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Ukraine/Russie

Ukraine : la guerre d’usure, jusqu’à quand ?

Le Dialogue

Une technicienne de la société d'armement allemande et fournisseur automobile Rheinmetall travaille sur des munitions de 155 mm qui seront livrées aux forces ukrainiennes pour le Panzerhaubitze 2000 (obusier blindé 2000), un obusier automoteur de 155 mm, dans les installations de Rheinmetall à Unterluess, dans le nord de l'Allemagne, le 6 juin 2023. Photo : Axel Heimken / AFP.

 

 

Comment en est-on arrivé là ?

A partir de 1990, l’Europe et les pays anglo-saxons, devant le spectacle de l’état désastreux de l’économie Russe et de la misère de sa population, ont considéré que la menace venant de l’Est n’existait plus et ont réduit considérablement leurs budgets militaires et leurs capacités de production des matériels et des munitions classiques des années de guerre froide. En 1989, l'armée de terre française était composée de trois corps d'armée blindés mécanisés (9 divisions), de la force d'action rapide et de la défense opérationnelle du territoire. Ses effectifs atteignaient 296 000 hommes. Elle réduite aujourd’hui des deux tiers et ne comporte plus que deux divisions avec chacune une seule brigade blindée.

A partir du 11 septembre 2001, la guerre contre le terrorisme a mis en avant le concept de « guerre asymétrique » dans laquelle les consommations de munitions de gros calibre d’artillerie étaient très rares afin de limiter les pertes de la population civile dont il fallait gagner la confiance. A l’Ouest, les états-majors ont choisi d’abandonner l’effet de saturation de l’artillerie pour s’orienter vers la production de munitions intelligentes, peu nombreuses en raison de leur coût. C’est à cette époque que commence aux Etats-Unis la production des HIMARS[1] et, en France, celle des canons Césars[2] qui assurent une précision des tirs à longue distance respectivement (80 et 40 kilomètres). 

De son côté la Russie, avec son territoire étendu comme 35 fois la France, a privilégié la modernisation de sa dissuasion nucléaire (missiles hypersoniques) et de son aviation. Elle n’entreprend la modernisation de son armée de terre qu’à la fin des année 2010, réduisant l’organisation de ses unités de la division à la brigade tout en conservant ses lignes de production de ses anciens blindés (T72, T80, T80BV, T80BVM T80U) en améliorant leur protection (blindages actifs et passifs, canon de 125, stabilisateur de tir, électronique embarquée), ne lançant que la production du T90 essentiellement pour l’exportation et conservant son artillerie de saturation. Ainsi en 2022 ses unités d’appui feu étaient plus nombreuses que ses unités blindées mécanisées.

 

La surcapacité de feu de la Russie

Aussi quand la guerre d’Ukraine est déclenchée par Poutine en février 2022 la capacité de production d’obus[3] de 155 en Russie est de l’ordre de 2,5 millions par an alors que les Etats-Unis n’en produisaient plus que 93 000. Ainsi en 2022 les forces russes ont pu tirer environ 1 million d’obus par mois soit jusqu’à 40 000 par jour alors que les Ukrainiens n’en ont tiré en moyenne que 8000 par jour. Et bien qu’ils en aient tiré 5 fois moins que les Russes, ils ont consommé en un mois deux fois et demie la production annuelle des USA. Aussi pour permettre à l’Ukraine de tirer 2.5 millions d’obus en 2022 et de constituer des stocks pour sa contre-offensive, les Etats-Unis ont transféré à l’Ukraine 2 millions d’obus de leurs stocks et plus 500 000 en provenance de la Corée du Sud et quelques dizaines de milliers en provenance des stocks des pays européens. 

Aussi fin 2023, les stocks de l’Ouest se trouvent à un niveau critique.  En juin 2023, la Bundeswehr allemande a découvert qu’il ne restait plus que 20 000 obus de 155 mm dans ses arsenaux. Même si les Etats-Unis ont passé des contrats pour produire 90 000 obus par mois en 2025, ce total ne représentera que la moitié de la production annuelle russe au début de la guerre. Et il faudra 5 ans au moins aux Etats-Unis pour reconstituer leurs stocks de munitions d’artillerie et les besoins d’Israël ne font pas améliorer la situation ukrainienne.  La situation est pire en France, qui possède pourtant la quatrième industrie d’armement du monde et la troisième exportatrice. Grâce aux fonds européens engagés par Thierry Breton, l’usine Nexter Arrowtech de la Chapelle Saint-Ursin qui assemblait en moyenne 40.000 obus de 155 mm par an (2 jours de feu Russe) devrait passer à 60 000 en 2024 (environ 3 jours de feu de l’artillerie Russe), puis à 120.000 en 2025, soit un triplement en trois ans. 

 

Et en 2024 ?

Maintenant qu’il est acquis que la contre-offensive ukrainienne a échoué, la question qui se pose est la suivante : est-ce que l’armée ukrainienne sera capable de tenir ses positions actuelles avec une capacité d’appui qui ira en s’amenuisant, face à une aviation et des hélicoptères d’attaque russes qui possèdent une supériorité de 10 contre un[4] et une artillerie qui devrait être capable de tirer encore 7 millions d’obus en 2024 ? 

Dans les 6 mois à venir ne risquons-nous pas d’assister à un effondrement du front là où les Russes décideront de porter leur effort, vraisemblablement d’abord pour mettre la ville de Donetsk hors de portée de l’artillerie ukrainienne puis pour atteindre les limites Ouest des 4 oblats annexés ?


 


[1] Testé à partir de 1998, il entre en service opérationnel en juin 2005.

[2] Entrée en service en 2005 ce canon est basé sur un concept de mobilité qui répond aux nécessités de projection des forces sur des théâtres extérieurs.sa portée à 40 km avec une précision de l’ordre de 50 mètres.  Son "aérotransportabilité" sans préparation sur C-130 en version 6 × 6 en est la meilleure illustration. La version 8 × 8 est quant à elle aérotransportable par A400M.

[3] Ces chiffres proviennent des sources suivantes : Royal United Services Institute (RUSI), Center for Strategic and International Studies (CSIS), site « National intérêts.

[4] Conférence de presse du général Cavoli commandant des forces de l’OTAN en juillet 2023