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Ukraine/Russie

Ukraine : vers une offensive russe cet hiver ?

Le Dialogue

Un militaire ukrainien vérifie la zone avec des jumelles à l'extérieur de la ville de Kherson, dans le sud du pays, le 2 novembre 2023, au milieu de l'invasion militaire russe de l'Ukraine. Le plus haut responsable militaire ukrainien a déclaré que le conflit avec la Russie, qui dure depuis près de deux ans, était dans une impasse, la Russie rejetant ces commentaires. La ligne de front entre l'armée ukrainienne et les forces russes occupant l'est et le sud du pays a à peine bougé depuis novembre dernier, malgré les frappes russes répétées et une contre-offensive ukrainienne. Photo : Roman PILIPEY / AFP.

 

 

Alors que depuis le 10 octobre, l'armée russe a entrepris une nouvelle opération offensive dans contre Avdiivka, plusieurs signes laisseraient entendre qu'une offensive d'hiver russe pourrait frapper plusieurs secteurs du front dans l'est du pays entre Kupyansk et Donetsk après la raspoutitsa. Cette hypothèse est de bien mauvaise augure pour Kiev alors que l'aide occidentale se réduit à la fois à cause du conflit entre Israéliens et Palestiniens, de l'élection du nouveau speaker, Mike Johnson, à la Chambre des Représentants aux Etats-Unis et de la décision du nouveau gouvernement slovaque de cesser toute aide au profit de l'armée ukrainienne. 

 

Une montée en puissance

Selon plusieurs observateurs OSINT, en cette fin d'année 2023, l'armée disposerait désormais d'un effectif de 750 000 hommes après l'enrôlement de plus de 350 000 volontaires depuis le début de l'année[1]. Avec un tel effectif, et alors que les principaux moyens de l'armée ukrainienne semblent consommés depuis l'échec de la contre-offensive, il devient de plus en plus évident que les Russes disposent désormais d'un ascendant important. De plus, l'offensive sur Avdiivka malgré un premier échec tactique a fini par aboutir à la capture du "Terrikon" le 24 octobre dernier, ce terril géant au nord de l'agglomération, qui domine tout le secteur et permet d'observer tous les axes de communication qui permettent aux Ukrainiens d'acheminer la logistique et les renforts à l'intérieur d'Avdiivka. Par ailleurs, la pression sur le flanc sud de la ville s'accentue et, bien que lente, la progression russe est constante depuis plusieurs jours dans cette zone, tant aux abords de Sieverne que de Tsarskaya Okhota. Simultanément, les Russes ont repris l'initiative au nord de Bakhmout ainsi que dans le secteur autour de Makiivka et Raihorodka le long de la Zherebets'. 

 

Cette stratégie des coups d'épingles multiples et simultanés contre plusieurs secteurs de front contraint les Ukrainiens a engagé leurs dernières réserves ou a en remettre en ligne prématurément des brigades encore en cours de réorganisation suite aux pertes colossales encaissées tout au long de l'été. Cela laisse également planer un doute sur le secteur de l'effort principal d'une éventuelle offensive. Si Avdiivka semble la cible d'une opération importante visant à infliger à nouveau un maximum de pertes à l'armée ukrainienne, il n'est pas certain que les Russes ne tentent pas quelque chose ailleurs une fois l'hiver venu. En outre, les services de renseignement russes semblent très efficaces pour repérer les QG et les dépôts ukrainiens dans la zone des opérations car les frappes de missiles et de l'aviation russe contre ce type de cibles se multiplient avec succès depuis plusieurs semaines. Enfin, les différentes sources OSINT n'évoquent quasiment plus l'artillerie ukrainienne dans leurs rapports quotidiens à l'exception des HIMARS. Ces derniers semblent d'ailleurs concentrer leurs actions contre l'artillerie russe. Pour frapper les troupes d'assaut russes, les Ukrainiens recourent donc de plus en plus aux drones, faute de pièces d'artillerie et/ou de munitions d'artillerie comme le laisse entendre le New York Times[2]. Enfin, côté russe, l'annonce du retour au front des anciens de la SMP "Wagner" ne cessent d'alimenter les spéculations quant au secteur dans lequel ils seraient engagés. Certains semblent convaincus de le revoir bientôt à l'offensive dans le secteur d'Avdiivka où leur savoir-faire et leur expertise après Bakhmout seraient logiquement utiles.

 

Journée noire pour l'aviation ukrainienne 

Côté ukrainien, si les pertes humaines continuent de s'accumuler, le matériel n'est pas épargné lui non plus et notamment dans le domaine très sensible des forces aériennes. En effet, en 24 heures seulement le 20 octobre dernier, les Ukrainiens auraient perdu 7 MiG-29 sous les coups de la seule action des forces antiaériennes russes[3]. A cela s'ajoute l'absence remarquée de nouvelles frappes ukrainiennes dans la profondeur avec les missiles franco-britanniques SCALP/Storm Shadows dont le dernier emploi documenté remonte maintenant au mois de septembre et l'attaque spectaculaire du quartier-général de la Flotte de la Mer noire. De même, l'emploi des missiles américains ATACMS notamment contre la Crimée ne semble pas aboutir à une inflexion quelconque de la stratégie russe. A l'inverse côté russe, l'emploi du missile air-air R-37M par des MiG-31BM semble poser de plus en plus de problème à l'aviation ukrainienne. La portée maximale de cette nouvelle version du R-37 est, selon les experts, estimée à 300 km. L'apparition de ce missile est perçue par de nombreux experts et observateurs comme un message envoyé par Moscou aux Américains et leurs alliés ukrainiens pour leur signifier que les VKS sont prêtes à "accueillir" les F-16 au-dessus de l'Ukraine.

 

Des contre-mesures... spectaculaires

Comme depuis l'échec de la contre-offensive estivale, l'armée ukrainienne tente avec parfois un certain succès d'occuper le champ de bataille médiatique en montant des opérations spectaculaires à portée tactique comme les récentes opérations de franchissement du Dniepr dans la région de Kherson ou encore en menant des attaques de drones contre les installations de la marine russe en Crimée. Dans un cas comme dans l'autre, si cela contraint les Russes à maintenir une vigilance le long du fleuve ou à replier une partie de la Flotte de la Mer noire hors de portée, cela n'altère en rien les moyens que Moscou peut désormais mobiliser pour mener une offensive d'envergure. Si de telles actions permettent effectivement d'occuper le terrain médiatique et de maintenir autant que possible le moral d'une population lasse des privations et marquée par la perte d'êtres chers, cette stratégie ne peut en aucun cas aboutir à la satisfaction des buts de guerre annoncés par Zelenski au début de la contre-offensive de l'été. Elle ne fait qu'augmenter les pertes humaines déjà catastrophiques encaissées par les forces ukrainiennes – Choïgou annonce 90 000 soldats ukrainiens tués ou blessés depuis le 2 juin dernier. 

 

 

Dans ce contexte, même s'il est toujours aussi difficile de prévoir ce que feront les Russes avec un tel ascendant sur le terrain, on peut légitimement penser qu'ils ne resteront pas dans la posture défensive active qu'ils ont adopté depuis l'automne 2022 et qu'ils profiteront de l'accroissement de leurs moyens humains et matériels pour porter un coup majeur, sinon décisif, avant les prochaines élections présidentielles russes prévues pour mars 2024. Il faudra également surveiller de près l'évolution de la situation en Terre Sainte pour mesurer le dégré de soutien militaire et financier dont Kiev pourra encore bénéficier au cours de cette période. Les arsenaux européens sont quasiment vidés, les stocks de munitions sont à des niveaux extrêmement bas et seuls les Etats-Unis peuvent poursuivre leur aide mais sous des conditions de plus en plus draconiennes depuis l'arrivée de Mike Thompson au poste de speaker. Il serait peut-être temps pour Kiev d'ouvrir officieusement des canaux de discussion avec le Kremlin avant de finir comme le régime sud-vietnamien en avril 1975.


 


[1]   https://youtu.be/cOgh_hYDL8Y

[2]   https://www.nytimes.com/2023/10/22/us/politics/israel-ukraine-weapons.html

[3]   https://www.eurasiantimes.com/19-kills-in-24-hours-russia-says-7-ukrainian-mig-29-fighters-shot/