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Politique - Société

Fuites du régalien : la nature a horreur du vide

Le Dialogue

Le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, assiste à un débat sur le projet de loi sur la "sécurité globale", à l'Assemblée nationale à Paris, le 20 novembre 2020. L'Assemblée nationale française a entamé l'examen d'un projet de loi proposé par la majorité parlementaire LREM-Agir sur la "sécurité globale". », qui propose une panoplie de mesures pour consolider la police municipale et le secteur de la sécurité privée, mais aussi des dispositions pour mieux protéger les forces de l'ordre, victimes d'une série d'agressions. L'une des mesures entend "interdire l'utilisation malveillante" de l'image "ou de tout autre élément d'identification" des policiers et gendarmes en intervention, qui serait passible d'un an d'emprisonnement. /AFP/Bertrand GUAY

 

La France fait face à une double-menace qui pourrait la prendre en étau : d’une part le caïdat des trafiquants, les islamistes et l’entrisme communautaire qui font la loi dans les zones de non-droit, d’autre part, l’État qui cherche à rendre étanche son continuum de sécurité, mais prend parfois des décisions qui mènent à un résultat inverse, créant des anfractuosités régaliennes… Or, la nature a horreur du vide !

 

Il était une fois un pays qui avait lentement relâché sa garde et en avait payé le prix du sang : la France a essuyé des tueries de masse islamistes sans précédent sur son territoire, principalement commises entre 2012 et 2016. La sécurité intérieure a dû adapter sa réplique avec de nouvelles doctrines, tandis que, sur le plan extérieur, le projet terroriste de l’État Islamique a été en grande partie contrecarré, annihilé dit-on même parfois… ce qui reste à démontrer. 

Le fait est que les experts du renseignement intérieur estiment pour le moment peu probable qu’une cellule terroriste islamiste pilotée depuis la zone Proche-Orient/Asie mineure puisse rééditer ce type d’attaque. Pourtant, entre les Jeux olympiques de Paris en 2024 et la coupe du monde de rugby en 2023, les échéances à risque ne manquent pas pour la France. 

Partant de ce constat, selon un haut-fonctionnaire du renseignement, la menace du loup solitaire est celle qui inquiète le plus les services : un individu non-projeté, grandi dans le pays qu’il vise, islamiste radicalisé sans entraînement militaire, mais qui frappe au gré de sa folie, avec une arme blanche ou un véhicule, par exemple… car la pathologie mentale n’est pas incompatible avec la radicalisation islamiste.

Pour le moment, le dernier homicide portant une revendication clairement islamiste sur le territoire national demeure l’assassinat d’Yvan Colonna par un co-détenu en mars 2022 à la prison d’Arles. L’auteur des faits, Franck Elong Abé, avait été remis à la justice française par les Américains en 2014 après son interpellation en Afghanistan en 2012 lors d’un coup de filet contre les Talibans. Cet homme, qui a refusé les soins psychologiques en prison, avait donc bien reçu un entraînement militaire au Proche-Orient. Mais son mode opératoire correspond en partie à ce que les experts s’accordent à décrire (en off) comme un “attentat du pauvre” : l’opportunisme, la revendication bricolée à la va-vite et l’armement fait-maison, voire inexistant dans le cas de l’attaque contre Colonna qui a été étranglé et a succombé à ses blessures trois semaines plus tard après un long coma.

La garde de la France serait donc bien levée contre la menace islamiste selon les experts du renseignement intérieur, ils concèdent, toutefois, qu’on peut difficilement prévoir l’action d’un islamiste radicalisé en solo qui utilise une arme artisanale. Dont acte : si les assassinats islamistes et les tentatives continuent de se produire à intervalle régulier sur le territoire, les tueries de masse des années 2012 à 2016 semblent pour l’instant contenues.

 

De la tenaille identitaire à la tenaille sécuritaire

S’il fallait s’en remettre aux théories en vogue au Printemps Républicain, l’islamisme constituerait une des deux mâchoires de la fameuse “tenaille identitaire”, tandis que l’autre serait représentée par les groupes identitaires des “Français de souche”. Le simple Français lambda, le pauvre !, serait quant à lui pris en tenaille et poussé à choisir un camp.

Mais, pour pousser la réflexion un peu plus loin, on pourrait aussi s’interroger sur ce que ces années éprouvantes disent de notre sécurité intérieure. On pourrait même se demander si l’intégrité régalienne française n’est pas menacée en partie par son propre fonctionnement. Car si les malfaisants profitent de la culture démocratique de la France et peut-être d’une réponse pénale inadaptée, propice à tous les trafics et à l’entrisme communautaire, il conviendrait de questionner notre philosophie d’emploi en matière de sécurité intérieure. Les Français ne sont-ils pas victimes d’une tenaille de l’insécurité ? D’une part, ils subissent les assauts d’une violence de plus en plus débridée au quotidien et d’autre part, ils font les frais d’une culture régalienne appauvrie, poreuse, passoire, qui fuit de partout, surtout dans les quartiers, mais aussi dans les campagnes, dorénavant, où les trafiquants installent leurs business et où, comme de juste, l’actuel locataire de l’Élysée entend envoyer des populations exogènes.

Un petit détour par l’histoire contemporaine peut éventuellement éclairer la situation actuelle.

 

Sarkozy arrive avec Human bomb et repart avec Merah

Le 13 mai 1993, les Français découvrent le maire de Neuilly lors de la prise d’otage d’une école maternelle par l’assaillant qui se fait appeler “Human bomb”. Dès son arrivée sur les lieux, Nicolas Sarkozy prend le contrôle des caméras et des projecteurs, se met en scène et, selon des témoignages critiques, “s’impose” dans le processus de libération des bambins otages. 

La suite de l’hégémonie sarkozyste est connue : rien ne résistera au magnétisme du nouvel homme fort de la droite, de Beauvau à la présidence de la République, la “magistrature suprême”. Mais au fil de son parcours politique très marqué par l’agitation du spectre sécuritaire, Nicolas Sarkozy creuse un sillon paradoxal : celui du naufrageur de la sécurité intérieure à la française. Il serait malhonnête de le rendre responsable de tous les malheurs qui ont accablé les Français depuis les années 1990. Mais depuis le fauteuil de Clemenceau jusqu’au palais de l’Élysée, l’ancien président a cumulé les postures belliqueuses contre “la racaille”... tout en détricotant l’épais mantelé de la maréchaussée. Ainsi, cette carrière politico/médiatique commencée en héros de prise d’otage se finira presque 20 ans plus tard avec la tuerie de Toulouse perpétrée par le terroriste islamiste Mohammed Merah, quelques semaines avant la fin du mandat de Nicolas Sarkozy.

Entre-temps, quelles grandes innovations sécuritaires trouve-t-on sur le chemin de ce drôle président ? La restructuration des services de renseignement intérieur a été plus d’une fois décrite comme chaotique, la baisse d’effectifs en police nationale n’a toujours pas été digérée par les fonctionnaires qui s’en souviennent et la maison police peine encore à retrouver ses marques. Certains syndicalistes policiers de l’époque sont également très critiqués par leurs successeurs pour les petits arrangements dont ils ont pu bénéficier. Surtout, vieille antienne de la gauche républicaine, Nicolas Sarkozy est retenu comme le bourreau de la police de proximité et, partant, du lien police/population.

Il faut décrire ce parcours politique marqué par les coups de menton et le passer au prisme sécuritaire parce qu’il contient, en germe, ce qui a suivi avec François Hollande et Emmanuel Macron. Nicolas Sarkozy n’est peut-être que le symptôme d’un changement d’époque, d’une nouvelle philosophie de l’emploi de la fonction publique. Mais le petit homme agité participe à sa façon d’un contexte, d’une toile de fond. En une dizaine d’années, une dizaine de ministres se succèdent à Beauvau, comme si le siège de Clemenceau était devenu éjectable. La fonction publique est maltraitée, les policiers (à l’instar des personnels hospitaliers) en font rapidement les frais, ainsi que la qualité de leurs services.

Dans le style sarkozyste, malgré la valse des ministres de l’Intérieur, on retient tout de même Manuel Valls avec ses fameuses Zones de sécurité prioritaires (ZSP) dont certains gardent un aimable souvenir, tandis que d’autres estiment qu’elles ont seulement déplacé la délinquance d’une zone à une autre. 

 

Un long enlisement sécuritaire

Pendant toutes ces années, la sécurité publique s’enfonce, la focalisation du spectre sécuritaire se braque crûment sur le djihadisme et, petit à petit, un certain nombre de flics du quotidien perdent la foi. Ils se rebellent même : le fait-divers des deux policiers brûlés au cocktail molotov à Viry-Châtillon (Essonne) par une vingtaine d’individus en octobre 2016 déclenche une bronca dans les rangs de la maison bleue. L’administration est aux abonnés absents, les syndicats loupent totalement le rendez-vous et des associations se créent alors spontanément, en dehors de tout cadre syndical : légitimement écœurés, les “policiers en colère” défilent cagoulés dans les rues de Paris. Ils marchent même jusqu’à la place Beauvau. Leur indignation a fière allure. Elle durera longtemps, certaines associations continuent même d’exister à ce jour.

Mais, malgré la colère policière, la dégradation du cadre régalien est en marche, il ne cesse de fuir et de verser de toutes parts. L’arrivée de Macron au pouvoir ne rassure pas les policiers : il ne s’intéresse absolument pas au sujet. Les fonctionnaires ont bien saisi qu’il n’était pas homme à s’abaisser pour échanger avec le pauvre petit fonctionnaire de la sécurité intérieure. Emmanuel Macron est un homme d’ailleurs, le regard rivé sur le commerce international, la diplomatie, les projets européens. A peine s’intéresse-t-il à la question djihadiste, qu’il pense pouvoir régler à l’extérieur avec l’aide américaine et à l’intérieur en remettant les jeunes au service militaire… enfin au SNU. Le mirage naïf de la hollandie continue son œuvre destructrice : “faire France”, “faire nation” avec toutes les populations d’Afrique, du Maghreb, du Proche-Orient et d’Asie mineure, qu’elles entrent toutes sur le territoire, elles sont bienvenues !

Dès 2017, le fauteuil de Clemenceau est traité comme il l’a trop souvent été par le passé : une récompense pour remercier les soutiens de la campagne présidentielle. Autant admettre tout de suite qu’il ne s’y passera pas grand-chose. Gérard Collomb, le lyonnais est donc remercié pour avoir rabattu la bourgeoisie de la capitale des Gaules en direction du candidat du nouveau monde. Bel exemple : débordé par le scandale (sécuritaire) de l’affaire Benalla, il jettera l’éponge après seulement une année d’exercice, puis perdra la métropole lyonnaise où il avait été le grand patron… débordé cette fois par le vote communautaire qui choisira le laxisme EELV. 

Collomb aura à peine eu le temps d’initier la police de sécurité du quotidien, un chantier qu’il a laissé au désastreux Castaner, lui-même remercié avec l’hôtel de Beauvau. Ce fidèle parmi les fidèles aurait d’ailleurs fait des pieds et des mains pour obtenir ce ministère convoité, selon quelques fâcheux s’exprimant dans la presse. Mauvais signal pour les flics : on lui concède le fauteuil du Tigre mais on rétrograde son ministère dans l’ordre régalien et on lui adjoint le techno Laurent Nunez, pour l’encadrer. 

 

Dijon : l’incarnation de de la fuite régalienne

Ces choix discutables qui s’enchaînent avec l’avènement de Macron mèneront tranquillement la France dans une ornière sécuritaire dont les effets ne tarderont pas à se faire jour : la gestion désastreuse de la révolte populaire des Gilets jaunes va durer un an, d’un samedi à l’autre. 

Puis, en juin 2020, arrive un fait-divers notable qui affirme, s’il était encore besoin de le dire, que la France a perdu les pédales de sa sécurité régalienne. Après une série d’escarmouches entre les communautés tchétchènes et maghrébines à Dijon, le conflit se règle de façon communautaire dans une mosquée. La paix se négocie sous le sceau islamique entre des populations exogènes, mais sur le territoire national ! 

Depuis longtemps, des policiers lanceurs d’alerte nourrissaient les journalistes de leurs analyses de terrain en révélant qu’à Marseille, des tribunaux de caïds du trafic de stup faisaient la loi eux-mêmes, jugeant leurs coupables et administrant la sanction dans les caves des quartiers Nord de la cité phocéenne. Du membre fracturé à la décapitation en passant par le règlement de compte au “barbecue”, consistant à faire brûler le cadavre d’un rival dans son véhicule volé… le caïdat islamo-trafiquant avait la mainmise sur l’état de droit.

La nature ayant horreur du vide, les trafiquants se sont substitués à la loi de la République et l’ordre régalien n’est devenu qu’un lointain souvenir pour les malheureux habitants de ces cités dont la préfète de police (des Bouches-du-Rhône) assure que la République est partout chez elle. Difficile de la croire quand les témoignages journalistiques démontrent par A+B que les trafiquants ont installé des checkpoints à l’entrée de certaines de ces cités.

Réplique de la macronie ? L’administration cherche des solutions : Beauvau crée en juillet 2021 une nouvelle compagnie républicaine de sécurité, la CRS8, également nommée force d’action rapide (FAR) pendant un temps et surnommée, “super CRS” dans la presse. En théorie, ces fonctionnaires de choc sont censés être mobilisables en moins de quinze minutes pour être projetés dans un rayon de 300 kilomètres et faire face à tout phénomène de violences urbaines. La réponse au scandale dijonnais arrive avec une année de retard. Mais avec la cruauté du métronome, les attentats islamistes s’enchaînent sur tout le territoire, tandis que les Antilles s’enfoncent dans l’insécurité et le trafic en tous genres. Et le régalien de fuir, fuir, fuir.

 

Darmanin, simple câlinothérapeute des policiers ?

Victime de ses propres turpitudes et d’un effet retard de la colère policière enfin captée par les syndicats traditionnels, Castaner finit par se faire remplacer en juin 2021 par Darmanin. Le territoire français n’est pas encore à feu et à sang, mais Emmanuel Macron commence peut-être à comprendre que sa réélection est dorénavant menacée par son mépris très hollandien du sujet de la sécurité intérieure. Il muscle enfin son jeu. 

Le maire de Tourcoing, formé aux écuries Sarkozy, s'agite à Beauvau. Il s’adjoint les services d’un excellent conseiller social, Alexandre Brugère. Les rapports avec les syndicats de police s’adoucissent, malgré quelques manifestations de “colère policière” réchauffée. Convoqués aux tables rondes du Beauvau de la sécurité, les corps intermédiaires comprennent qu’ils ont l’avantage de la négociation s’ils manœuvrent finement. 

Gérald Darmanin semble conscient de la dégradation du lien entre le gouvernement et les policiers. Il les bichonne, leur fait des petites blagues. Surtout, par sa faculté d’écoute, il s’impose comme un médiateur entre les flics et le président de la République. Il saisit rapidement qu’il existe en police nationale un certain nombre de cinquièmes roues du carrosse. Les policiers de nuit, les policiers administratifs techniques et scientifiques, les policiers du judiciaire (PJ et OPJ de commissariats) ... la liste est longue. Il faut tout rénover, acheter de nouveaux véhicules, rétablir les policiers du quotidien dans l’honneur de leur fonction. Il s’y attelle avec un certain talent et une bonne dose d’argent magique. Petit à petit, la colère se tempère.

Hélas, le vicieux engrenage a commencé à tourner bien avant que Gérald Darmanin ne passe le baccalauréat (comme il le rappelait lui-même aux syndicalistes au mois de janvier) et le mal est fait. La défiance entre policiers et gouvernements successifs est bien installée, elle est tenace. Certains n’hésitent plus à dire haut et fort que “si on avait voulu privatiser la police, on ne s’y serait pas pris autrement, quand on veut abattre son chien, on dit qu’il a la rage”. 

Il s’agit de la fuite régalienne la plus insidieuse car elle est insufflée directement par le pouvoir central. Les policiers le constatent quand ils sont mis face au fait accompli : les enquêteurs ont d’ailleurs bien identifié le danger de la réforme de la police nationale que le gouvernement tente de faire passer en force par la voie réglementaire, sans réelle consultation législative.

L’esprit de cette réforme DDPN est ainsi synthétisé par le directeur général de la police nationale lui-même : un directeur de la police doit pouvoir communiquer avec un seul chef par département. “C’est peut-être un peu militaire” concède-t-il… On pourrait aussi faire une autre analyse : si une abondance de chefs locaux mène à une dissonance d’encadrement sur le territoire, fallait-il colmater une fuite régalienne ? Par ailleurs, si l’administration centrale et le gouvernement ont posé ce constat, la solution proposée est-elle la meilleure ? 

 

“Du bleu dans la rue”

On sent, à travers cette tentative, l’empressement d’Emmanuel Macron à resserrer son emprise managériale sur les petits fonctionnaires. A force de déclencher le signal d’alarme, les policiers ont-ils agacé le magistrat suprême ? Le président en campagne s’est adonné sans conviction au jeu de la danse du ventre auprès des flics, il l’a fait a minima. A peine avait-il eu quelques mots émus pour les policiers assassinés par des islamistes de tout poil à Paris et à Rambouillet, qu’il annonçait vouloir voir du “bleu dans la rue”. 

Mais, comme ironisait récemment le porte-parole de la dernière association de policiers en colère : “Il parle de bleu dans la rue, mais il ne dit pas ce qu’il y aura marqué sur le dossard…” Ce que sous-entendait par-là ce truculent militant, c’est qu’à son sens, seules valent les mentions “police nationale” ou “gendarmerie nationale”. Si les policiers nationaux collaborent sans difficulté avec les policiers municipaux et apprécient ce travail d’équipe, il ne faut pas non plus oublier qui est le patron du policier municipal : le maire… selon les budgets votés et les moyens dont la commune dispose, selon l’idéologie de l’élu parfois, voire selon sa volonté d’user de clientélisme électoral, ce dernier pourra choisir de doter ou non ses agents d’armes létales, d’une unité cynophile ou de personnels dédiés à la vidéosurveillance. Mais ses choix pourront aussi aller à l’inverse et les premiers à faire les frais de ces choix seront les habitants de la commune. Il y aura bien du bleu dans la rue, mais la mission du “bleu” en question échappera presque complètement à la volonté du président de la République française.

Par ailleurs, certains flics craignent déjà le spectre, agité ici ou là, d’une privatisation partielle des missions de police, d’autres déplorent l’emploi d’étudiants formés en trois semaines et avec un permis temporaire du CNAPS pour sécuriser les abords des sites des Jeux olympiques 2024. Certains policiers voient également d’un mauvais œil le recrutement de policiers réservistes venus de la société civile pour suppléer aux forces de police conventionnelles. Que pourront faire ces voisins vigilants 2.0 face à un terroriste ? Prévenir, renseigner, s’interposer ?

 

Les enseignements de l’histoire et de la géographie

Pour analyser ces phénomènes et leurs contempteurs, faisons un pas de côté, voire deux. D’une part, il y a les livres d’histoire : la France est un pays viscéralement républicain, qui goûte fort peu l’éparpillement de l’autorité régalienne. C’était vrai dès l’origine de la République française, une de nos constitutions en fera même un principe cardinal censé prémunir le citoyen de la lettre de cachet. Le régalien appartient à l’État et l’affaire Benalla elle-même est venue le rappeler encore une fois dans l’histoire récente. Ceux qui s’en écartent le paient très vite et chèrement.

D’autre part, on peut jeter un petit coup d'œil à l’étranger : des pays voisins comme l’Espagne, la Suisse ou la Belgique et d’autres plus éloignés, comme en Europe centrale, ont intégré depuis longtemps le secteur privé dans leur “continuum de sécurité”. La notion elle-même de continuum a fait une entrée remarquée dans le débat public hexagonal avec la mission parlementaire menée par les députés marcheurs Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot en amont de la loi Sécurité globale. Spontanément, certains policiers se sont méfiés de ce projet trop tourné, à leur goût, vers le secteur privé… 

Paradoxalement, les acteurs de la sécurité privée trouvent, pour leur part, que la loi Sécurité globale ne leur apporte que des nouveaux problèmes, notamment au sujet du recrutement. S’agit-il d’une fragilisation du régalien qui bénéficierait à quelques-uns au détriment de nombreux autres ? Ou bien au contraire la loi n’est-elle pas allée assez loin, au regard des prochains grands défis sécuritaires (Coupe du monde de rugby et JO) ? La réponse arrivera bien assez tôt à l’épreuve du réel. 

En attendant, on peut dresser le constat que le gouvernement cherche des solutions à court-terme, moyen-terme et long-terme pour améliorer sa résistance face à la pression qu’exercent les trafics, l’islamisme et l’entrisme communautaire sur le territoire. Le remède ne sera pas pire que le mal, mais le luxe de repousser les réparations à demain a disparu : les rustines ne suffisent plus pour colmater les fuites régaliennes et la France ne peut plus se permettre de nouvelles crevaisons, qu’elles soient le fait des caïds ou des hauts-fonctionnaires qui ont leur rond de serviette au club de La Reynie, la célèbre fraternelle du ministère de l’Intérieur. Qui veillera à s’assurer que “plus de bleu dans la rue” ne devienne pas synonyme d’une fragmentation du pacte républicain ? Où est l’étude d’impact ? Quel sera le retex ? La sécurité de demain a commencé à se construire hier.