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Invités d’honneur

L’ISI chez les ancêtres d’ISIS

ROMAIN LAFABREGUE
ROMAIN LAFABREGUE /AFP

Mon départ de khalden est prévu pour le surlendemain avant la prière de l’aube, le fajr. J’ai fait le tour de tous les modules de formations depuis celui sur les armes de poing (moussaddass), jusqu’à celui des explosifs (moutafadjarate), en passant par celui de la formation idéologique et politique.

Lors de mon dernier jour de présence, je suis exempt des cours théoriques le matin et pratiques l’après-midi. Après le rassemblement sur la place d’armes le matin, tous les groupes se sont dispersés selon le module de formation qu’ils suivent, et je vais rendre à l’armurerie mon gilet tactique de trois chargeurs et mon AK47 de facture chinoise.

Nous sommes en décembre et l’hiver afghan est réellement mordant lors de cette année 1994.

Pour finir mon paquetage, il me faut aller dans ma tente d’environ quatre mètres sur dix, à flanc de montagne. Sans mon matériel, je monte la pente qui mène à mon couchage sans faire le moindre bruit. Mon sac de couchage est immédiatement à l’entrée de la tente, sur la droite, et ce détail va avoir son importance d’ici quelques secondes… En effet, lorsque je rentre, je trouve deux nouveaux assis en tailleur au fond de la tente, de dos, avec pour l’un, un casque d’écoute sur la tête, et le second face à un boitier avec clavier et une mini antenne parabolique tourant sur elle-même. A côté des deux se trouve une mallette en aluminium avec de la mousse noire de protection du matériel s’y trouvant… Avant même qu’ils se retournent pour voir qui entre dans la tente alors que nous sommes tous censés être en formation, je tourne la tête vers mon couchage en saluant d’un « esselem ‘aleykoum ». Je prends un mini coran sous mon oreiller, puis ressors comme si c’était ce que j’étais venu chercher, en feignant de n’avoir rien remarqué.

Les deux ne semblent pas avoir été dérangés et aucun ne me demande ce que j’ai vu ou non.

C’est à cet instant que je réalise qu’il est temps que je parte de Khalden, puisqu’il semble que les renseignements pakistanais tiennent désormais bureau sur place. Il s’impose à moi de déduire que ce sont les services pakistanais puisque les deux étaient arrivés une petite semaine avant, et j’avais trouvé étrange la raison de leur venue dans notre « mou’askar », notre caserne. Lorsque je leur avais demandé sur qu’elle arme ils souhaitaient être formés, ils m’avaient répondu laconiquement qu’ils venaient du Cachemire et qu’ils venaient se former aux mortiers de 82 et 120mm. 

Sans en avoir rien montré, j’avais trouvé cette réponse très étrange, puisque le mortier est une arme incontournable du combat de montagne, et que je savais que les djihadistes du Cachemire ne manquaient ni de mortiers, ni de munitions, ni de formateurs… C’était un peu comme si deux belges allaient apprendre à l’étranger à faire des moules frites. Immédiatement, une « lumière rouge » s’était allumée dans mon esprit concernant ces deux « oiseaux » du Cachemire. 

Il ne pouvait s’agir que de pakistanais, puisque les afghans présents et dévolus à la logistique renseignaient déjà sans douter le Hizb Islami de Hakmatyar et que Massoud devait aussi avoir une paire d’yeux et d’oreilles in situ. Il se pouvait même que parmi les élèves certains soient envoyés par des états soucieux d’être informés. Par ailleurs, ils ne pouvaient agir qu’avec l’accord de notre émir Ibnou Sheikh, sans quoi il aurait été trop risqué pour eux d’être surpris tel que ce fut le cas ce matin-là. Tous les moyens de communication, les appareils photo et caméras étaient strictement interdits à Khalden. L’usage de la station de communication ne pouvait être fait qu’avec l’accord de notre émir.

La présence de ces deux agents coïncidait avec une descente de police à la « maison des martyrs » de Peshawar, et qui annonçait que les temps allaient devenir compliqué pour les candidats étrangers au djihad en Afghanistan. Le gouvernement du Pakistan, pour donner des gages de bonne volonté aux U.S.A., allait commencer par procéder à l’arrestation de djihadistes sur son territoire, hormis les afghans et les pakistanais.

Les deux étaient donc peut-être là pour quantifier le nombre d’élèves qui allaient repasser par la maison des martyrs au Pakistan.

Le lendemain, lors de mon arrivée à Peshawar, cela se confirmera, car la police avait fait une descente, le jour de l’arrivée des deux agents à Khalden, pour n’arrêter que ceux entre le mur d’enceinte et l’extérieur de la maison. La police avait précisé que la prochaine fois ils allaient arrêter tout le monde même à l’intérieur.

Le jour même, j’allais rejoindre la « maison des algériens » dans la banlieue de Babi. C’était la seule maison de laquelle la police ne s’approchera pas, après que Abou Makhlouf aura été « dissuader » le maire de Peshawar de l’envoyer nous arrêter… Il aura été persuasif en promettant une grenade dans la bouche, et une autre dans le rectum du maire, si d’aventure il se pouvait voir le début de l’ombre d’un képi autour de la maison.

Là aussi, l’ISI aura confirmé que les algériens sont à part, même dans la djihadosphère.

Toujours est-il que cette anecdote confirme que cela serait faire injure aux services de renseignements pakistanais si l’on pensait que ces derniers ne sauraient pas ce qu’il se passe en Afghanistan…