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Monde

Iran - Russie, comme un parfum de Rapallo

Le Dialogue

Début décembre, le président iranien a conduit une importante délégation à Moscou, comme un camouflet évident à tous les appels de la communauté internationale à isoler Poutine. Vladimir Poutine de son côté a accueilli le président iranien, comme un pied de nez aux pays qui militent pour isoler l’Iran pour sa recherche nucléaire et son soutien au Hamas. 

 

Cette union des réprouvés a comme un air de Rapallo. Ce traité fut négocié et signé en mars 1922 en marge d’une conférence internationale sur les réparations de guerre par les représentants de l’Allemagne de Weimar et l’URSS. Il n’était pas du tout prévu qu’il en soit ainsi, mais convoqués par les gouvernements des pays européens, et mis au ban de la communauté internationale pour des raisons différentes, les deux gouvernements osèrent ce coup diplomatique qui leur permit de mettre fin à leur isolement, en renonçant aux réparations de guerre et en instaurant des relations diplomatiques, commerciales et surtout - secrètement - militaires. 

 

Ce fut le début de la fin de la politique de cordon sanitaire autour de la République soviétique. 

 

De la même manière que j’avais pointé dans un autre article les 7 ressemblances entre Zelensky et Netanyahou, on a en effet miroir une convergence des adversaires. Depuis février 2022, date de l’invasion de l’Ukraine, la Russie a forgé une alliance défensive avec l’Iran. La connivence des deux États se fonde sur des intérêts convergents à contrer l’influence de Washington dans l’ancien espace soviétique et au Moyen-Orient. Les Ennemis de mes ennemis sont mes amis. Winston Churchill avait dit « Si Hitler envahissait l’Enfer, je me ferais fort de plaider la cause du Diable à la Chambre des communes ». 

 

Elle s’appuie aussi sur l’opportune capacité qu’a retrouvé l’Iran d’importer et exporter des équipements militaires, à la faveur de l’expiration de la résolution de l’ONU 2231 de 2015 en deux étapes : octobre 2020 (armes conventionnelles) puis octobre 2023 (missiles balistiques et de drones armés). 

 

La Russie est devenue dépendante de Téhéran pour du petit matériel : l’Iran l’aurait approvisionnée depuis 2022 en munitions pour artillerie et de chars, mais aussi en drones Shahid (ce qu’elle a toujours nié). Désormais libre de leurs mouvements, les Iraniens ont annoncé acheter des équipements militaires russes, alors que jusqu’ici ils étaient plutôt exportateurs vis-à-vis de Moscou.

 

Cette connivence se mue désormais en défi aux règles internationales, vues comme le masque de l’imperium américain. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue iranien Hossein Amir Abdollahian ont ainsi annoncé mardi 5 décembre la signature d'un document commun destiné à « contrer, atténuer et compenser » les conséquences des sanctions américaines. Là encore les intérêts coïncident : l’Iran est encore soumis à un régime de sanctions sévères liées notamment à son programme nucléaire, tandis que les sanctions occidentales contre la Russie, mises en place suite de son assaut à grande échelle contre l’Ukraine, débuté en 2022, ont ébranlé son économie.

 

Cette alliance tactique a cependant ses limites.

 

D’abord, comme puissance nucléaire, Moscou n’a aucun intérêt à l’émergence d’un Iran nucléaire sur le flanc sud de le mer Caspienne. Avant février 2022, la Russie était du reste un moteur des négociations pour le retour du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action – « plan d’action global conjoint »), qui vise à garantir le caractère civil du programme nucléaire de l’Iran, signé en 2015, par les pays européens de l’E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) et les Etats-Unis. Elle le faisait cependant dans son coin, conduisant ses propres négociations avec l'Iran et la Chine, sans inclure les pays occidentaux, signataires. L’Ukraine a cependant obligé Moscou à sortir de sa relation d’équilibriste au Moyen-Orient et à soutenir par exemple l’Iran face aux Etats-Unis au sein de l’AIEA en septembre dernier. 

 

Ce soutien à l’Iran est irresponsable pour l’avenir pacifique de la planète. Le dernier rapport du secrétaire général de l’AIEA montrait que des traces de radioactivité avaient été décelées sur trois sites iraniens non autorisés à y développer des activités nucléaires. L’Iran possèderait 43 kg d’uranium enrichi à 60%, un seuil bien supérieur à celui de 3,67 % fixé par le pacte JCPOA. En outre, l’Iran dispose d’assez de matière fissile, en quantité, pour équiper non plus un, mais cinq missiles nucléaires. Nous sommes à deux doigts d’un embrasement régional car Israël ne laissera pas l’Iran devenir un pays nucléaire. 

 

Poutine, au surplus, risque de s’aliéner non seulement Israël (qui jusqu’ici n’avait pas répondu favorablement aux demandes ukrainiennes de livraison d’armes, ni condamné l’annexion de la Crimée en 2014) mais tous les pays du monde arabe, qui voient l’Iran comme une puissance dangereuse. 

 

Ensuite, ce rapprochement met complètement à mal la dialectique de Vladimir Poutine, lui qui aime à se présenter comme un implacable adversaire du terrorisme. N’affirma-t-il pas en 1999 vouloir « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes » ? N’a-t-il pas pointé du doigt l’immigration incontrôlée en Europe ? Désormais, difficile pour lui de se poser en gardien de la civilisation, même si les observateurs avertis avaient déjà établi une longue liste de faits prouvant que le tsar du Kremlin joue en réalité double-jeu lorsqu’il s’agit d’islamisme : recours à des supplétifs tchétchènes ou du Daghestan en Ukraine, envoi de volontaires tchétchènes en Syrie, rapatriement d’orphelins de volontaires de Daech de Syrie, liens avec les talibans…

 

Ce faisant, les opinions publiques conservatrices d’Europe, qui ont tendance à penser que Vladimir Poutine ne dit pas que des bêtises sur la perversion civilisationnelle de l’Europe, ouvriront peut-être les yeux : Poutine est d’abord anti-américain, ce qui le pousse désormais à être anti-juif et anti-occidental. Il a contribué à radicaliser les populations musulmanes du Caucase, avec les répercussions que l’on connaît en France. Le 12 mai 2018, l’attentat qui a fait un mort dans le quartier de l’Opéra, à Paris, est le premier commis par un Français d’origine tchétchène. Khamzat Azimov, un jeune réfugié de 20 ans. En octobre 2020, Abdouallakh Anzorov, un jeune Tchétchène de 18 ans qui bénéficiait en France du statut de réfugié, assassine Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Quant à Mohammed Mogouchkov, le terroriste d’Arras, il était ingouche. 

 

Voilà désormais que Vladimir Poutine soutient un régime qui arme le Hezbollah et le Hamas. 

Il devrait cependant réfléchir à deux fois avant de s’allier avec le diable, et méditer sur son prédécesseur, Staline. Celui-ci, visiblement, n’avait pas bien lu Mein Kampf avant de signer le traité germano-soviétique.