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Le Hamas : une création islamiste en réponse à l’échec du nationalisme palestinien

Le Dialogue

Un membre palestinien masqué du Hamas brandit un grand portrait encadré du chef spirituel et fondateur du groupe islamique militant, Cheikh Ahmed Yassine, lors d'un rassemblement dans le camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 26 mars 2004. Cheikh Ahmed Yassin a été assassiné par les forces israéliennes le 22 mars dans la ville de Gaza. Photo : Saïd KHATIB / AFP.

 

Né dans les racines du mouvement des Frères musulmans, le Hamas voit officiellement le jour en 1987. Les origines du groupe islamiste gazaoui restent sujettes à débat : feu vert israélien pour mettre en échec le mouvement nationaliste de Yasser Arafat ou création indépendante liée à une prise de conscience interne pour initier la lutte contre Israël ? Une chose est sûre, la fondation du Hamas est la résultante de plusieurs facteurs internes et externes. 

Pour comprendre l’essence même du Hamas, il faut dans un premier temps se replonger dans l’histoire des interactions entre les Frères musulmans nés en Égypte et la population de Gaza. Les premiers liens entre la Confrérie et la Palestine remontent à 1935 lorsque Abd al-Rahman al-Sa’ati, frère du créateur de mouvement frériste Hassan al-Banna, visite la Palestine. Les contacts se multiplient à l’aune de la résistance palestinienne contre le mandat britannique et la colonisation sioniste. 

D’ailleurs, le narratif du Hamas se présente comme l’héritier d’une lignée de résistant islamiste et nationaliste palestinien et reprendra même le nom du « martyr » Ezzedine al-Qassam pour l’accoler à sa brigade armée. Le religieux syrien est mort en novembre 1935 dans des affrontements contre les troupes britanniques en Palestine ce qui déclencha la grande révolte palestinienne de 1936 à 1939. 

Mais c’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que les Frères musulmans ouvrent leur première antenne à Jérusalem dans le quartier de Cheikh Jarrah. Dès 1947, le mouvement dispose d’environ 25 branches dans toute la Palestine. Lors de la première guerre israélo-arabe, la confrérie envoie des volontaires rejoindre les factions nationalistes pour lutter contre les organisations sionistes. Mais la défaite de 1948 va porter un coup fatal à l’organisation islamiste. Avec la nouvelle configuration politique, la Jordanie va s’occuper de la Cisjordanie et l’Égypte de Gaza. Le pouvoir central d’Amman incorpore les « Frères » dans un projet plus nationaliste en donnant la nationalité, la lutte armée sera quasi abandonnée. Pour ceux de Gaza, ils passent dans la clandestinité du fait de la farouche opposition du raïs Nasser contre la Confrérie, notamment après la tentative d’assassinat en 1954. Le président égyptien va mener une réelle guerre contre le mouvement frériste. 

 

Le tournant de la défaite de 1967

En 1965, Nasser accuse les Frères musulmans de tenter de se reconstituer et lance une nouvelle campagne d’arrestations pour frapper les rangs islamistes. Sayyid Qotb, l’idéologue égyptien de la Confrérie, est incarcéré et pendu un an plus tard. À Gaza même, Hani Bseisso, qui dirige clandestinement la branche locale des Frères musulmans, est arrêté et expulsé vers le Golfe. Ahmad Yassine est lui aussi emprisonné, mais son absence d’engagement politique lui permet d’être assez vite libéré. 

L’humiliante défaite de la guerre des six jours en 1967 va initier un chassé-croisé : le déclin du nationalisme arabe va laisser place à l’islam politique. D’ailleurs, le mouvement des Frères musulmans ne va pas participer à ce conflit qu’il jugeait perdu d’avance. La littérature islamiste considère de surcroît cette débâcle égyptienne comme un châtiment divin. 

Gaza et la Cisjordanie passent ainsi sous occupation israélienne. L’OLP en berne et les autres factions nationalistes palestiniennes des Forces populaires de libération (FPL), du Fatah et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) vont être systématiquement traquées par les forces israéliennes. Discrets, les Frères musulmans vont dans un premier temps se cantonner aux tâches sociales, éducatives tout en développement un large réseau associatif avec des écoles, des dispensaires, des hôpitaux et des clubs de sports. C’est à cette époque que le cheikh Ahmad Yassine va créer la Mujamma al-islami (la Société islamique) pour tisser son réseau. Sous son impulsion, les mosquées vont se multiplier à Gaza, passant de 200 à 600 entre 1967 et 1987. Il priorise la restauration religieuse à toute forme de militantisme armée. L’islamisation rampante de la société gazaouie supplante de fait les discours nassériens qui prônaient la primauté de l’arabité sur le fait religieux. 

Le prosélytisme de la confrérie doit ainsi préparer les générations futures au Jihad contre Israël. Mais cela, passe avant tout par un contrôle total des masses musulmanes. Tolérées initialement par les services israéliens, les actions de la confrérie doivent servir de contrepoids à l’OLP. A ce titre, la société mise en place par cheikh Yassine obtient une autorisation officielle en 1979, ce qui lui permet d’attirer des financements et ainsi de nouveaux adeptes. La confrérie des Frères musulmans s’oppose dans un premier temps au Fatah et au FPLP dans la bande de Gaza. D’un côté les nationalistes palestiniens veulent préserver une entente avec l’Égypte, de l’autre la confrérie se rapproche de l’Arabie saoudite et de la Jordanie. 

 

La première Intifada : le prétexte parfait 

A la fin des années 1970, les Frères musulmans connaissent une nouvelle scission. Certains refusent la primauté de l’action sociale et la passivité face à Israël. Influencé par l’avènement de la République islamique iranienne, Fathi al-Shiqaqi va créer le Jihad Islamique. Peu nombreux mais très actif dans la lutte armée, la création de ce mouvement va pousser la Confrérie à revoir ses plans. 

En juin 1984, la découverte par l’armée israélienne d’armes, cachées dans la mosquée de cheikh Yassine, entraîne son arrestation et sa condamnation à treize ans de prison. Même si ces armes étaient avant tout destinées à intimider les autres factions palestiniennes, l’incarcération de Yassine permet à ses partisans de le laver de tous les soupçons de collusion avec Israël. Il est toutefois libéré en 1985 dans le cadre d’un accord d’échanges de prisonniers avec l’État hébreu. Sa seule année en détention accroît sa popularité bien au-delà de la seule mouvance islamiste. 

La dépossession territoriale couplée à la répression israélienne et l’absence d’État palestinien entraînent en décembre 1987 une vague de révoltes en Cisjordanie et à Gaza, c’est l’éclatement de la première intifada. Initialement pris de cours, les Frères musulmans vont peu à peu délaisser leur attitude quiétiste pour prendre fait et cause pour la résistance armée. C’est ainsi qu’est créé le Hamas, acronyme du Mouvement de la Résistance Islamique, qui signifie « ferveur » ou « enthousiasme » en arabe. Le premier communiqué de la milice est rédigé et paraît à Gaza le 11 décembre et le 14 en Cisjordanie. Face à ce changement de paradigme, les Israéliens vont être moins tolérants à l’égard des associations islamistes et décident de frapper fort en arrêtant de nombreux dirigeants dont Ahmad Yassine en 1989. 

Le Hamas puise son essence dans les méandres idéologiques de la confrérie islamiste des Frères musulmans. Clandestin, toléré puis quiétiste, le groupe d’Ahmad Yassine est peu à peu devenu milicien qui au fur et à mesure de sa longévité et de son ancrage territorial a été approché par plusieurs pays étrangers dont l’Iran, la Syrie, le Qatar et la Turquie.