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Monde

Le Grand Entretien du Dialogue avec Nikola Mirković, auteur du Martyre du Kosovo.

Le Dialogue

Le Dialogue : Nikola Mirković, dans votre livre Le martyre du Kosovo sorti en 2013 et augmenté en 2019, vous annonciez que le sujet du Kosovo était loin d’être réglé. A la lecture des événements récents, l’actualité semble vous donner raison ?

Nikola Mirkovic : Hélas oui. Le règlement d’un conflit ethnico-religieux ne se règle pas avec la seule force des armes ou des incantations politiques bercées par la méthode Coué. Les US et les pays membres de l’OTAN ont en effet créé deux imbroglios juridiques majeurs dont ils n’arrivent pas à se dépêtrer. En attaquant illégalement la Yougoslavie ils ont enfreint la convention de Genève et ouvert la boîte de Pandore de futures guerres en Europe et dans le monde. En inventant le pays fantoche du Kosovo ils ont bafoué les accords finaux des Actes d’Helsinki et se retrouvent avec un « État » que les 5/7e de l’humanité ne reconnaissent pas et que l’ONU elle-même ne reconnaît pas. Facé à ces deux écueils il était évident que le règlement du problème du Kosovo allait être compliqué. Cet échec est d’autant plus flagrant que les US ont perdu de leur superbe sur la scène internationale depuis les années 1990. Aujourd’hui la Russie et la Chine, entre autres, sont devenus des acteurs majeurs qui n’hésitent pas à montrer leur opposition à Washington. Moscou et Pékin soutiennent la position serbe au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. L‘issue labyrinthique était annoncé dès le départ de l’opération d’ingérence atlantiste.

 

L’Union européenne tente de jouer les intermédiaires. Est-ce qu’elle connaît quelque succès ?

L’Union européenne a raccroché son wagon derrière la locomotive états-unienne durant les années 1990 dans les Balkans au leu de développer des solutions purement européennes. Bruxelles tente depuis de démontrer qu’elle dispose d’une diplomatie efficace et qu’elle est capable de régler des différends sur le continent. Elle a réussi à trouver un premier accord en 2013 entre Belgrade et Priština. La Serbie, désireuse d’intégrer l’UE a fait beaucoup de concessions dans cet accord. Elle reconnaît la police et la justice kosovare mais les Albanais du Kosovo en contrepartie doivent donner une certaine autonomie aux Serbes à travers la création d’une communauté des municipalités à majorité serbes. Depuis 2013 l’accord n’est toujours pas complètement implémenté notamment à cause de la communauté de communes que le « Premier ministre » albanais du Kosovo, Albin Kurti, tarde à autoriser.

 

Pourquoi les négociations de jeudi dernier à Bruxelles se sont-elles de nouveau soldées par un échec ?

Parce qu’Albanais, Bruxellois et Serbes ne parlent pas la même langue ! L’UE et les Albanais veulent une reconnaissance pleine et entière du Kosovo indépendant. La Serbie, elle, est prête à améliorer le dialogue et faire des concessions pragmatiques mais elle ne veut pas entendre parler d’indépendance. Le président serbe Aleksandar Vučić a déclaré : qu’il était prêt à signer tout ce que l’UE voulait « sauf la présence du Kosovo à l’ONU et la question de l’indépendance du Kosovo ». Il ne pourra jamais y avoir d’accord assujetti à l’abandon du Kosovo et aucun dirigeant serbe ne pourrait accepter cela sans prendre le risque de rencontrer la même fin tragique que l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. La constitution serbe reconnaît le Kosovo et la Métochie comme parties intégrantes de la Serbie et les atlantistes feignent de ne pas le savoir. Ils tentent de contraindre Belgrade à abandonner sa région méridionale en vue d’une possible intégration au sein de l’UE. Cette position de Bruxelles est pour le moins cocasse puisque cinq membres de l’UE ne reconnaissent pas le Kosovo indépendant ce qui, sur le papier, bloque définitivement l’accès du Kosovo au sein de l’UE. Dans un communiqué récent Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Giorgia Meloni, Charles Michel, Josep Borrell & Miroslav Lajcak mettent la Serbie sous pression pour qu'elle reconnaisse l'indépendance du Kosovo alors que l'ONU elle-même et cinq membres de l'UE ne la reconnaissent pas. Ici encore, Bruxelles ferme les yeux en espérant que ça passera. On est loin, très loin, d’une politique juste et réaliste.

 

En parallèle de ce nouvel échec les tensions ne cessent de monter au Kosovo ?

Les attaques n’ont jamais cessé au Kosovo et en Métochie contre les Serbes depuis les bombardements de l’OTAN. Rien qu’en 2022 on y recense 164 agressions contre des Serbes et la tendance est la même en 2023. Las de ces attaques, des Serbes ont organisé un groupe d’autodéfense qui a affronté les unités d’élite de la police albanaise du Kosovo en septembre dernier et plusieurs personnes y ont perdu la vie. La semaine dernière les vols de reconnaissance de l’OTAN se sont intensifiés sur la frontière serbe notamment proche du Kosovo et de la Métochie. La situation y est suffocante. Les Albanais disent que les Serbes vont envahir la région ce qui est peu probable tant que l’Otan sera présente. Les Serbes, de leur côté, craignent une opération sous faux drapeau qui conduirait les Albanais à chasser les quelques 125 000 Serbes du Kosovo avec l’aide précisément de l’Otan comme les Croates le firent aux 250 000 Serbes de Krajina avec l’aide de SMP américaines lors de l’opération Oluja en 1995.

 

On se rend compte aujourd’hui que les médias occidentaux ne nous avaient pas donné une image honnête de ce qui se passait réellement dans les Balkans. Quel a été d’après vous le rôle des médias occidentaux dans la déstabilisation des Balkans ?

Il a été fondamental ! Les médias occidentaux ont marché main dans la main avec le complexe militaro-industriel atlantiste sans permettre un travail objectif de journalisme. Nous n'avions pas de liberté d'expression dans le domaine public dans les années 1990, les médias pouvaient donc diffuser des informations fallacieuses ou des manipulations et le grand public n'avait aucun moyen de vérifier ces arguments. Ce contrôle des médias et cette fabrication du consentement, annoncé par W. Lippmann, ont permis à l’Occident de détruire la Yougoslavie, d’aggraver les relations entre les peuples des Balkans et même de mener une guerre totalement illégale contre la Yougoslavie et les Serbes en 1999. Aujourd'hui, grâce à Internet, nous avons accès, pour l’instant, à davantage d'informations nous permettant de confronter les idées des médias dominants. Cette liberté d’expression retrouvée rend le discours des atlantistes beaucoup plus fragile et permet de faire un réel travail d’analyse et de comparaison d’informations. Ils détiennent néanmoins un contrôle important des médias grand public, ce qui leur permet d’influencer l’opinion en faveur d’autres guerres ou sur d’autres sujet. Regardez les guerres Russie/Ukraine ou Palestine/Israël, il est très difficile d’avoir des avis objectifs dans les médias dominants qui cherchent à conditionner les esprits et favorisent des camps au lieu de chercher à comprendre réellement la situation et trouver des solutions d’issue de crise. Ils manipulent le pathos au lieu d’informer honnêtement. Heureusement internet, ici encore, permet de prendre le recul nécessaire.

 

Nous savons aujourd’hui que le groupe terroriste UCK au Kosovo a été armé, entraîné et financé par des pays membres de l’OTAN bien avant que la guerre n’éclate. Comment expliquez-vous cet apparent paradoxe ? 

Les États-Unis mènent une politique machiavélique dans toutes leurs affaires étrangères à travers le monde. Ils ne cherchent qu’à défendre leurs propres intérêts, et pour eux la fin justifie les moyens. Pour renverser un gouvernement désobéissant, les Etats-Uniens s’appuient toujours sur des mouvements extrémistes locaux, car les militants de ces mouvements sont suffisamment fanatiques pour risquer leur vie pour leur cause et ils sont généralement en désaccord avec leur propre gouvernement, bien que souvent pour des raisons différentes de celles de Washington. Les États-Unis apportent donc un soutien financier et logistique en secret à ces groupes afin qu’ils puissent descendre dans la rue et renverser leur gouvernement. La majorité des membres de ces groupes n’ont pas la moindre idée qu’ils sont soutenus par l’Oncle Sam. Une fois le gouvernement renversé, les États-Unis veillent à ce que leurs hommes liges prennent le contrôle du pays. Quelques membres du groupe extrémiste utilisé deviennent des membres éminents de la nouvelle administration, mais la plupart sont abandonnés ou envoyés mourir quelque part sur une ligne de front. Les États-Unis ont déployé des tactiques impitoyables en Yougoslavie en soutenant les Croates oustachis néo-nazis contre les Serbes. Washington et les atlantistes ont également parrainé des groupes néo-nazis en Ukraine pendant le Maïdan pour faire chuter le gouvernement démocratiquement élu en 2014. Cela peut paraître paradoxal, mais les États-Unis ont également beaucoup joué avec les musulmans radicaux au détriment des courants musulmans non violents, pour atteindre leurs objectifs politiques. J’ai détaillé cela dans mon livre L’Amérique empire à partir d’archives déclassifiés et de témoignages américains. Washington a soutenu les moudjahidines en Afghanistan qui sont ensuite devenus les djihadistes que les États-Unis ont envoyés en Bosnie-Herzégovine pour lutter contre les Serbes. Barack Obama a fermé les yeux sur l’aide fournie aux djihadistes pour lutter contre l’armée arabe syrienne de Bachar al-Assad en Syrie et les États-Unis ont ouvertement aidé l’islam radical à prendre le pouvoir en Libye pour tuer Kadhafi et imposer la charia au reste du pays. Dans une interview récente à CNN l’ancien général Wesley Clark (qui fut le Commandant Suprême de l’agression illégale de la Yougoslavie en 1999) avoua que l’État islamique fut financé au commencement par les amis et alliés des Etats-Unis. Les États-Unis ne se soucient pas du tout des régimes qui seront mis en place dans les pays dans lesquels ils interviennent. Ils veulent simplement s’assurer qu’ils ont accès aux ressources naturelles de ces pays et que ces derniers importent et utilisent des produits et des services américains. C'est aussi simple que ça.