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Renseignement - Défense - Terrorisme

L’Ouganda dans la tourmente islamiste

Le Dialogue

Les personnes en deuil se rassemblent pour les funérailles de Florence Masika et Zakayo Masereka lors de leurs rituels funéraires à Mpondwe le 18 juin 2023. Florence et Zakayo ont été tués près de la frontière avec la République démocratique du Congo par des assaillants en fuite que les autorités croient appartenir aux Alliés Forces démocratiques (ADF), une milice basée en RD Congo. Photo de Stuart Tibaweswa / AFP.

 

Les 17 et 18 juin derniers, 41 adolescents ont perdu la vie, massacrés à l’arme blanche et par balle, par un groupe djihadiste, l’ADF, qui a prêté allégeance à Daesh. A l’heure où l’on reparle de l'État islamique en Syrie dans son fief historique de Raqa, ses méthodes continuent à faire des émules en Afrique.  Ces liens avec l’EI font  craindre pour le sort des populations qui ne souhaitent pas voir la charia s’implanter dans le Continent, processus qui serait annonciateur de futurs massacres, mais aussi d’exodes massifs…

Dimanche 18 juin, la consternation s’est abattue sur l’Ouganda et, pour bien des familles, ce jour restera dans leurs mémoires, comme le plus triste de leur vie. Dans la nuit de vendredi à samedi, des membres du groupe djihadiste ADF (Allied Democratic Forces), qui opèrent sur le sol Ougandais à partir du Congo voisin, se sont infiltrés dans l’enceinte d’un lycée  de Mpondwe, près de la frontière entre les deux États, pour y commettre des atrocités sur des lycéens.

Ce crime odieux en rappelle un autre, commis par ce même groupe de djihadistes en  1998, lorsque 80 étudiants de l’Université technique d’Ouganda à Kichwamba, dans le district de Kabarole, avaient perdu la vie dans des circonstances à peu près identiques : tués à l’arme blanche ou brûlés vifs. Comme à Mpondwe, des étudiants furent visés lors de cette attaque,  et une partie d’entre eux fut emmenée comme otages, mais aussi pour transporter le butin volé par les assaillants. 

Les assassinats commis sur des lycées ou étudiants ne sont pas un hasard, mais répondent à une logique interne à ces groupes. En effet, cette jeunesse éduquée loin des valeurs islamiques représente les futures élites africaines. Tout ce que le groupe rejette, à l’instar de Boko Haram dont le nom «  Boko » est une déformation de Book Haram, et signifie « livre interdit » ou bien « ce qui est interdit ». Or le livre en question est la Bible et la chrétienté, dont les djihadistes veulent éradiquer la présence.

 

Incendies et enlèvements : des modes opératoires communs

L’incendie fait partie du mode opératoire de ces groupes qui s’en sont servi dans un premier temps pour éradiquer la présence et l’influence de tout livre autre que le Coran, et ce sont ces esprits autres que l’on a pris soin de réduire au silence, le feu étant dans beaucoup de civilisation un élément de « purification ». Cela explique que l’autodafé ait été en vigueur sous l’Inquisition ou sous le régime nazi, lorsque l’on a brûlé des livres jugés contraires à l’idéologie du moment. L’histoire a montré que les livres brûlés précèdent en général de peu l’immolation des êtres humains sur les autodafés. Pour ces groupes, l’usage de la terreur est un moyen de précipiter l’avènement de cet État islamique qu’ils appellent de leurs vœux.

L’autre point commun à ces groupes consiste à « extirper l’hérésie », et le kidnapping permet de la sorte de réclamer une rançon et de financer les actions meurtrières. C’est aussi une arme idéologique redoutable. A ce titre, Boko Haram s’est rendu responsable de l’enlèvement, en 2014, de 276 lycéennes à Chibok, toutes issues de la communauté chrétienne. Le 5 mai, le rapt des lycéennes de Chibok a été en effet revendiqué par Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram qui déclarait : « J'ai enlevé les filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d'Allah. Il y a un marché où ils vendent les êtres humains [...] J'ai dit que l'éducation occidentale devait cesser. Les filles, vous devez quitter (l'école) et vous marier. [...] Une fille de 12 ans, je la donnerais en mariage, même une fille de 9 ans, je le ferais »[1]

 

La montée de l’islamisme en Afrique

L’Ouganda serait-il devenu la plaque-tournante du terrorisme islamiste ? Tout semble l’indiquer, mais pas uniquement. En mars 2015, la Procureure Joanne Kaguezi, en charge du procès des attentats de Kampala survenus en 2010 imputés aux jihadistes du mouvement somalien et régional Shebab, lié à Al-Qaïda (distinct des Shebabs du Mozambique quant à eux liés à Daech), était assassinée en pleine rue, alors qu’elle circulait à bord d’une voiture du gouvernement ougandais. En juillet 2010, déjà, les attentats avaient fait 76 morts à Kampala et avaient frappé de plein fouet des symboles de l’occidentalisation de la société : un restaurant éthiopien et le bar d’un club de rugby. Rappelons que les jours qui précédèrent l’assassinat de la magistrate, les États-Unis avaient averti le gouvernement ougandais sur les risques d’attentats. Mais malgré un renforcement des mesures de sécurité, celui ne put être évité. 

« Une guerre de religion » en Afrique ? 

C’est une guerre de religion qui est menée en Afrique et qui se donne pour objectif d’éliminer les régimes en place et, à travers eux, toute trace des valeurs occidentales. Aussi les Sbebab somaliens et ougandais, liés à Al-Qaïda,  l’ADF ou Boko Haram, quant à lui lié à Daech, ont en réalité les mêmes revendications, les mêmes modes opératoires. Les Shebabs pro-Al-Qaïda opèrent en  Éthiopie, au Kenya, en Ouganda, et surtout en Somalie, qui, depuis 2001, apparaît comme une base potentielle d’al-Qaida, du fait des sympathies du Gouvernement national transitoire (GNT) qui a vu le jour en août 2000 à Arta (République de Djibouti), pour les islamistes. Sans compter les liens avérés entre milieux d’affaires somaliens et les organisations islamistes radicales suspectes dans certains pays du Golfe... 

 

Al-Ittehad al-islamiyya

Une organisation islamiste, al-Ittehad al-Islaamiyya, a été placée sur la liste des organisations terroristes pour avoir organisé plusieurs attentats en Ethiopie et a contribué à la préparation des attentats meurtriers contre les ambassades américaines, en août 1998, à Nairobi, qui avait fait 213 victimes et  11 à Dar es-Salam. Rappelons que la principale compagnie somalienne, al-Barakat, présente dans les télécommunications, a été accusée d’avoir partie liée avec l’organisation d’Oussama ben Laden. 

 

En guise de conclusion…

Dans un rapport datant de 2010, le Think Tank américain Pew Forum évaluait à 234 millions le nombre de musulmans en Afrique et à 470 millions celui des chrétiens sur une population totale évaluée à environ 1155 millions d'habitants.[2] Pourtant, on assiste depuis à une islamisation à marche forcée de la société. Des pans entiers de la société africaine sont désormais sous contrôle des islamistes radicaux. En Somalie, c’est le cas de la justice avec l'Union des tribunaux islamiques (UTI), une alliance de quinze tribunaux islamiques somaliens dont le souhait est d’instaurer un État régi intégralement par la charia.  Rappelons que l'Union des tribunaux islamiques s'était emparée d'une grande partie du territoire somalien en 2006 et qu’elle avait rétabli l'ordre, dans un pays souffrant de violence endémique et d'affrontements entre milices rivales. Toutefois, par la suite, l’Union avait perdu beaucoup de terrain face au gouvernement fédéral de transitionsoutenu militairement par l'Éthiopie et l'Union africaine. Et le groupe Shebab, qui fait parler de lui depuis et sème la terreur en Somalie et dans toute la région, est lui-même  issu de la branche radicale de l'Union des tribunaux islamiques.

 


 


[1] Nigeria : Boko Haram va vendre les lycéennes enlevées, RFI, 2014.

[2] Lado L, Des religions qui réveillent et de celles qui endorment, in : Revue Projet, 2016/2 (N° 351), pp. 57 à 64