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Monde

Hezbollah-Hamas : une lune de miel en dent de scie

Le Dialogue

Des partisans du mouvement chiite libanais Hezbollah, se rassemblent pour regarder sur grand écran un discours du chef du groupe Hassan Nasrallah, dans la banlieue sud de Beyrouth le 14 avril 2023, à l'occasion de la Journée d'Al-Qods (Jérusalem), une commémoration en soutien du peuple palestinien célébrée chaque année le dernier vendredi du mois de jeûne musulman du Ramadan. Photo : ANWAR AMRO/AFP.

 

En réponse aux hostilités croissantes à Jérusalem, le 6 avril dernier, des dizaines de roquettes ont été tirées depuis le sud du Liban vers Israël. Cette action s’inscrit dans le sillage d’un réchauffement des relations entre le Hamas et le Hezbollah. Après plusieurs années de brouilles sur le dossier syrien, les deux milices islamistes semblent de nouveau s’accorder sur leurs objectifs régionaux. 

Un axe sunnite-chiite aux portes d’Israël ? En représailles à l’irruption de la police israélienne dans la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, coup sur coup le Sud-Liban, Gaza et la Syrie ont tiré des roquettes en direction de l’Etat hébreu. Si dans les faits, cette attaque conjointe est surtout symbolique et à faible portée militaire, elle représente toutefois la personnification d’un encerclement redouté par les autorités israéliennes. 

Dès le lendemain, le 7 avril l’aviation de Tsahal a ciblé l’enclave gazaouie ainsi que le sud du Liban. L'accrochage frontalier, non revendiqué jusque-là, a été imputé par Israël au mouvement islamiste palestinien du Hamas, dont le chef du bureau politique Ismaïl Haniyé se trouvait alors à Beyrouth. Le 10 avril, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, en grande difficulté sur le plan interne, avait assuré qu'il ne « permettra pas au Hamas terroriste de s'établir au Liban », et promis de « restaurer la sécurité » dans son pays en agissant « sur tous les fronts ». Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait en effet théorisé dans un récent discours l’importance d’une « unité des fronts » contre Israël. 

Cette recrudescence des tensions n’est pas un épiphénomène à l’échelle de la région, il confirme le renouveau d’un front Hamas-Hezbollah qui avait du plomb dans l’aile depuis une décennie. 

 

Un mariage de raison 

L’avènement de la République islamique iranienne en 1979 a renversé les alliances préexistantes au Moyen-Orient. Faisant de la lutte contre Israël et les intérêts occidentaux son leitmotiv, l’Iran a façonné un réseau d’alliances embryonnaires dès le début des années 1980. Profitant du chaos libanais et de l’intervention israélienne en 1982, Téhéran a dépêché des Gardiens de la Révolution, en accord avec Damas, pour créer une future milice chiite combattant les forces de l’occupation de l’Etat hébreu. C’est dans ce contexte que le Hezbollah vit le jour. 

Voulant embrasser la cause palestinienne pour assoir une certaine popularité aux yeux des masses arabes sunnites et se défaire de cette étiquette panchiite, l’Iran va également s’immiscer dans la formation d’un nouveau front contre l’Etat hébreu. Même si Téhéran ne participe pas officiellement à la création du Hamas en 1987, les services iraniens vont commencer à envoyer des armes et de l’argent au mouvement gazaoui dès les années 1990. La milice islamiste sunnite proche des Frères musulmans va d’ailleurs ouvrir un bureau politique dans la capitale iranienne. De surcroît, des combattants gazaouis vont être formés dans des camps en Iran ou au Liban. 

Dès lors, le Hamas et le Hezbollah sont devenus les deux faces d’une même pièce. Au gré de la conjoncture, l’Iran se servira de ces deux partis pour maintenir une pression sur Israël.  

Les premiers contacts officiels entre les deux groupes islamistes remontent à 1992 lors de l’expulsion de centaines de Palestiniens du Hamas et du Djihad Islamique dans le camp de Marj el-Zohour au sud-Liban en 1992. Les relations se sont renforcées compte tenu de la fermeture des bureaux de la milice gazaouie en Jordanie en 1999. Khaled Mechaal, chef du mouvement islamiste de la bande de Gaza, prend alors ses quartiers à Damas. En 2000, le mouvement gazaoui ouvre un bureau à Beyrouth

A cette époque, la Syrie occupe le Liban et Hafez el-Assad entend bien contrôler le Hezbollah et le Hamas à des fins politiques. Mais c’est véritablement l’Iran qui est le maître du jeu. Outre le financement aux deux milices, coup sur coup Téhéran apporte un soutien militaire lors de la deuxième intifada (2000-2005) et davantage lorsqu’Israël se retire de Gaza en 2005. 

 

Guerre en Syrie : le début d’une rupture  

Mais cette relation va se détériorer à l'aube des « printemps arabes » et notamment de la situation tendue en Syrie. Dès 2012, le chef du bureau politique du Hamas à l'étranger Khaled Mechaal fait ses valises et quitte Damas pour Doha, principal sponsor des soulèvements arabes. Le dirigeant du mouvement islamiste palestinien prend officiellement fait et cause pour les insurgés syriens lors d'un discours en Turquie en septembre 2012. L’ascension de Mohamed Morsi en Egypte est venue renforcer leurs espoirs de parvenir à insuffler un vent révolutionnaire islamiste sunnite à l’échelle de la région. La même année, le Cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani est le premier chef d'Etat à se rendre dans le territoire palestinien depuis que le Hamas en a pris le contrôle en 2007 et promet une aide de 400 millions de dollars. A l’aune des changements régionaux de la nouvelle décennie, le Hamas passe davantage sous le giron qatari pour des raisons communautaires.

D'après certaines sources proches du Hezbollah et du gouvernement syrien, les brigades Izz al-Din al-Qassem, branche armée du Hamas, auraient participé de manière active à la guerre en Syrie aux côtés des rebelles et des djihadistes. Plusieurs miliciens auraient notamment supervisé l'entraînement des Brigades Al-Waleed et de la Brigade Al-Farouq dans des combats contre le Hezbollah et l'armée loyaliste syrienne lors de la bataille de Qussaïr à la frontière libanaise en mai 2013. Ils auraient notamment partagé leur expertise en matière de construction de tunnels. La même année, la prêche de l'imam frériste Youssef al-Qaradawi à la mosquée al-Doha en présence de Khaled Mechaal provoque l'ire de Téhéran et du parti chiite libanais. Le cheikh égyptien qualifie la milice libanaise de « parti de Satan » et la République islamique d'«alliée du sionisme». Résultat, l'Iran divise par deux son aide financière au Hamas et les sept bureaux du mouvement palestinien à Beyrouth sont fermés.  

Mais la radicalisation de l'opposition syrienne, la prise par Daesh du plus grand camp palestinien de Syrie Yarmouk en 2015 ou encore la tiédeur des relations avec « l'axe de la résistance » poussent le Hamas a revoir sa copie et à renouer avec Téhéran et le Hezbollah. La convergence des intérêts à savoir la lutte contre Israël prend le dessus sur les divergences passées. De surcroît, compte tenu de l’échec du camp frériste au Moyen-Orient, de la Tunisie à l’Egypte en passant par la Turquie, le mouvement sunnite de Gaza a finalement repris le chemin de Damas en octobre 2022, grâce à la médiation du parti d’Hassan Nasrallah.

Toutefois ce réchauffement avec la Syrie de Bachar el-Assad ne fait pas consensus auprès de la population gazaouie, une partie étant acquise à la cause de l'opposition syrienne. Deux camps se font plus ou moins face, l'un plutôt favorable au Qatar et donc enraciné dans un rejet de toute normalisation avec le régime syrien et l'autre plus inféodé à l'Iran donc partisan d'un rapprochement avec Damas.

Au regard de l’alliance entre les deux mouvements islamistes, les deux mouvements en tirent des avantages. Le Hezbollah assoit son image d’ennemi d’Israël et tente de jouer les entremetteurs entre les différentes composantes islamistes palestiniennes, et le Hamas reste dans l’orbite iranienne tout en déplaçant ses pions sur la diaspora palestinienne présente au Liban.