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Editos

L’intelligentsia et l’identité

Le Dialogue

Le Caire a connu ces derniers temps- du 17  au  19 septembre  2023- un  important forum  intellectuel, coparrainé  par le Haut conseil égyptien de la culture  et la Fondation  arabe de la pensée du  Liban, qui  a débattu des  dossiers traités dans son douzième rapport  de développement  . Y participèrent des chercheurs du Maroc,  de la Mauritanie,  de la Tunisie,  de la Lybie, des EAU, de l’Egypte et du  Liban.

La question  de  l’identité a occupé une  part  de ces discussions,  vu l’influence qu’exercent ses politiques sur le  monde et la région arabes. Les participants sont  convenus  de la nécessité  d’accroître l’intérêt porté à l’identité aux niveaux de la politique et de  la recherche dans les divers pays et  sociétés. Bien plus, l’un  des intervenants a cité  cette  phrase de Francis Fukuyama : « Si le vingtième siècle  est  celui du  conflit entre l’Est  et l’Ouest, le vingt et unième siècle est  celui  du conflit  de l’identité »,  inscrite dans plusieurs contextes, tel  le conflit politique actuel aux Etats Unis et la montée  des partis  populistes en Europe. Ils sont tombés également d’accord  sur le fait  que l’identité n’est pas seulement  une question culturelle  mais qu’elle a également ses causes  économiques, sociales et politiques; elle n’est ni inerte ni  immobile  mais son essence  diffère  avec le changement  des conditions  et des situations.  La preuve en est  que les revendications des groupes d’identité ont  changé  d’une époque à l’autre. 

Certains ont mis en  exergue l’identité  en tant qu’un des aspects des conflits politiques  et des guerres civiles dans les pays arabes  dont la Syrie, le Liban, le Yémen, la Libye, l’Irak  et le Soudan, lorsqu’un  seul groupe ethnique  a étendu son hégémonie. a détenu, à lui  seul, les rennes du  pouvoir et a  utilisé, pour servir son propre intérêt, toutes les ressources du pays  ou que toutes les différences entre les partis et les forces politiques se sont  fondées sur des facteurs ethniques, sectaires  ou  doctrinales. La situation  a empiré  lorsque des milices  militaires ont été  créés sur la base de l’identité religieuse  comme c’est le cas  pour l’Organisation de l'État islamique connu  sous le nom  de « Daech »  qui a  resserré  son emprise  sur  de grandes superficies en  Irak et  en  Syrie. L’Organisation ne s’est pas contentée d’étendre, par force, sa  vision sur la société mais elle est allée  jusqu’à exercer les discriminations les plus flagrantes  contre les adeptes des autres religions  ou dogmes. La preuve en est le traitement infligé  aux  chrétiens   et aux Yézidis en  Irak.

D’autres ont accordé plus d’intérêt à la politique de quotas  confessionnels  et ses effets sur la démocratie  et l’établissement d’institutions  politiques. Ils  ont signalé l’expérience à  cet effet du  Liban  et de l’Irak où les grands  postes de l’Etat sont répartis  entre les représentants des divers  sectes de manière  à  consacrer l’esprit  confessionnel et à le considérer  comme la seule voie qui  mène à l’accession  aux postes clés ou  à la candidature  aux postes de délégués parlementaires. La conséquence en serait de faire régresser la valeur de la citoyenneté  et  de la  loyauté à l’Etat.

Un  troisième groupe  a signalé  le rôle des facteurs externes  et notamment l’influence de l’invasion américaine de l’Irak  en  2003 et  le   rétablissement  du régime sur la base des quotas confessionnels  surtout que les puissances coloniales,  usant souvent de  la  politique de « diviser pour mieux  régner »,  ont rapproché d’elles l’une de ces factions  et lui ont fourni, au  dam des autres, de plus grandes opportunités économiques et politiques.

Fut alors  pointé  du doigt  les retombées des politiques adoptées  par  les gouvernements des pays arabes  qui ont exacerbé  les conflits d’identité  et  ne  les ont  jamais  calmés. Elles ont causé une répartition injuste des ressources,  des services et  des produits;  comme elles n’ont  aucunement garanti  la soumission au  gouvernement des revendications des groupes ethniques à cause de l’absence  de canaux de participation politique ni assuré des espaces ou des champs d’action communs entre les citoyens d’une même patrie. C’est dans son  ouvrage «  La fabrication de  l’ennemi » que le sociologue libanais  Frédéric  Maatouk a mis en  exergue ce  phénomène et  a  montré comment les membres d’une même ethnie ou  identité,  en  se retirant dans leur propre  cocon  et en se repliant  sur eux-mêmes,  jettent sur les autres un  regard de doute,  de défiance et  d’animosité.

La solution miracle de  traitement des questions d’identité consiste  dans la reconnaissance de  la diversification  sociale et des différences culturelles  entre tous les composants de la société,  de les considérer tous   comme enfants  d’une seule et même patrie pour  adopter ensuite des  politiques générales  qui assurent  des opportunités  équitables  au  niveau  du développement,  de  la santé  et  de l’éducation  ainsi qu’au  niveau  de l’accession  aux postes  publics, de la représentation au parlement  et  aux ONG afin de  créer une contribution  collective  et de tout part  et de lever  les obstacles qu’affrontent  la société  et l’Etat. Fut  signalée à  ce  propos l’expérience réussie  du  premier ministre de  Singapour, Lee Kuan Yew  qui  a réussi à  manipuler la  multiplicité sociale et culturelle de  son pays et  à  créer un environnement de partenariat et de coopération  entre tous les éléments de la société  qui remontent à  des origines malaises, indiennes et chinoises.

Toutes ces politiques convergent vers  un but  unique: confirmer la valeur de la citoyenneté et le sentiment d’appartenance à une seule patrie. Nonobstant, il  ne sera jamais atteint par la simple  promulgation de lois et de législations;  la citoyenneté  doit constituer le fondement  des interactions  quotidiennes entre les individus  et  l’échine dorsale de leurs comportements  les uns vis à vis des autres. La citoyenneté  n’est  pas  un texte constitutionnel   ou  un article de loi :  elle est notre réalité  vécue et nos  pratiques sociales quotidiennes.