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Économie - Énergie

Le prix de la contrefaçon, un sujet rarement évoqué par les politiques

Le Dialogue

Des agents des douanes transportent des sacs de luxe lors d'une opération dans le cadre d'une campagne anti-contrefaçon visant à détruire les produits contrefaits à Cannes, dans le sud-est de la France, le 11 juillet 2022. Photo : Valery HACHE / AFP.

 

Chaque année, durant la période estivale, sur les plages du sud de la France, mais aussi du pourtour méditerranéen, on voit déambuler des sympathiques vendeurs de faux sacs Vuitton et autres marques prestigieuses. Notre chroniqueuse, Léa Raso a rencontré un enquêteur privé qui pour des raisons de sécurité a préféré garder l’anonymat, car les risques sont proportionnels aux enjeux financiers. En effet, cette industrie souterraine rapporte des milliards de revenus aux groupes organisés qui ont structuré ce business plus que lucratif et qui représente une perte qui se chiffre en milliards d’euros pour les États, ainsi que pour les marques. 

 

L’été est une période propice aux achats « coup de cœur » et il n’est pas rare de se voir offrir pour un prix modique, le sac de ses rêves qui ressemble à s’y méprendre à celui que l’on a convoité dans une grande enseigne de luxe. Une copie qui frise l’authenticité. Et pour cause, depuis quelques années, on assiste à une montée en gamme, dans la contrefaçon. Mais si l’offre est souvent alléchante, le lieu où se déroule la vente et le prix de l’objet doivent suffire à tirer la sonnette d’alarme.

Car ne nous y trompons pas, il s’agit bien d’une infraction, et l’acheteur, au regard de la loi, est complice. Bien que moins pénalisé en cas de contrôle des Douanes, il se voit infliger une amende de trois fois le montant de la valeur réelle de l’objet. Quant au vendeur, selon les textes, il écope d’une amende qui peut s’élever à 300 000 euros et d’une peine de prison, comme le prévoit l’article L.716-10, du Code de la Propriété intellectuelle[1]. « Ce qu’ils ne font jamais », explique Ph C, enquêteur privé qui traque la contrefaçon depuis plus de vingt ans et qui collabore avec les Douanes françaises et la Guardia di Finanza transalpine. 

 

Un marché juteux qui n’est pas prêt de cesser

Ces mesures qui semblent parfaitement dissuasives ne permettent pas d’enrayer le phénomène, car trop de personnes vivent de la contrefaçon, de sorte que « celle-ci est un devenue un business à part entière. On assiste à la disparition progressive des dépôts de plainte, car l’activité qui est très organisée, se fait en flux tendu » et les boxes destinés à accueillir cette marchandise illicite sont de plus en plus mobiles, ce qui rend la tâche de l’enquêteur plus difficile. Il y a plus de vingt ans que Ph C travaille pour une marque de luxe internationale, un secteur qui, comme presque tous les autres, souffre d’une concurrence plus que déloyale. Celle-ci est estimée à 15% de l’économie mondiale, et la contrefaçon est responsable de la suppression de 38 000 postes de travail et de la faillite d’entreprises ayant investi dans la recherche et le développement du produit et qui sont contraintes de mettre la clef sous la porte.

 

L’industrie du luxe n’est pas la seule à être touchée de plein fouet par ce phénomène aggravé par la mondialisation : sont aussi concernés l’électroménager, l’industrie pharmaceutique, le parfum, les pièces de rechanges automobiles et la liste et longue et fluctue en fonction de la demande. 

Derrière ces trafics qui minent l’économie des Etats, qui sont la cause de la faillite d’entreprises et qui mettent souvent en danger la vie d’utilisateurs, il existe des groupes organisés qui ont donné une nouvelle impulsion à ce trafic. On ne peut pas évoquer une mafia à proprement parler, comme l’explique Ph C, car «  le terrorisme est en partie alimenté par cette économie souterraine, ce qu’a d’ailleurs révélé l’enquête qui a suivi les attentats de Charlie Hebdo. » Les gouvernements ne retirent aucun bénéfice de ces trafics, bien au contraire, car la contrefaçon demeure une activité qui suit les canaux illicites du blanchiment d’argent : « ils passent sous les radars » des Douanes qui  font  souvent appel  à des enquêteurs privés, comme Ph C. 

 

Des enquêtes souvent longues et difficiles 

Pour Ph C, ces enquêtes s’avèrent de plus en plus ardues : « il faut cibler le vendeur à la sauvette et par son intermédiaire, remonter la filière, en passant par le lieu d’habitation qui sert souvent de dépôt. Ensuite s’armer de patience et surveiller l’adresse pour voir si elle est approvisionnée en marchandises. Puis vient la phase de filature de celui qui amène le matériel. » Mais le « métier de la contrefaçon » s’est considérablement modernisé et évolue avec les nouvelles technologies.

Depuis  l’éclosion de la téléphonie mobile et d’internet, le métier d’enquêteur s’est complexifié : » il faut savoir qu’un vendeur est capable de proposer des marchandises à l’acheteur via son smartphone, ce qui réduit pour lui le risque d’être pris en flagrant délit : « lors de la remise de la marchandise, il y a toujours le guetteur, et celui qui récupère l’argent. Mais, même lorsqu’ils se font prendre, ils restent peu agressifs, car ils savent qu’ils ne risquent pas grand-chose, « du coup, ils ne passent même pas par la case prison ». La contrefaçon rapporte autant que la drogue, avec des effets moindres, puisqu’on ne va pas en prison » … Quant aux revendeurs, ils sont le plus souvent originaires de pays comme le Sénégal et leurs gains sont expédiés dans leur pays d’origine, avec une particularité toutefois, puisque la revente est entre les mains « de la confrérie soufie mouride, implantée notamment au Sénégal et en Gambie, et dont une partie des bénéfices sert à financer les écoles coraniques ».

 

Des affaires célèbres

Ph C montre non sans fierté un document de la Guardia di Finanza qui loue ses talents de détective : «  je leur apporte les affaires clefs en mains, car eux, ont toute latitude pour saisir la marchandise », mais Ph C regrette que les Douanes préfèrent la transaction plutôt que de poursuivre au pénal. Il évoque une affaire qui, en 2011, avait fait grand bruit dans la péninsule italienne et qu’il avait menée, en étroite collaboration avec les Carabiniers. « C’était une affaire de champagne de contrefaçon en Sardaigne. Tout est parti d’une vente caritative aux Etats-Unis. Une bouteille mise à prix à 5000 euros avait atteint les 30 000 euros. L’idée de contrefaçon n’a pas mis longtemps à germer dans l’esprit de Daniele Frisciata, un entrepreneur sarde alors âgé de 52 ans ». Le faussaire avait eu l’ingénieuse idée de vieillir les bouteilles, il achetait de vieilles étiquettes à des collectionneurs, pour  cacheter ses bouteilles  pour « faire plus authentique ». Ph C mettra un terme à ce business lucratif après des mois d’enquêtes. Mais les succès en matière de lutte contre la contrefaçon ne se limitent pas aux « grandes affaires ». En effet, l’enquêteur privé a contribué à empêcher les marchands ambulants d’écouler les produits contrefaits, qui, chaque étés sur les plages de la Côte d’Azur, étaient proposés (sacs et autres produits de maroquinerie) aux vacanciers: « il faut empêcher qu’ils aient de la visibilité » et pour ce faire, il n’a eu de cesse de les harceler en remontant notamment jusqu’à la source, un épicentre de la contrefaçon qui se trouve à Prato, en Toscane, où les ateliers clandestins pullulent, tenus le plus souvent par des ressortissants asiatiques qui travaillent main dans la main avec le crime organisé.

 


 


[1] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/La-contrefacon-les-textes