Accueil recherche MENU

Soudan

Risque de contagion des combats au Soudan ?

Le Dialogue

Depuis que le Soudan est confronté à un conflit qui oppose depuis la mi-avril l'armée à un groupe paramilitaire, l'attention internationale s'est concentrée sur la bataille pour le contrôle de la capitale, Khartoum.

 

Mais les combats se sont également étendus dans la province occidentale du Darfour, une région militarisée usée par les conflits répétitifs. Les troubles dans cette région pourraient déstabiliser les pays voisins - en particulier le Tchad - et se répercuter dans tout le Sahel. 

Selon Remadji Hoinathy, expert à l'Institut d'études de sécurité, « les combats au Darfour pourraient avoir un impact sur l'équilibre entre les différentes communautés vivant de l'autre côté de la frontière […] Si les combats s'intensifient au Darfour, il est possible qu'ils se propagent au Tchad par le biais de la dynamique communautaire ». 

La région est depuis des décennies une zone de tensions entre les communautés arabes et non arabes pour nombre de raisons mais particulièrement pour le contrôle des territoires et de l’eau.

 

Darfur | historical region and former province, Sudan | Britannica

 

Avec la reprise de ce conflit, le risque est que le Darfour ne devienne un épicentre de la prolifération des armes et du retour des combattants. En effet, des informations suggèrent que des combattants armés ont rejoint le Soudan pour participer à la guerre qui se déroule entre l'armée nationale et la force paramilitaire de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF). 

La RSF a été créé il y a dix ans au Darfour à partir des milices connues sous le nom de Janjaweed. Elles étaient alors soutenues par les services secrets soudanais, le NISS ( National Intelligence and Security Service.) Elles sont accusées d'atrocités commises dans cette région après que la guerre y ait éclaté en 2003. 

Dans les années qui ont suivi sa création, la RSF ont été renforcées par des recrues principalement arabes venant du Tchad voisin (selon certaines estimations, jusqu'à 7000), dont beaucoup ont rejoint ses rangs pour obtenir un meilleur salaire. 

 

La crise actuelle au Soudan au centre d'un entretien entre Hemedti et António Guterres

 

Le chef de la RSF, le général Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemeti qui est un Arabe Rizeigat Mahariya du clan Aoulad Mansour dont les membres sont traditionnellement éleveurs de chameaux, entretient des liens ethniques étroits avec les communautés tchadiennes. 

Ceci, couplé à la richesse de la RSF qui contrôle des mines d’or au Soudan stimule le soutien dont bénéficie Hemeti au sein d’une partie de la population.

De plus, certaines informations font état de la présence de « conseillers » du groupe Wagner aux côtés de la RSF.

Certains analystes craignent maintenant que des éléments armés issus de la RSF - influencés par Wagner qui conduit une politique anti-française en Afrique - ne reviennent au Tchad avec l’intention de déstabiliser le pouvoir en place soutenu par Paris.

Ainsi, Mucahid Durmaz, expert chargé de l'Afrique de l'Ouest au sein de la société d'analyse des risques Verisk Maplecroft affirme : « la perspective d'un soutien de le SMP Wagner à RSF, non seulement constituera une menace pour le régime militaire tchadien soutenu par la France, mais risquera davantage de transformer le conflit en une guerre par procuration ». 

 

Le Tchad…

Après la chute du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011, des combattants de l'ethnie touareg qui ont combattu à ses côtés sont retournés au Mali pour relancer une rébellion contre l'armée nationale. Des groupes extrémistes ont rapidement pris racine dans la région, s'emparant des principales villes du nord et menaçant de descendre vers la capitale, Bamako. Cela a poussé la France à lancer l’opération militaire « Serval » en janvier 2013, qui a permis d’éparpiller les combattants.

Pourtant, la violence s'est aggravée au fil des années, s'étendant au-delà des frontières du Mali vers le Burkina Faso et le Niger. L'incapacité à endiguer la violence a conduit à la montée du sentiment anti-français dans la région, le tout encouragé par Moscou.

Bien que la France ait retiré ses troupes du Mali et du Burkina Faso en raison de pressions publiques et politiques, elle reste néanmoins un partenaire privilégié du gouvernement tchadien. Cette relation pourrait être mise à mal si le Tchad subissait un sort similaire à celui du Mali en 2012.

Il est possible que si les combattants tchadiens - armés et ayant l’expérience du combat au Soudan - rentrent en masse chez eux, il y aura un risque de conflits ethniques.

Il semble que ce « retour », au moins de populations civiles, ne soit en train de s’amorcer (voir carte ci-après.) Il n’est pas impossible que des combattants soient discrètement mélangés à ces réfugiés. Traditionnellement en Afrique, les guerriers se déplacent avec armes, bagages et familles…

 

Preview of TCD_HCR_Situation Map_31052023_FR.pdf

 

Toujours selon Mucahid Durmaz : « un afflux d'armes au Tchad pourrait également aggraver des conflits déjà dévastateurs ailleurs en Afrique de l'Ouest. La crainte est que si le Tchad sombre dans le chaos, toute la région du Sahel ne se transforme en un immense ‘terrain de jeu ‘ pour différents groupes militants conduisant l'insurrection et prenant le contrôle des itinéraires de contrebande lucratifs ». 

 

Le Nigeria

 

https://africacenter.org/wp-content/uploads/2021/03/Nigeria_threats_composite_-01.png

 

Au Nigeria - bordé par le Tchad à son nord-est -, le gouvernement est aux prises avec une situation complexe qui mélange des groupes armés et des bandits de grands chemins répartis dans tout le pays (voir carte ci-dessus.) 

Nnamdi Obasi, conseiller principal pour le Nigeria au sein de l’International Crisis Group pense que « le Tchad est un couloir direct vers le Nigeria, et la désintégration de la sécurité au Soudan génèrera des flux de réfugiés et peut-être de combattants et d'armes hors du Soudan avec d'éventuelles implications régionales se propageant jusqu'au Nigeria. »

Cet immense pays n’a vraiment pas besoin de ces problèmes supplémentaires.

Tous les spécialistes s’accordent à dire que la seule méthode pour contrer ces multiples menaces est une coopération étroite entre les États d'Afrique de l'Ouest car elle est pour l’instant insuffisante.

Les pays de la région rassemblés au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sont, à différents degrés, les cibles des mouvements salafistes-jihadistes : d’un côté Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et sa filiale sahélienne, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) et de l’autre Daech avec ses provinces du Sahel ISSP et d’Afrique de l’Ouest (ISWAP).

Ils doivent considérablement accroître le partage d'informations, la formation des forces de sécurité et de renseignement et les opérations militaires transfrontalières.