

Éthiopie : Retour sur les accords du 2 novembre 2022

Le Dialogue

Redwan Hussein (2ème à gauche), représentant du gouvernement éthiopien, et Getachew Reda (2ème à droite), représentant du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), signent un accord de paix entre les deux parties lors d'une conférence de presse concernant l'Union africaine dirigée par négociations pour résoudre le conflit en Éthiopie dans les bureaux du Département des relations internationales et de la coopération (DIRCO) à Pretoria le 2 novembre 2022. (Photo de PHILL MAGAKOE / AFP)

 

Le 2 novembre 2022, un accord a été signé à Pretoria entre le gouvernement éthiopien et son premier ministre, Abiy Ahmed, et les insurgés du Front populaire de libération du Tigré (FPLT).

Un conflit de 2 ans dont les racines remontent pourtant aux années 1970. Cette région du Tigré est un foyer de contestation de longue date. Située au nord du pays, frontalier du Soudan et de l’Érythrée, c’est une région aride et montagneuse. La population est en grande majorité composée d’agriculteurs pauvres de religion orthodoxe. Organisée en communautés paysannes autonomes, elle est depuis longtemps rétive au pouvoir autoritaire de l’Empereur Hailé Sélassié 1er. Dans les années 70, se crée une Organisation Nationale du Tigré d’inspiration maoïste mêlant autonomisme et réforme agraire.

 

Lors de la révolution de 1974, qui mit fin à une dynastie vieille de 1000 ans, l’ONT soutient le mouvement national et dirige un soulèvement dans la région. Cependant le nouveau régime dirigé par le Général Mengistu, soutenu par Moscou, dérive vers une dictature autoritaire. La réforme agraire tant rêvée au nord, comme dans d’autres régions, n’aura pas lieu. Jusqu’en 1991, et le retour à la démocratie, le Tigré s’appauvrit encore plus et reste délaissé par Addis Abeba. Nombre d’éthiopiens et en particulier de Tigréens partent s’installer aux Etats-Unis pour fuir la misère et un pouvoir brutal. En 1975, le Front de libération du peuple du Tigré remplace l’ONT et déclenche une série de guérilla contre le nouveau pouvoir en place. D'ailleurs certaines parties de la région sont contrôlées directement par ce Front, le reste par l’armée éthiopienne. Une situation qui ne s’arrête qu’en 1991. Les différents partis d’opposition s’accordent cette même année pour construire sur les cendres d’un communisme plus national qu’égalitaire, une République démocratique fédérale. Le Front devient un parti comme les autres. Puis en 1995, une nouvelle constitution donne une place nouvelle aux ethnies et les Tigréens ont une place de plus en plus importante dans la vie politique internationale.

 

Mais en 2020, les cartes sont rebattues. La région s’enflamme. L'Oromo Abiy Ahmed est accusé de truquer les élections et d’avoir marginalisé les Tigréens, qui représentent 6% des Ethiopiens. Immédiatement un soulèvement se met en place et dure deux ans. Les Tigréens sont soutenus par d’autres ethnies comme… une armée Oromo ! Offensive, contre-offensive, dans les massifs la lutte est âpre et rapidement Addis Abeba est accusée de ne pas respecter les droits internationaux. L’armée est accusée de viols, d’acte de torture etc… De l’autre côté, on accuse le Front d’être soutenu par les islamistes venus du Soudan et d’avoir massacré des civils à Mai Kadra en novembre 2020. Selon Amnisty international, en 2020, des dizaines de milliers de civils ont été tués, des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et 61 000 personnes ont fui au Soudan. Les chiffres varient entre 380 et 600 000 morts pour un conflit longtemps absent de la presse européenne.

 

Bien entendu, comme dans tout conflit la situation tend à s’étendre. Le premier protagoniste est bien sûr le voisin érythréen et son président… tigréen Issaias Afwerki.

Indépendante de l’Éthiopie depuis 1993, l’Érythrée avait une nouvelle fois affronté l’Éthiopie de 1998 à 2000 pour contester les frontières. Depuis les accords d’Alger de 2018, les liens se sont enfin rapprochés.

 

 

Les anciens ennemis coopèrent contre l’insurrection nordiste. L’armée de terre érythréenne est intervenue à de nombreuses reprises pour éviter que les troupes tigréennes ne progressent au Sud. On pourrait penser, et c’est de bonne guerre dans certaines situations, à ce que l’Érythrée souhaite une déstabilisation du voisin. Mais dans une Corne fragilisée par des problèmes d’islamisme (Kenya, Soudan) ou de l’eau (Égypte, Soudan, Éthiopie), il n’est pas utile qu’une fois réconciliée l’ennemi d’hier s’eppuise dans une guerre civile. Rappelons également que les Fronts érythréens et tigréens des années 70, luttant pour leur indépendance à l’époque, furent malgré leur ennemi commun et un maoïsme revendiqué, marqué par la rivalité entre les différents chef Meles Zenawi (futur premier ministre éthiopien) d’un côté… et l’actuel président de l’Érythrée de l’autre.

L’Égypte et le Soudan furent également attentifs pour des raisons analogues. L’Égypte est de plus en plus attentif à la stabilité du voisin soudanais, et une crainte de voir émerger des foyers au nord de l’Éthiopie, une corne que le président égyptien Al-Sissi voit comme un pré-carré pour des raisons historiques mais également “aquatique” vue du Nil. Or l’Éthiopie, avec son barrage de la Renaissance, dérange fortement Le Caire. En effet, 86% de l’eau consommé par les Égyptiens provient des Hauts-Plateaux éthiopiens et la crainte de possibles blocages à crisper les relations diplomatiques. La crainte de voir émerger un pouvoir islamiste malgré l’autoritarisme militaire de Khartoum a également renforcer une paranoïa chez les Ethiopiens longtemps vu comme un ilot chrétien dans cette région. 

Les Etats-Unis gardent un œil également attentif dans la Corne qui s’est renforcé sous l’Administration Clinton. Ses liens avec l’Éthiopie sont profonds. Si on excepte la parenthèse communisante des années 70-80, ces deux pays ont toujours eu des liens militaires assez importants comme l’atteste la présence d’Ethiopiens durant la guerre de Corée ou dernièrement en Irak. Cependant une joute diplomatique a vu le jour entre les deux parties concernant des crimes de guerre dans le Tigré. Surtout que les forces armées éthiopiennes, longtemps formées par Israël, l’Afrique du sud et les Etats-Unis, ont changé d’axe. La Russie, qui continue son mitage africain, a signé en 2021 un accord visant pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays. Si l'on souligne la vente d’armes à Addis Abeba par la Turquie et l’Iran, l’équilibre des influences de la région peut fluctuer. Sans parler de la présence chinoise au Soudan… L’Union européenne, elle, reste dans le témoignage. La demande de sanction contre l’Éthiopie n’a pas renforcé son poids dans une région où son influence est faible, excepté Djibouti. L’Éthiopie, et Mussolini le savait plus qu’un autre, n’a pas peut-être pas de ressource mais cette vieille civilisation est un état comme d’autre dans ce triste fromage africain où toutes les parts ont une grande importance… que l’on soit corbeau ou renard.