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Monde

Taïwan et la Chine Je ne peux pas faire sans toi, mais avec toi, j’ai peur (bu neng meiyou ni, you ni wo you pa)

Le Dialogue

La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi (au centre), salue les journalistes lors de son arrivée au Parlement à Taipei le 3 août 2022. (Photo de Sam Yeh / AFP)

 

La visite à Taiwan en aout 2022 de Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des représentants, la plus haute personnalité américaine s’étant rendue officiellement à Taipei depuis 25 ans, a déclenché la colère de Pékin, démontrant une fois de plus que pour la Chine le dossier de sa relation avec l’Ile est plus identitaire et politique que militaire et économique.

Pour Pékin, cette visite est une démarche visant à la remise en cause du principe et de la politique américaine d’une « Chine unique », affirmé lors de la signature du communiqué conjoint sino-américain de Shanghai le 28 février 1972, dans lequel Washington a reconnu la position de la Chine selon laquelle il y a « une seule Chine et Taïwan en fait partie ». Aux yeux de Pékin, les États-Unis ont décidé d’utiliser Taïwan comme outil pour affaiblir et diviser la Chine. Les tendances politiques internes de Taïwan ont amplifié les inquiétudes de Pékin. Le Parti du Kuomintang, historiquement pro-chinois, a été marginalisé, tandis que le Parti progressiste démocratique, parti qui prône l’indépendance, a consolidé sa position électorale.

La réaction militaire de Pékin et les déclarations des autorités militaires américaines font craindre que l’option militaire devienne inévitable. Déjà en 2021, se fondant sur les capacités militaires de la Chine, l’amiral Philip Davidson, alors à la tête du Commandement indopacifique des États-Unis, a prédit que Beijing pourrait prendre des mesures militaires contre Taïwan « au cours des six prochaines années ». En août 2022, l’ancien Sous-secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis, Elbridge Colby, a écrit, que les États-Unis doivent se préparer à une guerre imminente contre Taïwan. 

Pékin a donné du poids à ces déclarations en déclenchant dès l’annonce de la visite de Nancy Pelosi, ses plus importants exercices militaires autour de l'île depuis des décennies. Tokyo affirme que quatre des cinq missiles balistiques tirés par Pékin auraient survolé Taïwan. Depuis les provocations de part et d’autre se multiplient : le 28 aout, 2 navires de guerre américains transitent dans le détroit de Taïwan que Pékin considère comme ses eaux territoriales. De son coté Taïwan affirmait que 68 avions de chasse chinois et 13 navires de guerre avaient franchi vendredi la "ligne médiane" du détroit de Taïwan, lors des gigantesques manœuvres organisées par Pékin, dénonçant le coté hautement provocateur de ces actions. Récemment encore, Pékin dit avoir mené, le dimanche 25 décembre, des exercices militaires près de Taïwan en réponse aux "provocations" et à la "collusion" entre les États-Unis et les autorités de l'île.

Par ailleurs, certains observateurs soulignent que Pékin pourrait être tenté d’imiter la Russie en profitant du fait de l’engagement américaine en Ukraine.

Pourtant on ne voit pas pourquoi la Chine aurait intérêt à briser le statu quo actuel qui répond au principe des « deux systèmes dans une seule Chine » déjà utilisé pour Hong-Kong même si la mise au pas récente de Hong-Kong a totalement dévalorisé ce concept auprès des Taiwanais.

Des relations économiques profitables pour les deux parties

Depuis les années 1990, les entreprises taïwanaises ont profité de l’ouverture économique de la Chine. Les petites et moyennes entreprises taiwanaises disposant de peu de ressources financières et technologiques se sont ruées vers la Chine où elles sont arrivées les premières. Sans la barrière de la langue, connaissant les pratiques locales qui permettent de fluidifier les procédures administratives, en mesure de former rapidement la main-d’œuvre chinoise dont elles parlent la langue, faisant venir les équipements nécessaires voire les matériaux d’un Taiwan tout proche, elles y ont fabriqué leurs produits puis les ont exportés le plus souvent via Hong Kong. Certaines ont connu un développement exceptionnel comme « Ting Hsin » ou « Honghai via son groupe « Tingyi » (Dingyi) et sa marque « Kang Shih Fu » qui a conquis rapidement une partie importante du marché chinois des nouilles. D’autres, comme le groupe « Fushikang » (Foxconn), sous-traitant de nombreuses grandes marques de l’électronique (dont Apple pour la fabrication de l’iPod), est devenue l’une des plus importantes entreprises exportatrices de Chine avec un nombre d’employés dépassant le million. De même il était plus facile pour les entreprises occidentales de trouver un distributeur de leurs produits à Taïwan où à cette époque l’anglais était largement pratiqué, que d’installer une filiale en Chine. Ainsi le groupe Bull où j’ai travaillé pendant 4 ans de 1990 à 1994, y vendait ses ordinateurs via un distributeur taiwanais.

Ainsi, le commerce extérieur international a été le moteur de la croissance rapide de Taiwan au cours des 40 dernières années. Il a représenté plus de 62% du PIB de Taïwan de 2015 à 2018 (OMC, 2020). Aujourd’hui encore, les principaux partenaires d'exportation sont la Chine continentale et Hong Kong (40 % du total), les pays de l'ASEAN (18,3 %), les États-Unis (12 %), l'Europe (9 %) et le Japon avec 7 % (Trading Economics, 2022). La Chine a bénéficié de ce savoir-faire dans les composants électroniques et d’une main-d’œuvre qualifiée par les entreprises taiwanaises qui lui ont permis, notamment dans la défense, avec l’apport technologique russe en matière aérospatiale, de rattraper rapidement son retard sur les forces militaires occidentales.

Tout conflit sur Taïwan serait un handicap certain pour le développement de la Chine, qui est à la moitié du gué. Ce serait une rupture avec l’image historique d’une Chine qui n’a dans le passé jamais entrepris directement une guerre de conquête. Elle conduirait les pays asiatiques voisins à s’armer et à s’allier avec les occidentaux. Elle mettrait en cause l’accès de Pékin aux marchés mondiaux ce qui serait pénalisant pour un pays importateur d’énergie, de matières premières agricoles et de haute technologie. La mise en autonomie, ou le remplacement des voies maritimes par des partenaires accessibles par les seules voies terrestres demandera 5 à 10 ans d’efforts notamment pour les besoins des secteurs stratégiques

En fait, aujourd’hui et à l’échéance de 2030, il n’y a aucune preuve vraiment convaincante que la Chine ait arrêté un calendrier pour s’emparer de Taïwan. L’alerte qui prévaut à Washington est d’après moi principalement motivée par les capacités militaires croissantes de la Chine, plutôt que par un faisceau d’indices convergents amenant à penser que Xi Jinping se prépare à attaquer l’île et par l’amplification coutumière de la menace par le complexe militaro-industriel, qui lui permet de justifier toujours plus de dépenses. 

Cela dit, il est légitime de se demander si les inspirateurs de la politique étrangère des Etats-Unis ne souhaitent pas appliquer à la Chine et Taïwan, la même stratégie de provocations distillées sur le long terme mais qui a fini par conduire la Russie à l’agression en Ukraine et à la couper de ses débouchés naturels vers l’Union Européenne.

 

[1] Cf. Lai Tianju, « Taiwan guodu yilai Zhongguo ? » (Est-ce que Taiwan dépend trop de la Chine ?), Tianxia zazhi, n° 430, septembre 2009, p. 147.