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Culture - Livres - Histoire

Les juifs dans le roman égyptien: entre intégration et rupture

Le Dialogue

Nombreuses sont les études qui  portent  sur la présence juive en  Égypte et la détaillent sous ses différents aspects. Certaines d’entre elles sont impactées par le conflit politique et idéologique avec Israël  et  le sionisme ;  alors qu’elles se caractérisent-  en grande partie- par l’objectivité et l’analyse scientifique neutre exempte de toute émotivité excessive et déchaînée. Néanmoins, la place des juifs dans le roman égyptien n’attire pas autant l’attention  des chercheurs. Sans égard à sa valeur artistique,  ce texte littéraire est loin  d’être un  document historique  d’où l’on peut  déduire des résultats fiables; néanmoins, il  est  porteur de nombreux  indices de portées politiques et sociales  dignes de réflexion  et non négligeables. Les Égyptiens juifs et les Juifs immigrés en  Égypte y résident tout en  conservant leurs  identités  et leurs nationalités  d’origine sont présentés  dans le roman  égyptien comme partie intégrante du  tissu de la vie quotidienne  et un élément actif exerçant une très grande influence  sur l’élaboration  des cartes sociale,  économique, culturelle,  artistique  et politique en  Égypte. Tout le long de plus d’un  siècle, les romanciers égyptiens  ont scellé leurs appartenance à des écoles littéraires  diverses et à  des courants politiques variés. Et, alors que certains d’entre eux optaient pour l’adoption d’un parti- pris contre les juifs et le judaïsme, exprimaient des préjugés, des idées  et des conceptions émanant de leur fanatisme religieux raciste et appliquaient une approche imprimée par la position politique négative contre les juifs et le sionisme, d’autres se montraient excessivement  sympathiques à leur  égard, embellissaient leur image et les taxaient de romantisme et d’idéalisme,  leur majeure partie se caractérisaient par leur objectivité  et leur modération  et cherchaient à  en présenter  un  tableau équilibré  exempt de tout  extrémisme extravagant. Ces romanciers se sont arrêtés devant maints aspects divers de l’histoire juive qui outrepassaient leur  simple  présence en Égypte  à leur histoire proche et lointaine : ils vaquent à l’observation  et à l’analyse du  rôle qu’ils assumaient  au niveau  de l’action  sociale, de l’activité économique,  du conflit  politique et de la créativité culturelle et artistique  sans omettre de vue leurs relations amoureuses et sexuelles avec les adeptes des autres religions. Il  est  évident que cette analyse se confond avec le conflit arabo-israélien  au  lendemain de la proclamation  de l’Etat  d’Israël et de la division  qui  en découle dans les rangs des Israéliens d’une part  et dans la position  égyptienne à leur  égard –sur le plan  officiel et populaire-   d’autre part.  La répartition  des juifs à travers  les villes égyptiennes était  loin  d’être homogène : Leur majorité  écrasante vivaient   au  Caire et à Alexandrie,  les deux villes phares,  placées au  point de mire de l’intérêt du  roman  égyptien. A ce   propos,  il importe, d’une part, de signaler que le témoignage portant  sur les juifs d’Alexandrie est  très particulier d’autant  plus que c’est une ville cosmopolite  qui a accueilli indistinctement toutes les cultures, les ethnies et les adeptes de différentes religions; d’autre part, les péripéties de certaines de ces œuvres romanesques  se déroulent en  dehors de l’Égypte  alors que certaines autres remontent  à des périodes historiques  n’entretenant aucun  lien  direct avec la réalité moderne ou contemporaine. Cependant  le trait  commun des uns comme des autres  est le dilemme de « l’intégration  et du boycott : Le rapprochement et la coexistence pacifique  face au choc, créateur de la tension  et des troubles.  L’approche adoptée par le roman égyptien vis à  vis des juifs révèlent des traits éminents dont :

  • L’activité économique intense des juifs en  Égypte  et leurs compétences pragmatiques utilitaristes  qui exercent un  rôle clé  dans la création  de leur image stéréotypée qui les distingue des autres. 
  • La culture différente des juifs  au sens large du  terme  qui englobe tout  un système de valeurs,  d’us et de coutumes  qui  différent des pratiques  et des héritages des majorités  musulmanes et chrétiennes. 
  • L’absence de toute discrimination, oppression ou persécution  et la domination de la tolérance  sur les relations  qui unissent les Juifs aux autres composantes de la vie égyptienne. 
  • La participation limitée des Égyptiens juifs  dans la vie politique par leur appartenance exclusive aux mouvements et aux organisations égyptiennes de gauche;  par contre,  leur activité artistique diffère radicalement et atteste d’une participation  positive aux diverses manifestations artistiques telles le cinéma, le théâtre,  la  composition musicale et la chanson. 
  • L’importance et la nécessité  de distinguer entre les notions de « judaïsme »  et « sionisme »  et « Israël ». Brouiller entre elles conduit à la confusion  et à  l’ambiguïté.  La religion juive n’est pas objet de contestation  et ne doit jamais l’être;  quant au  sionisme, il  n’est  qu’une notion raciste  digne d’être refusée  et combattue  et Israël  est l’incarnation pratique de la philosophie sioniste basée sur une vision religieuse investie en  vue de justifier la tendance colonialiste expansionniste et de la revêtir  d’une teinte religieuse attrayante,  Cette exploitation destructive mène à l’embrasement d’un  conflit politico-religieux  qui complique davantage la situation de manière à ne laisser entrevoir une issue  imminente à cette situation  déraisonnée et confuse. En  fait le génie littéraire de plusieurs romanciers égyptiens est érigé sur la place qu’occupe les Juifs à l’intérieur et à l’extérieur de l’Égypte  dont à titre d’exemple: Fathy Ghanem, Edouard Kharat,  Abdallah  Eltoukhi, Bahaa Taher, , Sonallah Ibrahim,  Ibrahim  Abdelmeguid, Radwa Achour,  Youssef  Zidane, Achraf  Echmawi et Nadia Kamel. Nous nous contentons ici d’étudier en  détails trois d’entre eux : Naguib Mahfouz, Ehsan  Abdel Koudous et Kamal  Rahim.

1- Naguib  Mahfouz: Dans son  roman « Khan  Khalili »,  l’histoire se déroule dans la période de la deuxième guerre mondiale,  La bande d’amis du  jeune héros Rouchdy  Akef habite le quartier  « Sakakini »  et  une relation  amoureuse le lie à une jeune juive  du même quartier. La forte présence des juifs dans ce quartier l’imprime d’un  cachet juif que les Musulmans qui  habitent  le quartier Al Hussein,  ce quartier populaire religieux  y trouve une justification  pour déroger ce quartier au  traitement infligé par les Allemands nazis aux Musulmans résidants dans les autres quartiers. Dans l’abri  anti-aérien, une longue  discussion  a lieu entre les habitants qui  y  prennent refuge pendant les  violents raids allemands.  L’un d’eux défend  le dictateur allemand Hitler pour dire qu’il  croit en  la foi  musulmane. Et son voisin de rétorquer: 

« si  c’était le cas,  comment le Caire  a été bombardé au milieu  de ce mois-ci » ?

Et le premier de le justifier par le fait  que le raid a ciblé « Sakakini »  dont la majorité  de ses habitants sont des juifs.  

Pour contrarier l’Angleterre, la majorité populaire prend le parti  des alliés-  l’Allemagne,  l’Italie et le Japon. Cette sympathie illogique va jusqu’à justifier les raids sur le Caire parce qu’ils visent un quartier habité par une majorité juive. Un  sophisme patent car en  fait les juifs ne constituent pas  de majorité dans aucun  des quartiers du Caire; et cette défense vise à confirmer que quasi l’ensemble  des simples Egyptiens  qui n’ont pas de conscience sociale et ont un faible niveau  d’éducation  ne traitent pas les Juifs  comme une nationalité incrustée  dans le tissu  national.

Dans son  roman « Le Miroir»,  Dr. Sorour Abdel  Baqi   est un homme d’un  caractère exemplaire.  Il fait partie  du  groupe d’amis dissemblables et contradictoires. Il  éclate de rire lorsqu’on  cite le nom de Eid Mansour  et il  rétorque avec sarcasme: «Maudit Shylock ! » Ce dernier est le héros  juif de la pièce de théâtre de William Shakespeare « Le Marchand de Venise ». Il devient le symbole international négatif du  méchant usurier juif. Eid est un  égyptien musulman mais s’il  est surnommé Shylock par Dr. Sorour c’est  parce que ce surnom  correspond le mieux  à son comportement et ses actes qui  vont en contradiction  avec l’ordinaire et l’habituel pratiqués par les Egyptiens, Musulmans soient-ils ou  Chrétiens. Son  père travaille,  avec les Juifs,  dans le commerce de l’immobilier   et a acquis nombre  de leurs modes et compétences. L’enfant est à l’image de son  père  connu pour être avare, sévère et insensible. Les transactions commerciales qu’il  a eues avec les Juifs ont impacté la personnalité  de Eid  qui brandit  ce  slogan pratique qui  lui  a été inspiré de ses expériences et expertises : « Sans les Juifs et les Anglais,  ce pays n’en serait qu’inerte. »

Hait-il son  pays  ou  ne cherche-t-il  que son  intérêt personnel ?  Pour répondre brièvement,  je dirai  que son pays est  son propre intérêt. C’est la raison pour  laquelle il  adopte cette même attitude étrange au  cours de l’invasion  tripartite de 1956  et  des événements et répercussions qui  ont suivi.  Plusieurs de ses amis  juifs ont disparu  de la scène qu’il  me confia un jour : «  Comme je souhaiterais émigrer  et mettre ma fortune à l’étranger ! et lorsqu’il  s’est aperçu de la tristesse qui défigurait  mon  visage, il m’a dit: «  L’Égypte ne peut plus servir de lieu  de résidence convenable aux Intelligents ! »  Puis il a lancé un rire tout amertume  en proférant  sur un  ton sarcastique cet  adage nationaliste  romantique de Mustafa Kamil: « Si je n’étais pas Egyptien, je souhaiterais de l’être !. » La sympathie qu’il manifeste à l’endroit des Juifs et des Anglais et Américains  n’est que l’expression minutieuse d’un  parti-pris absolu pour l’intérêt individuel  où  qu’il se trouve sans égard au facteur  de l’appartenance religieuse. 

2-Ehsan  Abdel  Koudous : A  comparer  entre Abdel Koudous et les autres romanciers égyptiens de sa génération et leurs successeurs,  nous pouvons dire qu’ils sont les plus à porter leur intérêt quantitatif et qualitatif  aux Juifs et à leur monde  soit avant ou  après la proclamation  de l’Etat d’Israël. Peut-être est-il le seul  à ne pas omettre dans ses œuvres  le développement de la position  occupée par les Juifs en  Égypte depuis les années trente aux années quatre-vingt  du  vingtième siècle. Tout  le long de ses romans, nous assistons  à un  amalgame original  entre le subjectif et l’objectif: les expériences personnelles d’une part  et les préoccupations nationales  qui  outrepassent le personnel d’autre part. Un  témoignage singulier, porteur de sens  et de significations de grande importance  qui n’excluent pas notre objection vis à  vis de certaines de ses analyses et interprétations qui exigent de prouver leur déficience.

La présence des juifs en  Égypte constitue  le centre d’intérêt de son premier roman «  Je suis libre », publié en  1954. Le romancier égyptien  ne s’y limite pas à développer la position influente de la personnalité de Fortuné  la fille de la couturière Marie. Il  va même au-delà  jusqu’à fournir une observation  équilibrée de la dialectique de la tension  et de l’harmonie entre la majorité musulmane et la minorité juive qui  représente une force non négligeable dans le quartier « Daher » qui conduit à des combats acharnés entre les intimidateurs professionnels avant leur extinction. Du  reste, le roman relate les détails des fêtes et des rites et cérémonies festives qui les accompagnent. 

L’on  pourrait dire que le roman de Koudous «Ne m’abandonnez pas seule dans ce lieu » dont la rédaction  a été achevée  par le romancier en 1979  pour être publiée à la même année est celui qui  exprime le mieux  et minutieusement la vision  de l’auteur concernant la position  des Juifs de l’Égypte.  Le personnage de la Juive musulmane Lucie-Zeinab  est le pivot incontestable   et sans partage du  roman. Le cours de sa propre  vie est jalonné d’incidents importants qui  épousent  les grandes mutations de la société égyptienne depuis les années quarante aux années soixante-dix  environ du vingtième siècle. Ils sont contemporains du  règne du roi  Farouk pour prendre fin  avec celle de l’ère du  président Sadate,  en passant par celle de Nasser.  Lucie la juive,  fond dans le rythme de la société égyptienne,  de longues années avant la fondation  de l’Etat d’Israël ;  elle entre en synergie avec  les conséquences  de la proclamation  de l’Etat juif, la guerre de 1948  et suivantes ;  elle se trouve même condamnée  à témoigner des indices de la paix qui  naît  boiteuse  et enveloppée de tensions et de trouble de manière à laisser prévoir  son  avortement précoce. Selon  les données du  roman.  Les Juifs d’Égypte ne constituent pas un  seul bloc  homogène.  Comme les adeptes de tout  autre religion, ils appartiennent à  des classes sociales variées et leurs statuts sociaux  diffèrent  entre le haut et le bas du  pavé :  certains d’entre eux sont richissimes et leur majorité appartient à la classe moyenne ou moindre. Lucie occupe  le fond de la classe moyenne  et  vit, dans un appartement du  quartier « Daher »,  avec son  mari, le petit  fonctionnaire, son  fils, Isaac, et sa fille, Yasmine. Sa famille ne fait pas partie des  riches familles juives  qui rayonnaient en  Égypte telles les familles Corel, Cicurel, Katawi, Baroukh, Mosseiri  et autres. » Les Juifs riches snobent les pauvres. Leur identité religieuse commune  ne conduit pas à combler les fossés  béants qui  séparent les classes sociales ou  à passer sous silence le  niveau  économique et la classification  sociale. Lucie  a des visées d’ascension  pour devenir  l’égale des juifs riches. « Elle aspire à  vivre, avec ses deux fils,   la vie des grandes familles juives  telles les familles Cicurell,  Katawi et Merzahi,  ces familles qui  montrent de l’arrogance vis à  vis des juifs eux-mêmes qui  vivent  à un niveau inférieur. » Le roman  de Ehsan  Abdel  Koudous reflète la propagation  d’une conception particulière  des Juifs qui  ancre la singularité  de leur caractère par rapport aux Egyptiens musulmans ou chrétiens.  Le romancier lui-même,  dans sa définition de la personnalité  de Zineb,  va jusqu’à dire que le judaïsme n’est pas une caractéristique  religieuse mais une manifestation  d’une certaine personnalité  qui  dépasse de loin  toute autre identité  à laquelle remonte le Juif.  Le Juif est Juif  d’abord pour ensuite être Juif français, américain  ou  russe. Même à  être naturalisé ou à  changer de religion,  il  est d’abord juif. S’il se tourne vers la religion chrétienne, il  est  Juif chrétien,  vers le bouddhisme, Juif bouddhique. Convertie à l’Islam, Zineb est  devenue juive musulmane. 

Une telle généralisation n’est pas saine ou  correcte à  100%. C’est  une confirmation  grave. Elle signifie que tout Juif  doit être différent ou  incapable de s’intégrer  dans sa société ou  d’y fusionner. A cela  s’ajoute qu’une telle définition s’applique à  des degrés  divers aux Musulmans et  Chrétiens qui  vivent en  tant que minorités dans d’autres sociétés  et  c’est alors  que la religion  devient une sorte de patrie. 

Du  monde romanesque d’Ehsan  Abdel Koudous, nous pouvons déduire un certain nombre  d’indices et de résultats importants qui  résument sa position  vis à  vis des Juifs. 

  • Premièrement : L’animosité  est vouée aux juifs pour la pure et simple raison qu’ils le sont. Le romancier refuse catégoriquement de sataniser la personnalité  juive  ou  de prétendre sa singularité  exceptionnelle et surhumaine. Les Juifs sont des hommes qui ne diffèrent  en  rien  des   adeptes des autres religions. Ils diffèrent les uns des autres dans leurs qualités, idées, opinions  comme dans leurs comportements de manière à nier  l’idée  d’une harmonie  absolue entre eux tous. Ils appartiennent à des classes hétérogènes entretenant entre eux un conflit  d’intérêts  et ne représentent  pas du tout  une seule classe sociale compacte.

 

  • Deuxièmement:  La distinction  doit être établie entre la sympathie à l’égard  du Juif en  tant que personne humaine et l’animosité vouée  à l’idéologie sioniste et à la politique  colonialiste  d’Israël car en  fait  la confusion n’est pas correcte  qui  conduit indubitablement  à  de graves conséquences catastrophiques qui  touchent autant les juifs que les autres nationalités. 

 

  • Troisièmement :   il existe une tendance à singulariser négativement  la femme israélienne  tant qu’elle opte pour nouer des relations sexuelles  libérées  de toute entrave,  morale, tradition ou  coutume  auxquelles sont soumis les Musulmans et les Chrétiens dans  la société égyptienne. 

 

  • Quatrièmement: Les juifs israéliens d’origine égyptienne ou arabe  sont les plus à manifester  la brutalité  et la tergiversation  dans leurs relations avec les citoyens d’hier  en  cas de confrontation  militaire; leur  comportement relève de la haine, de la rancune, de l’arrogance, de l’orgueil et  du mépris.

 

 

  • Cinquièmement:  le juif peut  se convertir  à l’Islam pour des raisons utilitaires. Il pourrait ne pas être pratiquant et  libre  de tout engagement  cultuel  relatifs aux rituels  de sa religion  mais le sentiment de son  judaïsme demeure très fort  car, pour  lui, la religion  est  plus sacré que la nation. 

 

  • Sixièmement :  la société égyptienne est tolérante  et ne connait nullement  la discrimination, la persécution  religieuse  ou ethnique. Partant  les Juifs jouissent  pleinement de leurs droits.  Néanmoins, l’intégration  et la fusion paraissent  toujours inaccessibles : ils sont  juifs avant  toute chose et  ne sont guère des citoyens égyptiens de souche.

   

  • Septièmement :  le monde de Ehsan  Abdel Koudous  rend hommage au  sérieux des Juifs,  à leur activité,  tonus et persévérance  et  manifeste un intérêt  objectif et neutre  vis à  vis de leur histoire et de leurs cérémonies. Le grand romancier  ne dissimule pas la sympathie humaine à leur égard. Néanmoins, l’approche politique manque de clarté : la question  est compliquée  et  accéder à la paix  est  un rêve qui  se rapproche de l’illusion. 

3-Kamal  Rahim: Dans sa trilogie, « Cœurs esquintés »,  « les jours de la diaspora »  et «  Les rêves du  retour », le romancier présente les textes romanesques les plus importants à dresser un  témoignage intégral  et conscient de l’Etat  qu’occupent les Juifs aujourd’hui dans la vie égyptienne  loin de tout excès émotif  factice  ou forcé. Nous   n’y trouvons aucun  brin de fanatisme, d’horizons étroits,  de préjugés ou  de jugements préétablis  comme l’absence bénigne  du flagrant ton politique idéologique. Le romancier enregistre d’abord une victoire pour l’homme. Les êtres humains sont les héros  de ses romans abstraction  faite de leurs  croyances religieuses.  Ces protagonistes sont un  amalgame du  bien  et  du mal, de la faiblesse et de la force  de l’amour  comme de la haine  et pour chacun  d’eux existe une part  consolidée et  une  autre incohérente  mais , en  fin  de compte, il  demeure  nécessairement  un homme ne  faisant  partie ni  du  monde des anges ni  de celui des démons. L’Egyptien  juif  Zaki Al Azra’a exerce le métier d’horloger, commun chez un  grand nombre d’Egyptiens juifs  comme il  entretient  de bonnes relations avec les habitants de la rue où il  habite comme avec ses boutiquiers. Son petit-fils Galal est musulman :  il  est la progéniture  du mariage  de sa fille avec un  Egyptien musulman. Zaki  jouit de la sympathie  de ses voisins  qui  ne vouent pas ce même sentiment à sa  mégère  de femme grossière et agressive. Ce trait distinctif  n’est pas religieux :  l’un  comme l’autre sont juifs;  il est  plutôt  humain et il est en  rapport avec le comportement et  son  stéréotype adopté au  cours des interactions quotidiennes.

Les Juifs d’Égypte- comme les montre Rahim dans sa trilogie-   sont une partie intégrante  du tissu  de la vie  de ce pays. Ils participent autant que les autres Egyptiens-  à  ses divers domaines  dont la musique et les chansons.  Dans une conversation  avec sa femme,  il évoque Naguib Al  Rihani  et son génie  pour passer ensuite à Laila Mourad et dire : « elle fait partie  d’une famille d’artistes : son frère Mounir,  et son  père Zaki Mourad. Comme il  avait  une belle voix.» 

Et,  il  soupire et reprend : « Et si  tu  écoutais sa chanson  « Pourquoi tu es embarrassée ? »  avec la composition  musicale de Daoud  Hosni »  Une famille artistique  juive : Zaki  Mourad, Laila et  Mounir  et le compositeur musical  Daoud Hosni, l’un  des génies de la musique  égyptienne qui  est juif  lui  aussi. Quant à  Zaki, il  est  un Egyptien  juif  et un exemple représentatif d’une grande partie de la communauté juive  qui  tient à rester  en  Égypte, leur seule et unique patrie. Suite  aux bouleversements politiques qu’a connus l’Égypte  après  la proclamation  de l’Etat d’Israël  et les conséquences et répercussions qui  s’ensuivirent,  Zaki s’est trouvé contraint à émigrer pour la France  où il y souffre de la vacuité  et du  non-sens : la vie  en  Égypte sur les deux plans matériel  et  psychologique est mille fois meilleure, pour lui, que celle qu’il  mène à Paris. Et  son petit-fils  Galal réagit  ainsi : « notre appartement  au  quartier Daher  était le paradis par comparaison  à l’appartement  où vit maintenant mon  grand-père. »

La grand-mère s’adapte à  son nouveau lieu de résidence par la feinte, le simulacre et  le « ton maniéré » de son  discours. Quant au  vrai  Egyptien Zaki,  il  se trouve dominé par le ressentiment et habité par la tristesse ;  de plus,  il  refuse catégoriquement de visiter Israël  qu’il ne reconnait pas comme une patrie alternative  pour les Juifs. Sa nostalgie pour l’Égypte est sans fin. Et,  son épouse Ivonne de dire :  « il  disait toujours qu’il  voulait garder l’Égypte jusqu’à la fin  de ces jours pour  y  être enterré. »

Egyptien  de souche, l’intègre grand-père Zaki nous présente ainsi sa  propre  vision objective des choses qui doit  être prise en  considération: « il  n’est pas juste de confondre entre le Juif,  l’Israélien  et le Sioniste. Ne sois pas injuste Galal  à leur égard : Les Juifs-  comme tous les êtres humains  sur terre-  comportent autant le  bon que le mauvais. Certains d’entre eux ont un  cœur d’or  qui bonde du  bien  et de la justice, suivant par-là les préceptes du  prophète Moïse. Certains d’entre eux ont abandonné la foi  et sont devenus des apostats qui usurpent l’argent et la terre d’autrui. » 

Cette généralisation  est  une erreur flagrante  et  cette pré-condamnation absolue  conduit à  des erreurs catastrophiques qui complique   davantage  les choses. Les Juifs  sont pareils aux adeptes des autres religions, L’animosité politique et intellectuelle vis à vis d’Israël  et  du sionisme -  symboles du  terrorisme et racisme-  ne veut pas dire d’adopter  une position identique vis à  vis du  l’important conglomérat  juif. Un grand nombre  d’entre eux ni  ne réside en Israël  ni ne porte sa nationalité ;  et  un pourcentage  non négligeable parmi  eux  rejette le sionisme  et dénonce leurs vices et défauts.

Il  n’est pas exagéré  de dire que Zaki  Al Azra’a est plutôt  une légende contemporaine qui  appelle notre attention  et notre longue méditation  afin de prendre conscience des traits et caractéristiques d’une tranche importante de la dernière des générations des Juifs d’Égypte. Jusqu’au dernier  jour  de sa longue  vie qui  s’est étendue pour  environ  quatre-vingt-dix ans, il  n’arrêtait pas de se  féliciter de son appartenance à l’Égypte.  Il  rêve de rentrer en  Égypte et  garde sur  lui les clefs de son  appartement qu’il  s’est trouvé  dans l’obligation  de le quitter dans la dernière  phase de la migration  des Juifs. Il  est né  en  1896, s’installe  à Paris alors qu’il  avait plus de soixante-dix ans. Comment un homme pareil  pourrait -il  y vivre en  harmonie et s’adapter à  son rythme de vie d’étranger  qui diffère énormément,  et dans tous ses détails, de celle à laquelle il  s’est habitué en Égypte  tout le long  de plusieurs décennies ? L’harmonisation est impossible non  seulement  à cause de son  âge avancé mais également  parce qu’il  est un véritable Egyptien   qui  ne connaît d’autre patrie que  l’Égypte, Sa loyauté pour cette première patrie et terre  natale est restée intacte  sans la moindre sympathie  pour le sionisme  ou pour Israël. Il  va même jusqu’à  se déclarer disposé à participer à la guerre contre l’Etat  juif  qu’il ne  reconnaît pas. « C’est  moi Zaki  fils d’Isaac,  fils de Joseph,  fils de Haroun fils de  Al Azra’a. Tous sont  nés en Égypte et y  ont vécu pour ne jamais la quitter pour partir ni vers la droite ni  vers la gauche ». Quelle autre loyauté  pourrait-elle dépasser sa loyauté pour sa patrie ?!