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Invités d’honneur

Lettres d’Hiroshima

Photo : JOEL SAGET
Photo : JOEL SAGET / AFP

Le choix d’Hiroshima pour accueillir le G7 au Japon était un choix profondément symbolique, alors que le spectre d’un affrontement nucléaire n’a jamais été aussi tangible, depuis que la Russie a envahi l’Ukraine. Le président russe n’a-t-il pas annoncé fin mars le transfert d’armes nucléaires « tactiques » en Biélorussie, à portée de la Pologne, et opéré des menaces à peine voilées dans la direction d’un usage plus actif de l’arme atomique ? Au même moment, les États-Unis ne sont- ils pas engagés dans une démonstration de force au sujet de Taïwan avec la Chine ? Les Chinois ne démontrent-ils pas de leur côté qu’ils sont rentrés dans une course aux armements avec le développement de missiles hypersoniques nucléaires comme le missile Ju-Lang-3 (Vague géante), capable de frapper Los Angeles et Washington ?

Rappelons que la plupart des traités encadrant le désarmement nucléaire sont devenus caducs (traité ABM de 1972 en 2002, traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires de 1989 en 2007) ou en passe de l’être (traité New Start, en 2026). On ne peut que comprendre que l’horloge de l’Apocalypse, créée peu de temps après le début de la Guerre froide, en 1947, soit aujourd’hui coincée à minuit moins 100 secondes, soit le plus proche de minuit qu'elle n'a jamais été. En 1991, à la fin de la Guerre froide, elle avait reculé jusqu'à 17 minutes avant minuit…

Pourtant, le monde continue avec insouciance à se concentrer sur l’accessoire, comme si cette montée des tensions était virtuelle. On s’est ainsi largement ému en France (et dans le monde) de photos en short et baskets du Président Macron au G7, tandis que ses propositions sur l’écologie sont restées sous les radars. 

On a surtout commenté la visite impromptue de Volodimir Zelensky, qui a marqué les esprits. Zelensky est très caractéristique de ce nouvel âge des relations internationales. Sur le fond, le fait pour le président ukrainien de pouvoir parler aux chefs d’État de l’Inde et du Brésil réticents à critiquer Moscou est appréciable, mais il s’agissait plus d’un coup de com’ que d’une avancée diplomatique. Son choix de ne jamais départir de son vêtement militaire, que beaucoup célèbrent comme un acte courageux de communication, est assez symptomatique d’une stratégie. L’important est d’être vu alors que Poutine est assigné à résidence et Zelensky rappelle qu’il est en guerre. Clemenceau ou Churchill, qui affrontaient des guerres beaucoup plus sérieuses, n’avaient pourtant pas à jouer les guérilleros pour être pris au sérieux et passer à la télévision. Che Guevara et Castro s’habillaient en militaire parce qu’ils l’avaient réellement été. 

Si indéniablement, axer les efforts sur la communication de guerre a joué pour le soutien des opinions publiques vis à vis de l’Ukraine, ce n’est malheureusement pas l’essentiel. En son temps, le Dalaï-lama fut reçu dans la plupart des capitales du monde pour compatir au sort de son peuple écrasé par Pékin. Toutes ces visites symboliques n’ont jamais fait avancer d’un iota la cause du Tibet. 

A l’inverse, tout ce bruit de fond a masqué à l’opinion publique une série de signaux qui vont soit vers une montée aux extrêmes militaires (l’accord de Biden de permettre à des F-16 d’être engagés en Ukraine), soit à minima vers une nouvelle guerre froide (en Asie). L’Occident fait comme si une solution militaire, la réprobation mondiale ou le temps pourront régler le problème de la guerre en Ukraine. On en est pourtant coté UE à 65 milliards d’euros toutes aides confondues (réfugiés, armes, aides financières), soit un peu moins que le PIB de la Slovénie, et personne n’a la moindre idée de la manière de terminer cette guerre. 

Ce faisant, le G7 est passé selon moi à côté de son rôle historique. Initialement, lorsqu’il a été créé sous la forme du G5 à Rambouillet, cette instance avait pour originalité de réunir les chefs d’État des plus grands pays industrialisés et de discuter informellement au coin du feu. Avec le temps, il a su s’élargir à de nouveaux pays pour sortir de son ADN de clubs de pays riches et se poser en véritable enceinte de dialogue. Ainsi, la Russie en a été membre de 1997 à 2013 (G8). Il eut été utile d’inviter la Chine, deuxième économie de la planète, qui était dans le viseur des Etats-Unis et du Japon pour sa politique de coercition économique. Peut-être qu’à Hiroshima, il aurait même été adroit de convier Vladimir Poutine en même temps que Volodimir Zelensky pour voir si une entrevue informelle « au coin du feu » ne permettait pas de faire avancer les choses. Certains se réjouiront que Vladimir Poutine soit visé par un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre. Néanmoins, s’il lui est interdit de quitter la Russie, avec qui la paix sera négociée ? 

Faute d’avoir joué un rôle géopolitique, le G7 d’Hiroshima aurait pu à défaut renouer avec son ADN de locomotive de réforme économique. Le G7 a pu par le passé se rendre utile en s’adaptant à son époque pour devenir le forum de prise de décision mondiale. Or là aussi, la déception est profonde. A Hiroshima, le G7 a embrassé plusieurs sujets sans en traiter véritablement un au fond. 

Sous l’impulsion de la France, le G7 s’est ainsi engagé à faire émerger « une nouvelle ambition à l’occasion du Sommet qui se tiendra à Paris les 22 et 23 juin ». Celui-ci doit démontrer qu’il est possible à la fois de financer la lutte contre la pauvreté et la transition vers la neutralité carbone à l’échelle mondiale ; en d’autres termes prendre date pour parler d’un sujet qui est un vieux serpent de mer. En effet, déjà en 2015, la dualité croissance / écologie était au cœur des 17 Objectifs de développement durable fixés par l’Agenda 2030 de développement durable de l’ONU. 

Les dirigeants des pays du G7 ont également appelé à l’élaboration de normes techniques pour que l’Intelligence Artificielle reste « digne de confiance » et ont chargé leurs ministres concernés de mettre en place un groupe de travail d’ici la fin de l’année. Alors que nous sommes confrontés à une révolution technologique sans précédent qui en 6 mois a égalisé le savoir médical et juridique, on se donne le même temps pour imaginer comment réfléchir ! Bonjour l’urgence ! 

Il est loin le temps où au G7 de Londres, les ministres des finances des pays riches avaient décidé l'effacement de 40 milliards de dollars de la dette multilatérale de 18 pays pauvres, la plupart africains.

En résumé, A Hiroshima, le G7 a fait parler le futile et l’accessoire, alors que l’essentiel était en jeu. Une occasion manquée qui finira par faire naître une question : sept pour tous, mais tous pour quoi ?