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Afrique

La relation franco-américaine face au coup au Niger

Le Dialogue

(De gauche à droite) La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen, le président américain Joe Biden et le secrétaire d'État américain Antony Blinken participent à la séance de clôture du Sommet États-Unis-Afrique sur le thème « Promouvoir la sécurité alimentaire et la résilience des systèmes alimentaires ». au Walter E. Washington Convention Center à Washington, DC, le 15 décembre 2022. Photo : Brendan SMIALOWSKI / AFP.

Washington et Paris ne se croisent pas en Afrique. Deux visions s’affrontent, deux approches s’écharpent. La crise au Niger pose des questions qui dépassent le continent africain. La bataille d’influence entre deux vieilles demi-sœurs embrase les émotions et ouvre la porte aux malentendus. Les certitudes d’antan se métamorphosent sans disparaître.

 

Un amour de longue date

L’idylle entre la France et l’Amérique ne date pas d’hier. Quand les Américains se révoltèrent contre la couronne britannique, les Français répondirent présent, ils sont venus pour délivrer les colons rebelles de la puissance anglaise. La précieuse aide venue de France a été décisive pour les aspirations indépendantistes des pères fondateurs. Quelques décennies plus tard, la relation est devenue plus sérieuse, la France et l’Amérique étaient deux républiques et elles répudiaient l’idée monarchique, leur cible préférée était Londres.

Plus récemment, la France et l’Amérique ont fait beaucoup d’efforts pour éliminer la guerre comme instrument politique. Dans le sillage de la Société des Nations (SDN), Aristide Briand et Frank Kellog ont imposé au monde civilisé en 1928 le pacte de Paris. Mais l’histoire devient plus complexe au fur et à mesure que l’on creuse. L’idéalisme américain de Woodrow Wilson a été clef pour faire advenir la Société des Nations, mais, in fine, l’Amérique s’est mise à l’écart. Le Sénat américain n’a jamais accepté de joindre l’organisation internationale et l’Amérique n’a pas été membre de la League of Nations (nom que les Anglophones donnent à la Société des Nations). La France est restée bouche bée face au réalisme, voire à la duplicité, américaine, un sentiment encore bien réelle aujourd’hui comme on verra ensuite…

 

Françafrique

Le coup d’État au Niger – maintenant suivi par un autre au Gabon, car les choses bougent en Afrique noire – ronge la relation franco-américaine. La France a condamné le coup, les États-Unis aussi, mais les similarités s’arrêtent là. Pendant que la France espère, de façon idéaliste, un retour au statu quo ante, les États-Unis parlent, de façon réaliste, avec la junte militaire. La froideur américaine gêne les diplomates français et fait grandir la méfiance entre les deux nations.

La France, comme au siècle dernier, attache une confiance aveugle aux organisations internationales ; cette fois-ci à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Ladite organisation pourrait intervenir militairement pour essayer d’enrayer la junte menée par Abdourahamane Tchiani.

Emmanuel Macron s’est dit prêt à considérer une requête d’aide de la part de la Cédéao pour intervenir au Niger. Les États-Unis ont été beaucoup plus élusifs sur la question et paraissent s’écarter d’une telle possibilité. La visite de Victoria Nuland au pays s’est traduite par une volonté d’apaisement, les Américains veulent faire les médiateurs entre la junte et l’ancien président ; devant le fait accompli, ils sont plus préoccupés par la croissance de l’influence chinoise ou russe dans la région que par une restauration improbable.

Il faut se rappeler que les Américains ont, en général, une bonne réputation en Afrique. Sans doute une meilleure réputation que les anciennes puissances coloniales dont la France. Le narratif au Sahel n’est pas contre « les Blancs », il est contre le néocolonialisme. Les États-Unis, depuis leur indépendance, se sont toujours détournés de l’Europe et de ses péchés. La diplomatie américaine joue cette carte souvent : « nous ne sommes pas des Européens ».

 

Un bout d’Afrique pour un bout d’Europe

Nous vivons dans une planète chaque fois plus connectée. Géopolitiquement parlant, les crises se lient les unes aux autres, malgré leur apparente distance. La France doit prendre le taureau par les cornes, et elle le fit. Macron a mis son veto – officieusement bien sûr, la disposition n’existe pas vraiment officiellement – à Fiona Scott-Morton. L’économiste américaine devrait prendre la tête de la direction générale de la concurrence de l’Union Européenne.

Pour beaucoup d’atlantistes la France, encore une fois, démontra son orgueil et sa démesure, elle ne comprend pas qu’elle n’est plus une grande nation et qu’elle doit se plier aux injonctions de Washington. Renforcer les liens transatlantiques ? Pourquoi pas ? Mais pourquoi toujours au détriment d’un côté de l’Atlantique et à la faveur d’un autre ? Une question qui n’est pas souvent répondue…

Scott-Morton a tiré à boulets rouges sur la France dans une interview pour The Telegraph. Selon elle il est triste que la société française ait peur de laisser une Américaine travailler pour l’UE. L’insoumission de la France n’est pas comprise du tout, pire, elle est inacceptable. Madame Scott-Morton peut-être ne le sait pas, mais les Américains ont maintenu leur ambassade à Vichy. Il y a des permanences dans l’histoire…

Mais dans le Quai d’Orsay – malgré un virage américanolâtre depuis deux décennies – les diplomates les plus fins savent que le rang de la France ne se joue ni en Flandres ni au Sahel. Il se joue autour du Dniepr. La France comme puissance d’équilibre, la France alliée mais pas alignée, la France qui inspire le monde et le guide. La France peut convoquer une grande conférence internationale avec le Brésil, l’Inde et la Chine et arrêter la tuerie à l’Est ; elle est la seule au monde à pouvoir le faire. S’il est vrai qu’elle  est encore déterminante en 2023, il n’est pas sûr qu’elle le sera en 2033…

 

Moscou et le combat contre l’impérialisme

Du Donbass au Sahel, il n’y a qu’un pas. La Russie, bien évidemment, exploite le sentiment anti-français dans la région. Mais il serait absolument faux de dire qu’elle l’a fabriqué. La Russie, durant la Guerre Froide, a défendu l’émancipation de l’Afrique face au colonisateur, les Africains s’en souviennent. Pourtant, elle n’était pas la seule. L’Amérique faisait la même chose : elle trouva dans le Portugal salazariste un allié nécessaire mais encombrant. Washington essaya de convaincre Lisbonne qu’il fallait lâcher les provinces africaines, sans succès. 

Toutefois, les Américains ont joué sur tous les tableaux ; en Angola, par exemple, ils ont armé et financé l’UNITA malgré leur alliance avec les Portugais, pour contrer le MPLA, soutenu depuis Moscou. Rien de nouveau sous le soleil. Les Russes continuent à défendre leurs intérêts, les Américains idem. Et les Français ? Ont-ils encore des intérêts ou juste des idéaux ?

Le triangle Bruxelles-Niamey-Donetsk nous démontre la complexité du monde, qu’on essaie de simplifier trop souvent. En Europe et ailleurs les gens ont soif de France. Il reste à la France de le comprendre, de se comprendre, et de devenir ce qu’elle n’a jamais cessé d’être. La stabilité du monde en dépend.