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Editos

Le dilemme de l’identité de l’Egypte

Le Dialogue

Très  souvent nous taxons de non  nationalisme l’intellectuel  ou  le penseur égyptien lorsqu’il critique la notion d « Umma islamyya »  ou celle de la « nation arabe » ou  purement  et simplement quand la cause palestinienne ne se trouve pas à la tête de toutes ses préoccupations  et ne   fait pas partie de ses priorités. Un  tel dénigrement est déclaré  contre lui,  même s’il  jouit  d’une grande crédibilité cognitive,  culturelle et intellectuelle reconnue  sur le plan international  par toutes les autorités et instances les plus prestigieuses dans notre monde moderne. L’un des vices les plus hideux de la vie culturelle égyptienne de nos jours est la non  croyance par  nombre de personnes cultivées  aux deux  notions précédentes et lui  substituent celle de la « nation égyptienne »  en intégrant dans son  entité  des dimensions antiques,  coptes, islamiques,  arabes et africaines ; néanmoins,  elle conserve toujours son  identité égyptienne  sans passer sous le couvert de telles identités  surtout islamique et arabe.  De tels intellectuels égyptiens se   contentent, dans leur  plus grande majorité,  de l’expression  verbale de leur point de vue dans des cercles proches et restreints et non  dans leurs écrits, interviews ou reportages audio-visuels. Bien  plus certains d’entre eux ne s’en  tiennent pas à  ce silence circonspect  et vont  au-delà  en proférant  des opinions édulcorées  qui  ne divulguent pas la teneur de leur credo. Ils sont en  fait  les descendants de plusieurs générations successives d’  « intellectuels fonctionnaires »  qui n’ont -  très probablement  pas- d’espaces de libertés  comparables à celles dont disposaient des intellectuels à l’instar de Ahmed Lotfy  Al-Sayed, Abdel  Aziz Fahmy, Taha Hussein,  Mohamed Hussein  Haykal, Abbas Al Akkad, Salama Moussa pour  ne citer que les pionniers de cette génération. 

Cet  état des choses a entrainé des répercussions profondes sur  nombre de domaines  tels l’éducation,  les médias, la   culture et le discours religieux et par  ricochet sur « l’esprit  collectif égyptien ».Il  serait erroné  que l’intéressé par  un  tel  sujet pense qu’il  représente un phénomène relativement  nouveau.

L’histoire de l’Égypte depuis  la campagne française en 1798 témoigne d’un  tel  dilemme, Tout le long  de ces deux cent  vingt-deux ans,  et jusqu’à nos jours,  l’esprit collectif  égyptien était l’objectif et la fin  d’un  conflit interminable entre des passéistes qui proclament  l’appartenance de l’Égypte à l’identité islamique et des progressistes qui font la propagande pour  des idées déjà  adoptées par de grands penseurs dont Ahmed Lotfi El-Sayed,  Taha Hussein  et des écrivains  tels Tawfiq El Hakim et Naguib Mahfouz ;  Elles sont  abrégées par ces deux mots de Ahmed Lotfi  El- Sayed :  « l’Égypte est égyptienne. »  qui représentent  une orientation qui ne va pas à l’encontre des dimensions islamique et arabe de l’identité égyptienne mais plutôt les conçoit comme les pièces de la mosaïque de l’identité égyptienne. Ce qui  est  vraiment étonnant,  c’est que « l’identité arabe »  lancée,  depuis voilà des décennies,  par  des intellectuels syriens en  tant qu’idée  laïque allant à  contre-courant de l’identité  islamique ottomane,  n’a gardé ce cachet qu’à peine pour quelques décennies pour  devenir ensuite à la remorque de l’identité islamique.

Il importe,  de traiter  à  ce stade,  les incidents survenus en  Égypte en 1907   rien  que parce qu’ils reflétaient  clairement l’essence même du  dilemme de l’identité. En  cette date,  deux entité politiques ont  vu  le jour :  «  Le parti  national »  et le « parti de la nation (Umma) ».  Le premier visait  la fin  de l’occupation britannique et le retour de l’Égypte au  giron  ottoman, c’est  à  dire comme partie  intégrée de la « Umma islamyya » ;  alors que le second parti  visait  l’indépendance de l’Égypte  de la Grande Bretagne et de l’État  ottoman tout en promouvant fortement l’idée de « l’égyptianité  de l’Égypte ». Mustapha Kamel était  le fondateur  du « parti  national » qui  faisait partie  du  cercle proche du  dirigeant de l’Égypte de l’époque le Khédive Abbas II qui a  dirigé l’Égypte depuis 1892  jusqu’à sa destitution par  les Anglais avec le déclenchement de la grande Guerre en 1914. Il  est bien  connu que les idées de Mustapha Kamel et de son  successeur  Mohamed Farid correspondaient  à l’inclusion de l’Égypte dans l’entité de l’État ottoman. De plus,  nul n’ignore que Ahmed Lotfi  El-Sayed  et les dirigeants de son  parti ( Le parti  Umma) sont laïques et croient  en  « l’égyptianité  de l’Égypte ». Il  suffit de rappeler  que ce grand initiateur a traduit  Aristote  comme Abdel Aziz Fahmi-  son collègue le plus proche du parti-  a traduit le Code de Justinien ( il constitue le fondement  des codes français  présentés par  Napoléon pour   devenir quelques décennies plus tard  « le fondement du  système juridique égyptien »  depuis 1883. Il  s’avère évident  que ces événements de 1907  ne sont que la concrétisation  du  conflit d’identité  en  Égypte. Alors que l’esprit collectif égyptien a connu  plusieurs  « secousses »  à mobiles purement  politiques. Après plus d’un  siècle et demi  que cet esprit ressentait que sa première  appartenance était qu’il  faisait partie des sociétés méditerranéennes, voilà  que depuis près de  soixante ans cet  esprit reçoit  comme un  ordre quasi-militaire  lui insufflant  qu’il est le « cœur de la nation  arabe ».  Et aussitôt, nous voyons le gouvernement asservir tous  les manuels scolaires,  les mass-médias et les programmes culturels placés sous sa coupe pour convaincre cet  esprit-  selon ce nouveau  lexique-  qu’il est  « le  cœur de la  nation  arabe »,  alors qu’il était,  juste depuis des décennies,  aux antipodes de cette notion de l’orientation  arabe secrétée par des chrétiens syriens et qui  était  à  ses débuts purement  laïque. A  peine une décennie  et demie  écoulée  que le chœur à  voix égales a changé  son  chant qu’il  martelait  à l’esprit égyptien  en  lui confirmant  qu’il  n’est pas seulement  arabe mais  qu’il est le cœur   battant  de l’arabité. I a commencé  à entonner  son  nouvel hymne national et  à répéter un  nouveau  refrain catégoriquement  neuf. Depuis les années soixante-dix du siècle dernier,  le président  égyptien de son époque- assisté par la chorale de son  régime- n’arrêtaient pas de dire  aux Égyptiens qu’il  est  « un  président musulman  à la tête d’un  pays musulman »  et les mass-médias étatiques  le surnommaient «  le président croyant » !  Et c’est alors que le pays voisin  qui représente le cœur   battant  du wahhabisme  collabore avec lui  afin d’opérer  le grand  bouleversement mental  qui s’est traduit par le fait  d’ôter  la robe de l’arabité et de porter celle de l’Islam. Et  ce pays dit «  le cœur  battant du  wahhabisme »  fournit à l’époque  au président  croyant  une légion de prêcheurs à  qui on impute l’anticipation  du processus d’islamisation  de la société égyptienne  manifesté par le port du  voile par  un  grand nombre de femmes et qui  fut  le « symbole de la victoire », tel avoué par l’un  des grands dirigeants des Frères musulmans, Essam  EL Aryan,  dans une déclaration  faite au  courant de l’année  (2012-2013) du  règne des Frères musulmans en  Égypte. Et  bien que ce soit ce même président croyant  qui ait libéré les Frères musulmans des prisons égyptiennes  et leur ait ouvert les portes des syndicats  et des institutions éducatives,  il  fut assassiné,  le 6 octobre 1981, par des islamistes formés dans les camps des Frères musulmans, Ce ne fut que le signe probant des conséquences fâcheuses de toute alliance avec une organisation  islamiste. L’essence de la vérité  absolue ne peut nullement  résider dans une sorte d’alliance périodique et tout climat  démocratique pour  eux ne peut représenter  qu’un moyen  pour aboutir à la fin  de tenir les rênes du  pouvoir et de le monopoliser afin  d’appliquer la Charia musulmane qui  prime sur toute autre loi humaine.

En  somme, l’esprit collectif  égyptien a connu  au cours des deux cent vingt-deux dernières années des altérations concernant  son  identité et qui  ont eu,  au cours des sept  dernières décennies, des mobiles purement politiques. A  vrai  dire, le glorieux, Taha Hussein,  est le meilleur écrivain à  s’exprimer au  sujet de l’identité égyptienne dans son  ouvrage «L’avenir de la culture égyptienne », paru  en  1938;  Il  y précisa que si  jamais nous mettons de côté les fins,  les motifs et les passions politiques et religieuses et tablons uniquement sur la recherche historique et  culturelle,  nous ne pouvons que concéder  que « l’identité  de l’Égypte » est le fruit  de « l’histoire  de l’Égypte » comme de « la géographie de l’Égypte » et ces deux dernières confirment que la mosaïque de l’identité égyptienne réunit l’égyptien  antique, au copte, à l’islamique et à l’arabe  dans un  creuset   de déterminisme géographique, c’est  à  dire que toutes ces dimensions sont régies par  une seule  vérité  matérielle qui est  la situation géographique de l’Égypte en tant  que société méditerranéenne  et c’est  ce que résume l’expression « l’égyptianité de l’Égypte. »