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Ukraine/Russie

Le Cardinale Zuppi et la fameuse mission de paix entre la Russie et l’Ukraine dont les médias ne parlent presque jamais

Le Dialogue

Le cardinal italien Matteo Zuppi, envoyé pour la paix du pape François en Ukraine, préside une messe à la cathédrale de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge Marie à Moscou, le 29 juin 2023. Photo : Olesya KURPYAYEVA / AFP.

 

Cette semaine, notre chroniqueur Stefano Nitoglia, spécialiste des questions vaticanes et religieuses, revient sur la mission de paix confiée par le pape François au cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne et archevêque de Bologne, pour tenter de mettre fin à la guerre entre l'Ukraine et la Russie. D’après Nitoglia, le Vatican et sa Sainteté le Pape sont actuellement le seul protagoniste capable d'assurer une médiation audacieuse, mais discrète, entre les parties en conflit, poursuivant ainsi l'ancienne fonction d'arbitrage exercée par le Pontife romain.

 

Le 20 mai 2023, la salle de presse du Vatican rapportait que le pape François avait confié au cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne et archevêque de Bologne, une mission de paix pour tenter de mettre fin à la guerre entre l'Ukraine et la Russie. "Je peux confirmer - a déclaré à l'occasion le directeur de la Salle de Presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, répondant aux questions des journalistes - que le pape François a confié au cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, la tâche de diriger une mission, en accord avec le Secrétairerie d'État, qui contribuera à apaiser les tensions du conflit en Ukraine, dans l'espoir, dont n’a jamais désespéré le Saint-Père, que cela puisse ouvrir des chemins de paix". Le cardinal Zuppi, lorsqu'il était simple prêtre, avait d’ailleurs déjà accompli avec succès la tâche de médiateur dans le processus de paix qui avait conduit à la fin de la guerre civile au Mozambique en 1992.

Pour accomplir cette tâche, le cardinal s'est rendu à Kiev les 5 et 6 juin et à Moscou les 28 et 29 juin, accompagné d'un fonctionnaire de la Secrétairerie d'État du Vatican. Le 16 juin, dans cette perspective de réconciliation, et de retour de son hospitalisation à la polyclinique Gemelli de Rome après une opération abdominale, le pape François a rencontré le métropolite Antoine de Volokolamsk, président du Département des Affaires extérieures du Patriarcat de Moscou, pour planifier la deuxième étape du voyage du cardinal Zuppi, celle de Moscou, tandis que, parallèlement au voyage à Moscou, le Pape a envoyé pour la sixième fois le cardinal Konrad Krajewski, préfet du Dicaste, en Ukraine dans le cadre d’un service de charité. 

Dans une interview accordée le 22 août dernier au site "il filiale-net" (https://www.ilsussidiario.net/news/guerra-in-ukraina-card-zuppi-perche-leuropa-non-aiuta-linizia-di-pace -del-papa/2579403/), en marge de la quarante-quatrième "Rencontre pour l'amitié entre les peuples", qui a lieu chaque année fin août à Rimini, organisée par le mouvement "Communion et Libération", le Cardinal Zuppi a déclaré : « Tout le monde veut la paix, car la guerre est terrible. En revanche, les raisons des deux conduisent malheureusement à des points de vue très différents. Ces différences ne doivent pas nous faire perdre la clarté de la responsabilité, de l'agresseur et de l'agressé. Nous devons croire qu'il existe un moyen d'arriver à une paix juste et sûre, non pas avec les armes mais avec le dialogue. Il y a donc guerre parce que l'homme a désobéi au commandement de Dieu de ne pas tuer et s'est rendu directement ou indirectement complice du mal".

Selon le cardinal, outre la désobéissance à Dieu, les autres facteurs qui ont provoqué ce conflit - comme les autres guerre d’ailleurs - dans ce qui, reprenant les paroles du pape François, « est une troisième guerre mondiale fragmentaire », sont des nationalismes exaspérés et le peu d'impact politique de l'Union européenne : « Nous devons rechercher un renouveau de l'esprit européen si nous voulons garantir à nos enfants un avenir de paix. Le problème des nationalismes, quels qu’ils soient, c’est que, s’ils sont placés dans une portée large et universelle, ils deviennent tôt ou tard dangereux parce qu’ils opposent et divisent. Malheureusement, l'Union européenne fait trop peu, elle devrait faire bien plus. Elle doit s'efforcer par tous les moyens d'aider les initiatives pour la paix, à la suite de l'invitation du Pape François pour une paix créatrice".

 

Le refus persistant des parties en présence à « renoncer à quelque chose », source de pérennité du conflit

Malgré cette initiative papale, la guerre continue malheureusement, notamment à cause du refus des parties de renoncer à quelque chose, ceci quand bien même nous commencerions peut-être à entrevoir les premières lueurs de paix. Certains signes montrent en effet que les États-Unis, confrontés aux succès limités de la contre-offensive ukrainienne, feraient pression sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu'il trouve un accord. Les Etats-Unis sont probablement inquiets du fait que la poursuite de la guerre, avec un possible effondrement de la Russie, risquerait d’aboutir à privilégier en fin de compte la Chine, leur principal concurrent, ceci bien que, récemment, des signes positifs soient apparus. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a annoncé ces derniers jours que le président de la Conférence épiscopale italienne, le cardinal Zuppi, reviendrait "bientôt" à Moscou et certains émettent l'hypothèse, à cette occasion, d'une rencontre directe entre Zuppi et le ministre russe des Affaires étrangères lui-même et non, comme la dernière fois, avec des personnages de second ordre dans la hiérarchie russe ; à tel point que le Corriere della Sera du 18 septembre - le journal le plus diffusé en Italie - titrait: « Vatican-Russie. La toile possible ». Paolo Mieli, auteur de l'article publié en première page, ancien directeur du journal, personnalité très importante et informée du milieu de la presse italienne, et pas seulement, commente dans l'article que "(...) l'annonce du ministre Les Affaires étrangères russes pourraient être un signal d’une certaine importance. Un signal pour ceux qui espèrent une surprise positive dans la guerre en Ukraine (…) ». Une personne de l'envergure et de la prudence de Mieli ne se serait pas exposée de cette manière si elle n'avait pas eu certaines informations ».

 

La fonction d’arbitrage du Pape et du Saint-Siège dans la résolution des conflits : une vocation vaticane parfois oubliée

L'implication du Saint-Siège dans les processus de paix n'est pas une idée farfelue et relance un thème très intéressant et oublié depuis des années : celui de la fonction d'arbitrage du Pape et du Saint-Siège dans la résolution des différends internationaux. Au Moyen Âge, c'était une chose courante, mais même plus récemment, encore, le Pape et le Saint-Siège ont résolu divers conflits entre États souverains. Cela a été rappelé il y a trois ans, le 6 novembre 2020, par Mgr. Paul Richard Gallagher, secrétaire aux Relations avec les États, sorte de ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège, dans son discours à l'occasion du quarantième anniversaire de l'accord entre le Pérou et le Saint-Siège. Cet accord fut signé à Lima le 19 juillet 1980, et Mgr Gallagher citait ici deux épisodes pas si éloignés dans le temps, l'un remontant aux années 1980 et l'autre à 1885 (cf. Stefano Nitoglia, "Guerre Russie-Ukraine : le Pape François arbitre entre les parties ?" dans "Alleanza Cattolica", 28 octobre 2022, https://alleanzacattolica.org/guerra-russia-ukraina-papa-francesco-referee-tra-le-parti/.)« pour faciliter le dialogue entre les parties, il est nécessaire d'identifier les outils et les opportunités de rencontre », a déclaré Mgr. Gallagher, rappelant que « dans les années 1980, un bureau spécial de médiation pontificale a été crée au sein de la Section des relations avec les États de la Secrétairerie d'État. Concrètement, il s'agissait de développer les contenus juridico-politiques nécessaires pour mettre fin au conflit territorial entre l'Argentine et le Chili à propos du canal Beagle, à l'extrême sud du continent américain. Objectif effectivement atteint le 29 novembre 1984 avec la conclusion du Traité de paix et d'amitié par lequel les Parties ont donné des effets contraignants à la solution du différend proposée par le Saint-Siège". "Un tel type d'action pacificatrice", a poursuivi le prélat, "a des racines beaucoup plus anciennes que les médiations médiévales pro pace reformanda inter gentes, et avait déjà été exercé à des époques plus récentes, comme le rappelle l'arbitrage mené par le pape Léon XIII en 1885 pour mettre fin au conflit entre l'Espagne et l'Allemagne pour la souveraineté sur les îles Carolines. Et cela va jusqu'à l'implication la plus récente du Saint-Siège dans la facilitation d'un accord entre Cuba et les États-Unis d'Amérique, pour entamer une nouvelle étape dans les relations diplomatiques après des décennies d’opposition. A ceux qui souhaitent lire ces événements comme purement politiques et sans rapport avec une dimension plus spirituelle et ecclésiale, il suffit de rappeler que dans les cas évoqués ici, il s'agissait précisément des évêques locaux et, en tout cas, de la présence et du rôle positif joué par l'Église dans ces pays, de juger indispensable une intervention diplomatique directe du Saint-Siège". 

 

En guise de conclusion

Les instruments juridiques existent donc et ils ne sont pas obsolètes. La figure du pape François qui, tout en condamnant l'agression de la Russie contre l'Ukraine, n'a pas voulu attribuer toutes les responsabilités à une seule partie, semble la plus adaptée pour exercer cette opération de médiation ou d'arbitrage entre les parties en conflit. L'heure est grave. La menace d’une guerre nucléaire plane. Le Pape l’a répété à plusieurs reprises.