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Yin et yang de la diplomatie chinoise, ou comment l’erreur de Poutine en Ukraine sert le projet de vassalisation future de la Russie par pékin…

Le Dialogue

Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping portent un toast lors d'une réception à la suite de leurs entretiens au Kremlin à Moscou le 21 mars 2023. Photo : Pavel Byrkin / SPUTNIK / AFP.

 

La guerre en Ukraine entraîne des changements structurels qui déboucheront sur un nouvel ordre mondial. Le facteur le plus important est la Chine, qui est en train de devenir une super-puissance.

 

Visegradpost, l'un des portails les mieux informés d'Europe centrale, a récemment publié une déclaration du ministère chinois des affaires étrangères indiquant que Pékin s'opposait fermement au déploiement d'armes nucléaires tactiques au Belarus. Ce message est venu s'ajouter à un autre, un peu plus médiatisé. « Pékin ne reconnaît pas la Crimée comme étant russe, tout comme il ne reconnaît pas les autres territoires ukrainiens qui sont maintenant « incorporés » dans la Fédération de Russie. » C'est ce qu'a récemment annoncé l'ambassadeur de Chine auprès de l'Union européenne. Le New York Times a publié un résumé détaillé de ses propos : « L'ambassadeur de Chine auprès de l'Union européenne a déclaré, lors d'un entretien d'une heure devant une mission diplomatique européenne à Pékin, que les critiques avaient mal interprété les relations de son pays avec la Russie, suggérant que leurs liens n'étaient peut-être pas aussi illimités que leurs dirigeants l'avaient prétendu par le passé. L'ambassadeur chinois Fu Cong s'est entretenu avec le New York Times avant que les présidents de la France, Emmanuel Macron, et de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ne partent pour un voyage de trois jours en Chine, mercredi 5 avril. » (source : https://www.nytimes.com/2023/04/05/world/europe/eu-china-embassador-russia-fu-cong.html).

Ceci est en contradiction apparente avec ce que l'ambassadeur en France, Lu Shaye, a expliqué sur la chaîne de télévision LCI. « Ces anciens Etats soviétiques n'ont pas de véritable statut en droit international car il n'y a pas d'accord international donnant effet à leur statut d'indépendance.» C'est contraire à la vérité et de surcroît contradictoire. Mais la contradiction n'est qu'externe. Les déclarations divergentes d'un ambassadeur et de l'autre visent à obscurcir la situation, en particulier aux yeux de l’Occident. Les deux opinions sont donc logiques, si elles sont évaluées du point de vue des intérêts de la Chine en matière de politique étrangère. Un jeu de Yin et Yang. Il s'agit de ne pas faire connaître à l'opinion publique mondiale les véritables intentions de Pékin. 

Si la Chine a donné son accord tacite à Poutine pour attaquer l'Ukraine fin 2021, c'est qu'elle savait ce qu'elle faisait. En effet, trois semaines seulement avant l'attaque russe contre l'Ukraine, les présidents Vladimir V. Poutine et Xi Jinping ont signé une déclaration commune affirmant que l'amitié entre leurs pays n'avait pas de frontières. Il est vrai : l'ambassadeur auprès de l'UE a remis sur une base réaliste la déclaration de l'année dernière de la Russie et de la Chine sur « l'amitié sans frontières ». Il l'a vidée de tout son poids et l'a relativisée jusqu'à la fin, c’est une évidence. En plus, il a déclaré que l'expression « pas de limites » était un canular rhétorique. La Chine n'était pas du côté de la Russie dans la guerre et certains l'interprètent mal, car il n'existe nulle part de soi-disant amitié ou relation sans frontières. Et encore moins entre la Fédération de Russie et la République populaire de Chine. M. Fu a également souligné que la Chine n'a pas fourni d'assistance militaire à la Russie et n'a pas reconnu ses efforts pour annexer des territoires ukrainiens, notamment la Crimée et le Donbass. L'ambassadeur en France s'est également exprimé, afin de ne pas laisser penser que la Chine était fermement opposée à l'annexion par la Russie des parties orientales de l'Ukraine. Pourtant, revenons au paragraphe précédent. Serait-il possible que l'un ou l'autre des ambassadeurs s'exprime sur des sujets aussi importants sans consulter Pékin, pour ainsi dire, au pied levé ? Ceci paraît fort invraisemblable.  

La Chine avait donc l’intérêt à ce que la Russie attaque l'Ukraine, mais les raisons de son attitude étaient fondamentalement différentes de celles interprétées par l'appareil administratif du Kremlin. La Chine savait mieux que les Russes que l'agression de Poutine n'aboutirait pas et qu'il s'engagerait dans une guerre longue et débilitante. Notamment parce qu'il avait commis une erreur décisive.

Laquelle ? L'escalade de la violence et la prise progressive de territoires en Crimée, dans le Donbass et à Lougansk en 2014 sont analogues à ce qui s'est passé en Krajina (ex-Yougoslavie) en 1991. 

Poutine aurait dû avancer à Kiev en 2014, car l'Ukraine était encore en transition et il y avait un grand nombre d'éléments pro-russes parmi les soldats, les commandants et les informateurs. À ce moment-là, il aurait pu occuper la capitale et annexer l'ensemble de l'Ukraine. Lorsque la guerre pour la Croatie a commencé, en août 1991, la Croatie était également en transition. Si Milosevic avait frappé Zagreb (via Osijek) et n'avait pas gaspillé ses forces à assiéger des points symboliquement importants mais stratégiquement inutiles (Vukovar), il aurait pu remporter la victoire. Poutine est désormais pris au piège d'une guerre de position dont il ne peut sortir victorieux. 

 

Le grand bénéficiaire chinois… des erreurs stratégiques et tactiques de Vladimir Poutine

Pourtant, la situation sert parfaitement les intérêts de la Chine, car elle représente l’affaiblissement à long terme de la Russie dont elle tirera le plus grand avantage. Pékin est déjà la profiteuse du conflit sanglant, car elle obtient à bas prix des produits énergétiques qui, sinon, iraient sur les marchés occidentaux, où leur coût serait beaucoup plus élevé. Mais la Chine en tirera encore plus de profit dans quelques années. Rappelons que la dernière grande agression dans laquelle l’Union soviétique s'est impliquée concernait l'Afghanistan. Le pays s'est alors effondré deux ans après que les troupes s’en furent retirées. Les guerres menées par son successeur, en Tchétchénie, en Géorgie et en Azerbaïdjan, n'ont pas épuisé La Fédération de Russie, parce qu’elles n'étaient pas d’assez grande envergure. Au contraire, elles ont permis la consolidation de chacune des dynasties politiques présentes au Kremlin. Avec l'Ukraine, c'est différent. Le pays est simplement trop grand. 

La Chine a en fait un intérêt naturel à voir la Russie se désintégrer et elle encouragera donc de ce fait les facteurs qui y conduisent... Une rupture entre les parties, européenne et asiatique, conviendrait mieux à Pékin. Les vastes territoires inoccupés du centre du pays, ainsi que ceux de l'est, répondent parfaitement aux besoins de la démographie chinoise. Surtout face au changement climatique, qui rendra de grandes parties de la Sibérie à nouveau habitables à grande échelle. Cela devrait se produire d'ici une génération.

 

L’éclatement de la Fédération de Russie n’est pas du tout impossible !

L'histoire de son prédécesseur, l'Union soviétique, nous rappelle et nous apprend que l'éclatement de la Russie est possible. Dans ce contexte, une chose est particulièrement importante : la Russie pourrait se disloquer sans être vaincue militairement. La fin de Poutine à la suite de l'échec de la guerre en Ukraine pourrait être analogue à ce qui s’est passé avec Mikhail Gorbatchev. Ce dernier, bien qu'ayant mis fin à la guerre infructueuse en Afghanistan, a dû faire ses adieux à la scène, deux ans après. Le pays qu'il présidait a disparu avec lui. L'Union soviétique n'a pas été vaincue pendant la guerre parce qu'elle n'aurait pas pu l'être. Elle s'est simplement effondrée sur elle-même sans que personne n'ait tiré une seule balle contre elle. Elle a donc été engloutie par le vide parce que l'idéologie sur laquelle elle était fondée s'est avérée fausse. L'étoile rouge géante a tout simplement implosé, pour reprendre une expression de la physique. 

N'oublions pas que la Russie d'aujourd'hui se veut être une réactualisation de l'Union soviétique dans laquelle Vladimir Poutine a été formé. De là l’idée de la guerre en Ukraine.

 

La Chine sur la voie de la domination mondiale passe par l’auto-dissolution de la Russie….

L'éclatement de la Russie pourrait se faire en douceur. Les acteurs de l'ère post-Poutine peuvent y prendre part, chacun poursuivant ses propres intérêts. N'oublions pas que le même scénario s'est déjà déroulé une fois. En effet, la désintégration de l’URSS a été formellement marquée par la création de la Communauté des États indépendants, initiée par Eltsine, le président de la Fédération de Russie d’avant M. Poutine. Or rappelons que c'est alors Moscou qui a joué le rôle le plus actif dans le démantèlement de l'ancien empire. Elle a également sécurisé une partie essentielle de son héritage. Ainsi, dès le 24 décembre 1991, la Fédération de Russie, d'un commun accord avec les autres pays de la Communauté des États indépendants (qui comprenait alors toutes les républiques restantes à l'exception de la Géorgie), a pris le siège de l'Union soviétique aux Nations unies. Le lendemain, Gorbatchev démissionne et cède son poste à Eltsine. Le 26 décembre, le Conseil des républiques, la chambre haute du Soviet suprême, vote l'abolition de l'Union soviétique, mettant fin à l'État communiste le plus ancien, le plus grand et le plus puissant du monde. La Chine semble être sur la voie de la domination mondiale. Elle s'est fixée comme priorité de placer la Russie dans une relation de vassalité.