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Monde

Les Alévis, des alliés naturels de l’Occident

Le Dialogue

Le président turc Recep Tayyip Erdogan (2e gauche), et le président du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kılıcdaroglu (3e droite), ont assisté aux funérailles de Deniz Baykal, ancien président du Parti républicain du peuple (CHP) et député d'Antalya, décédé à l'âge de 84 ans, à la mosquée Ahmet Hamdi Akseki à Ankara le 14 février 2023. Photo : Adem ALTAN / AFP.

 

Durant la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle turque qui s’est conclue ce dimanche 28 mai, le candidat kémaliste anti-Erdogan, Ahmet Kiliçdaroglu, issu d’une minorité hétérodoxe et laïcisante de l’islam très mal vue dans le sunnisme, a effectué son  « coming out », alévi, affichant son appartenance religieuse. Une déclaration qui en Turquie et au Moyen-Orient prend tout son sens, puisque la religion tient une place prépondérante dans la sphère sociale. Ce faisant, s’il a rassuré une partie de la population turque et l’Occident, ce coming out a inquiété les nationalistes et la sphère islamiste en Turquie, car en cas de victoire d’Ahmet Kiliçdaroglu, c’est un changement politique et socio-religieux qui serait amorcé...

Dès l’annonce de sa candidature à la Présidence de la République, le candidat du CHP, Ahmet Kiliçdaroglu a tenu à mettre les choses au point, en annonçant son appartenance à la mouvance alévie. L’objectif étant de priver son adversaire, proche des Frères musulmans,  d’utiliser à des fins de propagande l’appartenance religieuse de son adversaire. 

Dans l’Empire ottoman, que Recep Erdogan souhaite rétablir, tout au moins, sa sphère d’influence était un creuset qui se caractérisait par une pluralité des croyances, y compris au sein de l’islam, où de nombreuses confréries participaient à la vie sociale de l’Empire. Pour l’actuel président, il s’agit donc d’effacer cet aspect de l’Empire ottoman qui ne convient guère à ses ambitions. Car son objectif est de faire de la Turquie le phare de l’islam sunnite, mais sur la base de  la doctrine de Hassan El Bana, l’idéologue et père de la Confrérie des Frères musulmans. Il souhaite à court terme effacer l’apport de l’Occident et remettre en question l’État-nation, que les mouvements islamistes considèrent comme étant une hérésie, donc incompatible avec les préceptes de l’islam.

 

Les Alévis, un retour vers un islam spirituel

L’islam des Alévis est fondé sur l’ouverture et l’esprit de tolérance. Hommes et femmes se côtoient librement et échangent sur la spiritualité, au sein des maisons de poésie ou cemevi. Car tout se discute et les cemevi sont des lieux à la fois de haute spiritualité et de créativité, où l’on chante, on danse et on compose des poésies. 

Les alévis ont apporté leur contribution à la formation de l’Empire ottoman dans la mesure où, liés à la confrérie chiite soufie-hétérodoxe des Bektashi, ce sont eux qui formaient les apprentis soldats et fonctionnaires ottomans et notamment les janissaires. Mais les Alévis- Bektashis  pratiquaient un islam ésotérique, et initiaient leurs membres à certains rites secrets. De ce fait, ils ont toujours été considérés comme  une cinquième colonne et tenus en grande suspicion par le pouvoir politico-religieux. Car l’Orient est aussi le lieu de tous les paradoxes, et bien que proches du pouvoir, ils ont parfois été l’objet de  persécutions, en raison de leur dissidence à l’islam traditionnel et de leur proximité idéologique avec la Perse voisine, rivale de l’Empire ottoman.  

                                                        

Les  Alévis, chantres de la laïcité 

L’Occident avait tout à gagner à la victoire d’Ahmet Kiliçdaroglu, car l’alévisme préconise la laïcité et se refuse à ce que la religion s’immisce dans les affaires politiques et dans l’espace social. Ce qui explique d’ailleurs qu’Ahmet Kiliçdaroglu soit le représentant du CHP, le parti laïque, progressiste et anti-islamiste de Mustafa Kemal. 

Au quotidien, les Alévis prônent un mode de vie libéral fondé sur la tolérance, l’humanisme, d’acception et de respect d’autrui. Si Ahmet Kiliçdaroglu accédait à la présidence, leur influence se ferait beaucoup plus sentir au sein de la société turque, et la communauté pourrait alors être un rempart contre toutes les formes d’extrémisme, fanatisme et d’intégrisme religieux. Avec l’accession au pouvoir de leur  représentant aux affaires, ils pourraient œuvrer pour le développement de la démocratie, la sauvegarde de la laïcité, telle qu’elle a été voulue par Mustafa Kemal.

L’hyper président, Recep Erdogan  souhaite quant à lui restaurer le Califat au profit de la Turquie, aussi, est-il en train d’éradiquer la diversité culturelle et le caractère hétérodoxe de ces croyances, parmi lesquelles figure, l’alévisme, qu’il juge néfaste et assimile à une menace pour la survie de son pouvoir. Aussi, il a fait a fait sienne, la doctrine d’Hassan Al  Bana qui affirmait la chose suivante : 

 « Les Frères musulmans est une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C'est à la fois un État et une nation, ou encore un gouvernement et une communauté. C'est également une morale et une force, ou encore le pardon et la justice. C'est également une culture et une juridiction, ou encore une science et une magistrature. C'est également une matière et une ressource, ou encore un gain et une richesse. C'est également une lutte dans la voie d'Allah et un appel, ou encore une armée et une pensée. C'est enfin une croyance sincère et une saine adoration. L'islam, c'est tout cela de la même façon ».

Un troisième mandat de Recep Erdogan permettrait l’avènement de cette politique…