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Monde

Maroc. Un mois après le Séisme : Autopsie d’une catastrophe

Le Dialogue

Des élèves suivent des cours sous une tente dans une école de fortune du village d'Asni, frappé par le tremblement de terre, dans la province d'al-Haouz, dans les montagnes du Haut Atlas, au centre du Maroc, le 18 septembre 2023. Près de 3 000 personnes ont été tuées et des milliers d'autres blessées lorsqu'un Un séisme de magnitude 6,8 a frappé la province marocaine d'Al-Haouz le 8 septembre. Beaucoup craignent que les conditions de vie désastreuses et le manque d'hygiène ne représentent de nouvelles menaces pour les survivants. Photo : FADEL SENNA / AFP.

 

 

Notre pays vient de subir l’une des plus graves catastrophes naturelles depuis plus de soixante ans. La catastrophe était d’une rare violence où plus de cinq provinces (ville de Marrakech non comprise) ont été touchées, près de quarante communes ont été ravagées et près de 350 villages (douars) ont été dévastés par un tremblement de terre, d’une magnitude de 7, comme étant un cataclysme le plus inédit au début du 21e siècle. Son onde de choc a détruit des milliers de logements et mettant en situation de grande détresse, près de 300 000 personnes, 50 000 foyers détruits en partie ou en totalité et près de 1,2 Milliards de dollars de dégâts matériels selon les premières estimations des Nations-unies. En parallèle, par la Grâce de Dieu, le massif de l’Atlas a pu absorber 54% de l’onde de choc, selon l’observatoire américain de séismologie, sinon, le Maroc allait avoir un scénario proche du cataclysme qui a frappé la Turquie et la Syrie, provoquant la mort de plus de 50.000 personnes.

 

Sur institutions et directives de Sa Majesté, et, après quelques heures de flottement, la riposte royale s’est mise en place et les services de l’État et l’armée royale en tête, se sont déployés par voies terrestres et aériennes pour venir en assistance aux populations sinistrées dans une configuration géographique et géologique contraignantes, entravant l’acheminement des aides et des premiers secours, limitant le nombre de mort à 2900 et 5000 blessés environ. Sans la réactivité et l’efficacité des services de l’État et, heureusement, loin de la rigueur de la saison hivernale, le bilan aurait pu être extrêmement plus élevé.

 

Dans la foulée, Sa Majesté a validé une stratégie multidimensionnelle pour la gestion de la crise dans ses trois séquences, à savoir la circonscription cartographique précise de l’onde de choc du séisme et de la zone dévastée, la gestion de l’urgence, par l’évacuation des morts et des blessés et, enfin, l’élaboration et d’une vision éclairée de Sa Majesté pour la phase dite post-crise, par le dessin des contours d’un Master Plan du processus de reconstruction totale ou partielle de plus de 50.000 logements., des dizaines d’équipements publics et infrastructures coûteuses de désenclavement.

 

Cependant, le grand défi ne fait que commencer, car il est nécessaire de rappeler qu’en dépit de l’ampleur de la catastrophe, le Maroc n’a pas succombé aux sirènes des pays qui proposaient leur assistance, non sans arrière-pensée politique, dixit la France et l’Algérie. Le Maroc a fait preuve de sa résilience et de capacité à gérer les dégâts collatéraux de la catastrophe naturelle par ses propres moyens humains et matériels, malgré l’assistance symbolique des quatre pays, auxquels le Maroc a donné son feu vert pour y participer.

 

Par ailleurs, et sans angélisme, ni triomphalisme, le Maroc a gagné la bataille de l’empathie internationale et de l’efficacité opérationnelle, mais il n’a pas, pour autant, gagné la guerre longue et budgétivore conséquente pour la reconstruction à l’identique. Le plus dur reste à faire malgré l’élan de solidarité citoyenne sans précédent, dont tous les Marocains ont fait preuve. En effet, le plus dur reste à faire, car cette catastrophe a mis, paradoxalement, le Maroc face à ces défaillances tant structurelles que conjoncturelles, héritées de ces enclaves marocaines dites inutiles, profondes, vulnérables ou assignées par un déterminisme géographique millénaire.

Nous citons les plus problématiques, les plus urgentes et les plus flagrantes, notamment celles relevant de la prévoyance et de la gestion anticipative des risques et catastrophes naturelles ou celles liées au changement climatique ou encore, celle liée au stress hydrique. Quelques recommandations ont été d’emblée formulées par les spécialistes de la gestion anticipative des catastrophes majeures ou de la gouvernance en « T0 » du pic de la catastrophe :

 

Absence, en amont, d’un organisme ad hoc, spécialement dédié à la prévoyance et à la gestion des catastrophes naturelles sur la base d’un corpus de protocoles et procès pré-écrits, définissant et établissant le rôle de chaque intervenant ou institution publique, territoriale, ou celle relevant des ONG et de la société civile locale ou nationale, à savoir « Qui fait Quoi ? Comment ? Pourquoi ? », de nature à synchroniser la réactivité du bas vers le haut et vice-versa. Tous les échelons de prise de décision ont été pris de cours dans les quarante-huit heures post-séisme. Tout le monde attendait la providence royale.

Le poids réaffirmé du centralisme jacobin et de la gestion verticale où la CRISE doit être gérée à/de Rabat qui devait évaluer - organiser - décider - coordonner - valider - déployer - communiquer - agir, etc.

 

La panique et l’inertie des services décentralisés et particulièrement ceux des collectivités locales qui ont laissé le terrain vacant aux associations peu équipées, mal formées et qui se sont ruées vers l’épicentre et les zones sinistrées au risque de saturer le peu de voies de communications praticables et compliquer, in fine, le rôle des sauveteurs professionnels et de la logistique à multiples niveaux.

 

L’ambivalence des médias étrangers et l’improvisation des locaux quant à la couverture médiatique de la catastrophe, ouvrant ainsi, la porte aux rapaces et journalistes étrangers et des réseaux sociaux opportunistes en quête d’images choc ou sensationnelles, alors que si des protocoles pré-élaborés et modélisés ont été mis en œuvre pour circonscrire spatialement l’ampleur de l’onde de choc « grounds zéro », les autorités auraient défini, comme préalable, un périmètre de sécurité dont l’accès est strictement réglementé et restreint. Cela fut palpable à travers la stratégie rudimentaire de communication institutionnelle de crise. Pas de porte-parole habilité à maîtriser les séquences de gestion de la crise, du débit et de la fréquence des communiqués traitant de la crise dans sa globalité. Pas de personnel référent, parlant au nom du gouvernement, dans un objectif de maîtrise des éléments de langage qui doivent être distillés tant au niveau de l’image que des commentaires.

 

La prise en main de la phase lourde des opérations de secours et de la logistique par les Forces Armées Royales, quarante-huit heures après le séisme, est venue mettre à nu et palier les improvisations et la confusion dans lesquelles se sont empêtrées certaines autorités locales et les élus, disparus des écrans radar, tétanisés par l’ampleur du désastre. On n’était à un pas loin de faire appel aux Nations-unies, ce qui aurait un fort impact sur l’image et la notoriété du Maroc au niveau international.

Retard à l’allumage du ministère de l’aménagement du territoire national, de l’habitat, de l’urbanisme et de la politique de la ville, ministère de tutelle rappelons-le au passage, qui s’est trouvé court-circuité par le ministère de l’Intérieur et par l’armée, tant au niveau de la gestion de la communication que sur un éventuel plan d’action d’urgence aussi éphémère soit-il.

La gestion post-crise traitant de la phase de la reconstruction, de réhabilitation et du relogement, le ministère de tutelle ne dispose pas ou peu de leviers réactifs en matière de communication de crise, de pédagogie post survenance pour ce qui relève de la stratégie d’une reconstruction concertée dans un timing crucial post traumatique des sinistrés.

En effet, la nature a horreur du vide, car, en dehors des directives précises chiffrées et donnant matière aux décideurs locaux ou infra locaux, le ministère de tutelle se doit de communiquer et de réfléchir à la mise en place d’urgence d’une cellule de veille ou d’un centre ressource de nature à prendre le relais, à occuper l’espace médiatique générique, laissé vacant pour les pseudos experts.

Elle se doit également de développer, urgemment, une doctrine modélisée, sous forme d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, animée et supervisée par le département ministériel, chargé de la Politique de la Ville, pour accompagner les opérateurs externes (publics et privés) afin de préserver d’abord et surtout l’écosystème anthropologique, culturel, architecturel et économique qui fut dévasté par le séisme, et par la suite, proportionner les phases chronologiques du processus de reconstruction.

 

Une inter ministérialité se doit de se pencher sur l’élaboration d’une série de protocoles et procès ad hoc de manière à consolider et à porter du crédit à la parole de Sa Majesté et, plus globalement, à la parole et à l’engagement de l’État.

Article publié sur le site lecollimateur.ma