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Turquie

Erdoğan en tête au premier tour de la présidentielle turque

Le Dialogue

Le président turc Tayyip Erdogan (droite), accompagné de son épouse Ermine Erdogan (gauche), salue les partisans au siège du parti AK à Ankara, en Turquie, le 15 mai 2023. La Turquie se prépare pour son premier second tour électoral. Le président Recep Tayyip Erdogan devance son rival laïc mais ne parvient pas à remporter une victoire au premier tour. Photo : Adem ALTAN / AFP.

 

Même si les sondages laissaient - volontairement - planer le doute, Recep Tayyip Erdoğan est arrivé largement en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2023 avec 49,5% des suffrages exprimés passant à deux doigts de l’emporter sur son adversaire, Kemal Kılıçdaroğluqui. Ce dernier est crédité de 44,89% des voix. Ses 74 ans, le fait qu’il soit Alévi (une branche du sunnisme mal vue par les idéologues islamistes) et sa réputation d’incompétence ont pu jouer contre lui.

Le troisième candidat en lice, Sinan Ogan, membre du Parti d’action nationaliste et à la tête de l’« Alliance des Ancêtres » regroupant cinq formations ultranationalistes, a tout de même recueilli plus de 5,17% des voix. Il n’a pas donné de consignes de vote pour le deuxième tour mais ses positions anti-Kurdes et pro-russes ne laissent guère de doutes sur ses intentions. À noter qu’il est diplômé de la prestigieuse université russe MGIMO, l’Institut d'État des relations internationales de Moscou auprès du ministère des Affaires étrangères de la fédération de Russie surnommé le « Harvard » et le « Georgetown » de Russie.

Chose curieuse, alors qu’il s’était retiré de la course, Muharrem Ince a tout de même obtenu 0,44% des voix. Cela est dû au fait que les bulletins de vote uniques présentant quatre candidats (il fallait cocher la case correspondant à son choix) n’avaient pas eu le temps d’être réimprimés. Certains électeurs ne savaient pas même pas qu’Ince ne se présentait plus. 

Les observateurs occidentaux avaient avancé que la crise économique, les quatre millions de rfugiés présents dans le pays, l’inflation, les 50.000 morts du dernier tremblement de terre et la jeunesse allaient changer la donne et que l’ère Erdoğan était terminée. En réalité, ils ont surtout pris leurs désirs pour une réalité…

Ils ont oublié qu’aux yeux de nombreux électeurs, le président Erdoğan, a défendu fermement les couleurs de la Turquie en n’acceptant aucune compromission extérieure. Discutant d’égal à égal avec les plus grands (Trump puis Biden, Poutine, Xi Jinping, etc.), il leur a rendu leur fierté.

À noter que pour Erdoğan, les dirigeants européens - et encore moins les responsables de l’UE - ne sont considérés comme faisant partie des « grands. » Les résultats des votes des Turcs à l’étranger reflètent ce sentiment : ils ont voté très majoritairement (à plus de 60%) pour sa candidature.

 

Un parcours sinueux mais emprunt de fermeté - pour ne pas dire de violences -.

Certes, il est parvenu au pouvoir grâce aux Frères musulmans représentés depuis les années 1980 par la confrérie Gülen (discrètement épaulée par les États-Unis qui abritent le vieux leader). Avec eux, il s’est d’abord t ingénié à « casser » l’armée la grande satisfaction des Européens, car elle représentait un risque direct pour son pouvoir -.

Il a ensuite a remis les Frères musulmans à leur place car, à leur tour, ils étaient considérés pouvant le remettre en cause politiquement. Tout ce qui peut avoir un rapport avec Gülen a été réprimé par une justice aux ordres.

Ne tolérant pas de voies discordantes, Erdoğan a également fait poursuivre tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, journalistes, avocats, intellectuels, hommes et femmes politiques (surtout des Kurdes), etc.

Une chose curieuse : les juges qui lui avaient permis de faire condamner sur ordre nombre de généraux dans le cadre du procès « Ergenekon » se sont retrouvés à leur tour en prison pour « complot contre l’État ».

Même les personnalités de son propre parti - comme l’ancien président Abdullah Gül, 2007-2014 - ont compris qu’ils avaient intérêt à faire profil bas.

Sur le tard, il s’est retrouvé des liens avec Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. Il aurait bien aimé le ranger sur les étagères de l’Histoire, mais pragmatique, il s’est rendu compte qu’il était le ciment de la nation turque.

Cette évolution est un de ses nombreux demi-tours dont il a le secret. À l’extérieur, il continue à jouer de la manière de ses prédécesseurs, les uns contre les autres. Avec 80 millions d’habitants, la Turquie représente un marché attractif mais il faut payer pour y accéder…

 

Les supposées ingérences étrangères

Le leader de la coalition d’opposition à Erdoğan et président du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kılıçdaroğlu avait accusé le 11 mai Moscou d’ingérence dans l’élection présidentielle turque en ces termes : « chers amis russes, vous êtes derrière les fabrications, les complots, les fausses nouvelles et les enregistrements exposés hier dans ce pays. Si vous voulez que notre amitié se poursuive après le 15 mai, laissez l'État turc. Nous sommes toujours en faveur de la coopération et de l'amitié.»

Il est vrai que le Kremlin se méfie d’une nouvelle administration qui pourrait se mettre en place à Ankara car elle pourrait lui être moins favorable. Pour mémoire, la Turquie contrôle le détroit des Dardanelles qui commande l’accès à la Mer noire, est partie prenante dans les exportations agricoles ukrainiennes et russes, est un important client économique pour Moscou et que les Russes peuvent toujours y séjourner pour tourisme ou affaires (les ventes immobilières turques ont connu un accroissement vertigineux depuis 2014.) Les avions et navires russes peuvent y voyager et même y séjourner (de nombreux yachts y sont présents) sans risque d’être saisis comme cela l’est ailleurs en raisons des sanctions décrétés contre Moscou.

En dehors de l’« affaire Muharrem İnce », l'un des quatre candidats initiaux à la présidentielle qui s’est retiré de la course à la présidentielle le 11 mai suite à la révélation de vidéos - présumées fausses - à caractère sexuel, il est délicat de dire quelle a été l’influence réelle de Moscou.

Commentant le retrait de Muharrem İnce de la course présidentielle, le ministre de l'Intérieur Süleyman Soylu avait de son côté accusé les États-Unis d'interférer dans les élections turques en ces termes : « l'Amérique a interféré avec cette élection depuis le tout début. » Il a aussi affirmé que le président américain Joe Biden avait déclaré dans le passé que son pays n'était pas en mesure de s'immiscer dans la politique turque au moment de la tentative de coup d'État de 2016 (une hypothèse que l’AKP avait alors soulevé.), « cette fois, nous le ferons avec une élection et non un coup d'État […] .»

Plus généralement, Washington soutenait Kılıçdaroğlu car Erdoğan est considéré comme incontrôlable.

Mais les Américains n’ont pas le choix. Ils ne peuvent abandonner les positions militaires qu’ils occupent dans le pays et en particulier la base aérienne d’Inçirlik à côté du port d’Adana. Cette base sous commandement turc (et pas OTAN) permet de survoler toute la Méditerranée orientale, le Proche-Orient et les pays du Caucase. Et l’on ne parle pas des stations d’écoutes…

 

Erdoğan a obtenu la majorité absolue au parlement

L’AKP allié au MHP a obtenu la majorité absolue avec 49,46% des suffrages exprimés donc 322 siège à l’Assemblée. 

Avec 35,02% des suffrages exprimés, l’opposition composée de six partis surnommée « l’Alliance de la Nation » ou « Table des Six » en obtient 213.

Enfin, l' « Alliance du Travail et de la Liberté » (Emek ve Özgürlük İttifakı) également connue sous le nom de « Troisième Alliance » qui regroupe des formations séparatistes (kurdes), communistes, libérales, écologistes, etc. obtiendrait 65 sièges avec 10,54% des voix.

La déception doit être très grande à Washington et dans la plupart des capitales européennes. Il va falloir « faire avec » car l’élection remplissait toutes les cases du processus « démocratique », au moins autant qu’aux États-Unis.

Il va être intéressant de voir ce qui va se passer dans les quinze prochains jours.

Le seul véritable problème d’Erdoğan est sa santé - qui a semblé chancelante lors de la campagne électorale - d’autant qu’il ne semble pas encore avoir préparé sa succession (mais en homme intelligent, il doit y penser.)

Que personne ne se fasse d’illusions, Erdoğan et la Turquie sont et restent des « non alignés. » Aucune pression extérieure ne peut être admise et provoquerait au contraire une réaction de rejet des gouvernants mais aussi d’une majorité de la population. Il faut connaître les Turcs - et pas uniquement leurs élites universitaires - pour comprendre ce sentiment. 

De plus, la Turquie a une position géographique si centrale entre l’Orient et l’Occident que personne ne peut se permettre de la négliger. C’est un point de passage obligé pour qui veut avoir de l’influence dans la zone.