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Monde

Les trois principes d’une géopolitique souverainiste [ 3 -3 ]

Le Dialogue

Marc Rameaux est ingénieur de formation, directeur de projet dans une grande entreprise industrielle française et un acteur engagé du milieu souverainiste. Dans son dernier ouvrage, Le Souverainisme est un Humanisme (VA Éditions, 2023), il offre une perspective originale, défiant les perceptions habituelles de la nation, de la culture et du politique, tout en redéfinissant l’identité et en jetant un regard neuf sur le monde.

Pour Le Dialogue et avec une série de trois tribunes, Marc Rameaux livre ici une définition sans précédent de ce que devrait être une géopolitique souverainiste. 

 

Le troisième principe : Machiavel comme moraliste, réalisme et humilité

Faire de Nicolas Machiavel un professeur de cynisme est le contresens le plus courant – et le plus faux – que l’on peut commettre sur son œuvre. Machiavel doit être tenu pour l’un des plus grands philosophes politiques et comme un moraliste, cette fois au sens véridique.

Il nous enseigne que toute analyse géopolitique commence par l’observation minutieuse des jeux d’intérêts. La véritable démarche éthique n’est pas de se croire au-dessus de ces jeux mais de commencer par les reconnaître en nous, d’admettre notre impureté et de considérer qu’ils sont les véritables rouages d’une situation internationale, quels que soient les prétextes moraux dont on les habille. Réalisme et humilité. 

Une fois ceci admis et reconnu, il peut être question de sauvegarder ce qui peut l’être de principes éthiques élémentaires. Mais pour que ceux-ci aient une réalité, il faut les agencer avec habileté afin qu’ils demeurent compatibles avec les jeux d’intérêt de chaque nation.

Parce que je me place souvent sur l’échiquier politique dans le camp conservateur, certains pourraient croire que j’approuvais la géopolitique néo-conservatrice américaine, initiée dès les années 80, qui sert encore de trame à l’interventionnisme américain actuel.

En réalité, les néo-conservateurs sont l’inverse de véritables conservateurs. Le conservatisme en politique consiste à se méfier des visions grandioses, des remodelages radicaux, des lendemains qui chantent, qu’il s’agisse de ceux des soviétiques, du libre marché ou de la démocratie triomphante. 

Les grands desseins, quels que soient leurs bonnes intentions affichées, présentent l’immense défaut de se croire détenteur du sens de l’histoire. L’on sait depuis Popper qu’il s’agit du chemin le plus sûr vers le totalitarisme. Les néo-conservateurs, en rupture totale avec la tradition empirique et réaliste de l’Amérique que j’apprécie, ont entrepris de refonder tout le Moyen-Orient selon un « grand dessein ». Ce faisant, ils se sont comportés comme des soviétiques, parfaitement sûrs de leur dogme et parfaitement cyniques quant à son exécution.

Il est à noter que les démocrates progressistes se sont parfaitement moulés et reconnus dans le cadre posé par les néoconservateurs, qu’ils ont non seulement relayé mais amplifié. Les trompettes bruyantes d’un avenir mirifique, ouvrant toutes possibilités à la mise en scène de soi et à toutes les postures morales, ne pouvait que plaire à la gauche américaine, puis aux « intellectuels » français. Jamais le discours lénifiant sur les droits de l’homme n’a été à ce point accompagné d’une agressivité incroyable sur le théâtre géopolitique, broyant hommes et peuples sur l’autel des postures morales.

 

La géopolitique souverainiste, une voix nouvelle que les peuples aimeraient entendre

En conclusion, l’observance des trois principes du Souverainisme humaniste aurait évité la plupart des drames récents du Moyen-Orient. 

Le premier principe de reconnaissance de la souveraineté de chaque pays aurait empêché le déclenchement de la plupart des interventions, en grande majorité nuisibles. Il aurait également interdit le scandaleux soutien des Etats-Unis à Mohamed Morsi en Égypte, leur plus grave faute morale et politique des dernières décennies, révélatrice de la véritable nature de leurs engagements « humanistes ». L’on ne se félicitera jamais assez de voir le cours de l’histoire donner les commandes de l’Égypte à un dirigeant de la stature d’Al-Sissi.

Le second principe aurait permis – pour les quelques interventions nécessaires – une véritable reconstruction du pays occupé par le respect total de sa culture et de son peuple. 

Le troisième principe aurait eu une influence bénéfique plus globale, de lever l’inquiétude que fait peser le faux discours moral sur l’ensemble du monde. Nous en sommes arrivés à un tel point de perversion du discours que dès que l’on entend parler de droits de l’homme et de valeurs humanistes, il faut s’attendre à ce que des interventions violentes et illégitimes sèment le chaos. Le troisième principe aurait également fait tourner autrement la crise russo-ukrainienne. Au lieu du discours bêtifiant et lénifiant d’une lutte du bien contre le mal, il aurait conduit à travailler sérieusement à une solution de paix pour les deux belligérants.

Il serait malséant de me taxer d’anti-américanisme, pour ceux qui sont familiers de mes écrits. La vieille Amérique, celle de Georges Washington, des pères de Philadelphie, avec son empirisme et son pragmatisme, a toute mon affection. Washington est un homme qui s’est dessaisi de lui-même de la Présidence dans ses vieilles années, en voyant que son influence sur les autres était telle qu’elle risquait de tuer toute délibération démocratique. Se dépouiller soi-même du pouvoir pour cette raison montre la valeur d’un tel homme. 

Une « vacherie » terrible sur les Etats-Unis fut un jour prononcée par Oswald Spengler. Celle-ci est d’autant plus intéressante qu’elle est pour moitié injuste, mais pour moitié vraie et bien observée. La vieille Amérique que j’aime rend le jugement de Spengler excessif et illégitime. Mais la part sombre des USA fait apprécier l’œil acéré du philosophe allemand. « Les Etats-Unis sont le seul pays qui soit allé directement de la barbarie à la décadence, sans passer par la civilisation ». Fasse que la vieille Amérique que j’aime corrige le tir et retrouve l’esprit des pères de Philadelphie. Sans quoi, ils rendront le jugement de Spengler vrai à 100%.

Le souverainisme humaniste est une force politique qui reste à construire. Loin de l’humanisme lénifiant et postural, il est un véritable retour aux humanités, à la connaissance de l’homme tel qu’il est, y compris dans les âpres leçons de l’histoire. 

La France possède des atouts historiques pour s’engager dans cette voie, faire entendre un autre discours, humble mais déterminé, sincère et respectueux des peuples et de leur culture.

Le Souverainisme est un humanisme parce que, sans renoncer à considérer l’espèce humaine entière, il se méfie des idéalismes trop abstraits. Aux idées, il préfère les hommes et le respect du chemin qu’emprunte chacun d’eux, valorisant ce qu’il y a de meilleur dans chaque culture.