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Fayrouz : l’intemporelle diva libanaise

Le Dialogue

La diva libanaise Fayrouz assiste à une répétition le 25 juillet 2001 à Beiteddine dans la région du Chouf au Liban, deux jours avant ses trois concerts au festival annuel. Photo : HASAN MROUE / AFP.

 

Son nom résonne dans le cœur et l’esprit de tous les citoyens arabes. Elle envoûte autant qu’elle fédère. Fayrouz de son vrai nom Nouhad Haddad est sacralisée bien au-delà de sa patrie, le Liban. Sa voix enivrante dénote, apporte une touche de légèreté et de joie dans un Moyen-Orient pris en étau, entre les guerres, les ingérences et les luttes intestines.

À l’instar d’Oum Kalthoum, elle devient la référence de la musique arabe et orientale. Fayrouz galvanise et transcende les frontières par les thèmes qu’elle aborde, mais surtout par l’amour de son pays et l’attachement à la défense des causes nobles et consensuelles.

 

Une vie consacrée à la musique 

Née en 1935 dans un village de la montagne libanaise, la jeune Nouhad Haddad est issue d’une famille catholique syriaque de classe moyenne. Elle commence sa scolarité à l’école primaire catholique de Saint Joseph à Beyrouth. Très tôt, elle se passionne pour la musique et intègre à l’âge de 6 ans la chorale de la Société de radiodiffusion libanaise.

Elle se consacre pleinement à la musique et se fait remarquer en 1952 en interprétant les chansons des célèbres compositeurs libanais de l’époque Assy et Mansour Rahbani. Elle épouse Assy Rahbani en 1955. Cette rencontre et cette alchimie entre la chanteuse et les compositeurs sont les prémisses d’une ascension fulgurante dans le monde de la musique. On lui choisit Fayrouz comme nom de scène, qui signifie littéralement turquoise en arabe. Son style musical diffère, dérange mais envoûte rapidement les foules. Contrairement à la musique traditionnelle longue et monotone et d’un rythme linéaire, la jeune Fayrouz propose des chansons courtes avec une certaine influence latine. On l’oppose à la diva égyptienne Oum Kalthoum, dont les chansons durent plus d’une heure.

En 1957, elle participe au festival international de Baalbek où elle conquiert littéralement le public libanais. S’ensuit de nombreuses tournées dans la région, du casino du Liban à la foire internationale de Damas. Elle joue également dans des comédies musicales où elle s’adonne à un style plus expressif et plus dramatique.

À partir de 1966, elle se produit pour la première fois à Beyrouth. À cette époque, la capitale libanaise est le cœur de l’expression culturelle et artistique du monde arabe. Avec les frères Rahbani, Fayrouz présentent une production cinématographique dans le quartier intellectuel et cosmopolite de Hamra. Le public est sous le charme de sa voix ténébreuse et cristalline. Ses chansons sont la synthèse d’un Liban en paix, épris de tolérance mais soumis aux soubresauts régionaux.

 

Une musique engagée et fédératrice

La défaite des armées arabes contre Israël en 1967 provoque une onde de choc à l’échelle régionale. Fayrouz, attristée, consacre l’intégralité d’un album à la cause palestinienne en 1971 Al Qods Qalbi (Jérusalem est mon cœur), avec notamment l’une de ses chansons les plus célèbres Zahrat Al Madaen (La fleur des cités)[1]. Cette composition est une véritable ode d’amour à la Palestine défaite et colonisée par l’armée israélienne.  Ses titres sont repris sur toutes les ondes du monde arabe, de Damas au Caire en passant par Tunis[2]. Cette jeune chrétienne libanaise, dont le style et la rythmique bouleversent les codes préétablis de la musique arabe, fédère et outrepasse de loin les appartenances religieuses et nationales de la région. Elle soutient pleinement le nationalisme arabe contre le sionisme. Pour autant, elle reste attachée à sa foi. Elle participe activement aux messes du vendredi en chantant en araméen (la langue du Christ) dans l’église d’Antélias, non loin de Beyrouth.

 Petit à petit, la diva libanaise gagne ses lettres de noblesse et devient un modèle de réussite pour l’ensemble du monde arabe. Surnommé la Suisse du Moyen-Orient, le Liban est un pays où les artistes se côtoient. Lieu de vie et d’interactions sociales, Fayrouz fait consensus et participe activement au rayonnement de la culture arabe et libanaise dans le monde.

Malheureusement, en 1975 le Liban sombre dans une guerre civile aux multiples facettes. Le pays plonge dans le chaos. La chanteuse Fayrouz a la maturité et l’intelligence artistique de ne pas s’ingérer dans le conflit. Elle prend soin de ne pas s’immiscer dans les nombreuses tensions politiques de son pays. Cette neutralité exemplaire lui vaut davantage d’admiration et de prestige au sein de la société libanaise, toutes confessions confondues.

Malgré la maladie d’Azzi Rahbani, Fayrouz continue ses tournées à Amman et à Damas. En 1977, elle présente une comédie musicale à Pétra en l’honneur de l’anniversaire du roi Hussein de Jordanie. En 1978, elle se produit au London Palladium et l’année suivante à l’Olympia de Paris. Cette tournée internationale signe également la fin de la collaboration avec son mari, dont elle divorce.

Dès 1979, elle compose avec son fils Ziad. Le style est différent, un mélange de chansons mélodramatiques avec une sonorité orientale ou imprégnées de jazz. Il n’en demeure pas moins que son succès reste intact. Fayrouz remonte sur scène en septembre 1994 à Beyrouth devant 50 000 Libanais[3]. Meurtri à cause de l’épouvantable guerre civile, le peuple libanais voit en Fayrouz une messagère de la paix et de la réconciliation nationale. Elle chante pour sa patrie, pour son Liban bien aimé. C’est la voix de tout le Liban, de Tripoli à Tyr en passant par Baalbek. Un véritable hymne à la tolérance et au pardon.

 

Une musique intemporelle 

Après plus de 800 chansons et 100 albums, la diva libanaise traverse les époques et les générations sans prendre aucune ride. Partout au Moyen-Orient, dans les bars, les cafés, les radios diffusent continuellement ses chansons. À l’unisson, ses paroles sont chantonnées et murmurées comme si l’instant d’un refrain le temps s’arrête. Vieillards, hommes, femmes et enfants connaissent ses airs dès la première note. Ses chansons sont l’expression d’un peuple avide de légèreté et d’insouciance face à la vie.

Toute la région se reconnaît dans l’un de ses couplets. Une litanie pour l’amour, la résistance ou pour la nature, Fayrouz aborde des thèmes qui s’inscrivent dans la durée. Au Levant, la musique dompte le temps. Les chansons de Fayrouz sont un pont entre les générations et les communautés. Dans un Moyen-Orient compliqué et fracturé, Fayrouz fait office d’exception. Cette diva libanaise apprivoise les divisions et soulage les peines. Pourtant, Fayrouz reste une femme mystérieuse. Elle donne peu d’interviews, ne s’investit pas politiquement et prend juste le soin de défendre ce qui lui semble être juste et noble.

Plus qu’un modèle, Fayrouz est une icône. Sur les étalages des marchés d’Amman, de Tripoli, de Ramallah ou de Damas, les CD de la diva libanaise sont vendus comme à son premier jour. Les produits dérivés font florès, des coques de téléphone en passant par les briquets ou les portraits. Dans les rues, il n’est pas rare de voir des étudiants chanter un de ses refrains à tue-tête. Dans les nombreux bars à narguilé au Moyen-Orient, dès qu’une chanson de Fayrouz passe, le temps s’arrête et les gens chantonnent l’air. Sa musique est un consensus intergénérationnel. 

Dans la ville syrienne sacrée de Maaloula, le temps se fige lors de la diffusion de la chanson Ya Mariam el Bekr (Ô Vierge Marie) de Fayrouz. Cette litanie se répand dans toute la vallée par les mégaphones de l’Église.

Dernièrement Fayrouz avait posté une vidéo dans laquelle elle récite un passage de la Bible en arabe pour insuffler un espoir durant la période de pandémie du Coronavirus. Au Moyen-Orient, rares sont les sujets consensuels qui traversent les périodes et les âges avec toujours la même passion. La diva libanaise est l’exception qui confirme la règle.

Emmanuel Macron savait qu’en lui rendant visite dans sa demeure de Rabieh non loin de Beyrouth le 31 août 2020 qu’il allait voir l’un des derniers symboles d’unité du pays du Cèdre.