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Monde

Javier Milei change la politique argentine

Le Dialogue

Le député argentin et pré-candidat à la présidence de l'Alliance La Libertad Avanza, Javier Milei, applaudit alors que les confettis tombent sur la scène à la fin de la clôture de sa campagne pour les élections primaires du 13 août, à la Movistar Arena de Buenos Aires, le 7 août 2023. L'Argentine organise des élections primaires le 13 août et le premier tour de l'élection présidentielle le 22 octobre. Photo : Luis ROBAYO / AFP.

 

Le président Alberto Ángel Fernández annonça dès avril 2023 qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle nonobstant son éligibilité pour un second mandat. Les primaires d’août ont en fait vu la solidification de trois candidats, Bullrich, Massa et Milei. L’élection aura lieu le 22 octobre, avec la possibilité d’un second tour le 19 novembre si nécessaire. Milei a été la surprise des primaires et bouleverse le jeu politique argentin. 

 

Une rockstar de l’économie

Javier Milei, un pavé dans la mare. L’économiste iconoclaste est le candidat de la coalition La Liberté Avance (La Libertad Avanza). Le cri de guerre de Milei est : « Je ne me mets pas ici pour guider des agneaux mais pour réveiller des lions. » Sa fulgurante ascension dans la politique argentine remonte à 2021, lorsqu’il a été élu député national. À l’époque, il a également réussi à faire élire Victoria Villarruel, maintenant candidate à vice-présidente de l’Argentine derrière Milei.

Milei est un politicien novateur et audacieux, il a été ciblé par ses opposants à cause de sa manière désinvolte de communiquer avec les électeurs. Les formes habituelles et la tenue supposément correcte sont oubliées par Milei. Sa chevelure de rockstar – il a fait partie d’une bande d’hommage aux Rolling Stones – couplée à une langue affiliée ne laissent aucun Argentin indifférent. Pour les uns, il est un baratineur dangereux, pour les autres il est un véritable espoir.

Son opposition déchaînée contraste avec l’opposition théoriquement plus responsable du parti de l’ancien président Mauricio Macri. Milei a promis l’abolition de la Banque Centrale d’Argentine et la dollarisation de l’économie. Sa démesure plaît aux Argentins, son charisme fait de lui un saltimbanque sympathique et joyeux ; ses adversaires, à son côté, paraissent gris, vieux et poussiéreux.

 

La caste doit s’en aller

Le candidat de La Liberté Avance cible, d’abord et avant tout, la caste. Le mot a une connotation extrêmement précise en espagnol. Il désigne ceux qui détiennent le pouvoir, les institutions et l’hégémonie culturelle dans un pays. L’appareil étatique argentin est, selon Milei, gangrené par le kirchnérisme.

 

De quoi s’agit-il ? 

Néstor Kirchner et Cristina Fernández de Kirchner, péronistes, ont présidé l’Argentine successivement. Le premier de 2003 à 2007, la seconde de 2007 à 2015. Cristina est aujourd’hui la vice-présidente de l’Argentine. Le candidat de ce camp politique pour affronter Milei en octobre est Sergio Massa, actuel ministre de l’économie. Il s’est imposé face à Juan Gabrois.

Pour Milei et les siens, l’inflation galopante et la dégradation des services publics sont le résultat d’un socialisme toxique et d’un immobilisme atavique. Sa feuille de route est simple : il faut terrasser les murs inhibiteurs et tuer le mastodonte bureaucratique pour sauver l’Argentine. La question soulevée est importantissime ; comment peut-on changer un pays si la victoire dans les urnes est annulée par la bureaucratie étatique ? Cette question va devenir chaque fois plus pressante, en Amérique du Sud et ailleurs.

 

Un libéral-libertaire face à la modération

Au-delà de l’officialisme – un autre nom que les Argentins donnent au camp kirchnériste – Javier Milei devra affronter Patricia Bullrich. L’ancienne ministre de l’intérieur a battu Horacio Larreta lors des primaires. Bullrich est ainsi devenue la candidate d’Ensemble pour le changement (Juntos por el cambio).

La bataille entre Milei et Bullrich aurait pu paraître déjà terminée. Mais la volatilité de la politique argentine décourage une telle assertion. Les primaires argentines ont la spécificité d’être à la fois internes et externes. Javier Milei a été voté par 30% des électeurs, il n’a pas dû affronter de candidat interne, mais les deux autres coalitions se sont divisées. L’addition de Bullrich et Larreta nous donne 28% et l’addition de Massa et Gabrois 27%. Le débat idéologique sera la clef, en octobre, pour trancher entre trois coalitions si proches.

Schématiquement, nous pouvons dire que Massa est à gauche, que Milei à droite et que Bullrich est au centre. Ceci est une simplification grotesque, certes, mais elle a un but éducationnel. Sans Milei, on aurait pu dire que Bullrich était à droite et Massa à gauche. Toutefois, Massa est critiqué dans sa coalition pour être trop à droite, et Bullrich pourrait séduire des électeurs traditionnellement de gauche grâce à son expérience régalienne. L’apparition de Milei a renversé la table, la course n’est plus à deux, elle est à trois.

Milei recentre Bullrich. Ceux qui n’en peuvent plus du kirchnérisme voteront, très certainement, pour Milei. Mais ceux qui sont moins enclins à suivre le vent se diront peut-être que Macri n’était pas si mauvais que cela et que Bullrich pourrait être une option plus sûre. Le candidat de La Liberté Avance s’est défini plusieurs fois comme libéral-libertaire. Un individualisme si prononcé tend à effrayer une population historiquement catholique, très attachée à la notion de famille. C’est là que Patricia Bullrich peut faire des dégâts : sa stratégie est de capitaliser sur le mécontentement en gardant une respectabilité de femme d’État. Si, comme tout semble l’indiquer, l’élection se décidera en novembre et non en octobre – pour l’éviter, un candidat aurait besoin de 45% des voix au premier tour – Bullrich doit juste siphonner un peu le kirchnérisme pour être dans un tête-à-tête face à Milei ; là elle a tout pour briser l’ouragan libertaire.

 

L’Argentine face à l’ordre mondial

L’Argentine est un pays important à l’échelle mondiale, elle l’a toujours été. Au début du siècle dernier, elle était l’un des pays les plus riches au monde, devant la France et l’Allemagne. Mais les transformations politiques du siècle dernier ont changé le monde et non seulement l’Europe.

Aujourd’hui, l’Argentine envisage une intégration dans le camp des BRICS, qui viennent d’accepter sa candidature fin août dernier lors du dernier sommet des Brics en Afrique du Sud. Le président Fernández a confirmé que l’adhésion entrera en vigueur le premier janvier 2024. Les BRICS deviennent donc les BRICS+. Des invitations à rejoindre le Groupe ont aussi été adressées à l’Égypte, à l’Éthiopie, à l’Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis et à l’Iran, qui ont eux aussi été acceptés comme futurs membres. 

 

Posons donc maintenant la question qui fâche : Milei est-il un contre-feu allumé par l’Oncle Sam pour empêcher la brésilianisation de l’Argentine ? 

C’est une possibilité, car depuis Washington, Javier Milei est vu comme un allié. Le Brésil détient plus de quatre fois la population de l’Argentine, sa langue lui donne une identité différente par rapport à tous les autres pays au sud de la Californie. Mais les plans étasuniens ne se concrétisent pas toujours ; les Américains ont proposé au Brésil l’invasion du Vénézuéla pour renverser Maduro. L’armée brésilienne a compris le piège, Jair Bolsonaro aussi. Rien de garantit que Javier Milei suivrait les suggestions de Washington aveuglement.

Milei a participé à la kermesse politique de Vox en 2022. Il a ouvert son discours de presque 20 minutes avec un « Viva la Libertad carajo ». Sa croisade contre les gauchistes – los zurdos en espagnol argentin – s’est manifestée à chaque mot. Il a mentionné le Mur de Berlin : pour Milei, la chute du Mur avait représenté la victoire de la liberté non depuis 1989 mais dès 1961, date de sa construction. 

Beaucoup de commentateurs diront que Milei, comme Santiago Abascal, le leader de la droite dure espagnole (parti Vox), est un leader populiste. Méfions-nous d’une telle classification. On peut même douter de l’existence même du populisme. La politique – ou peut-être devrait-on dire le politique – est conflictuelle. Le mot populiste est souvent une simple insulte contre un adversaire politique ; souvent contre quelqu’un de nouveau, quelqu’un qui est dégoûté par ce qu’il voit. Ceux qui détiennent le pouvoir qualifient leurs adversaires de populistes, ce faisant ils espèrent de la sorte les disqualifier.

Milei sera peut-être le candidat de Washington, mais il n’est pas le candidat de Londres. Patricia Bullrich est vue d’un meilleur œil depuis l’Angleterre. Elle signa un accord bilatéral avec Boris Johnson en 2018, à l’époque ministre des affaires étrangères. La running mate de Milei, Victoria Villarruel, est vue comme dangereuse pour les intérêts de la couronne britannique. Elle est la fille d’un militaire influent, et les services secrets britanniques pensent que si elle est élue vice-présidente, elle se focalisera énormément dans la récupération des Malouines – les Anglais les appellent Falklands, les Argentins Malvinas.

 

En guise de conclusion 

La course est ouverte. Javier Milei, Patricia Bullrich, Sergio Massa, l’un d’eux sera le prochain chef d’État de l’Argentine. Le kirchnérisme a besoin d’un réveil rapide pour parvenir au second tour de l’élection présidentielle. En septembre, les sondages et les cœurs argentins pointent vers une bataille entre le candidat de La Liberté Avance et la candidate d’Ensemble pour le changement.