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Qu'en est-il des négociations dans le conflit libyen ?

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Tous droits réservés. © (2022) Agence France-Press

Il serait injuste de faire porter à la seule absence d'élections la responsabilité de l'échec libyen. Certes, les Libyens demeurent en quête - ou, à tout le moins, en besoin - d'une structure gouvernementale étatique qui représente et concentre leurs intérêts. La situation actuelle, dans laquelle prévalent un grand ensemble d'institutions, certaines héritées de l'onde de choc post-2011, d'autres de création plus récente, n'aide évidemment en rien à identifier le pôle du pouvoir effectif : ce dernier est tout simplement éclaté. Mais si la désignation par les Libyens de représentants clairement identifiés semble pouvoir apporter la solution à leurs maux, le problème, c'est qu'il n'y a pas de personnalité consensuelle à même de remporter l'adhésion de plus de la moitié des Libyens et de se positionner en tant que nouveau président légitimement élu.

 

Les questions électorales

Les Libyens se sont rendus aux urnes dans le passé, et ils ont signifié leur faveur à une consolidation étatique qui laisserait derrière les souvenirs de l'ère Kadhafi. En juillet 2012, soit moins d'un an après la chute de Moammar Kadhafi, plus de 60 % des électeurs Libyens s'étaient déplacés vers les urnes aux fins de désigner les membres du Congrès Général National, ou Parlement de l'époque. Mais, deux ans plus tard, ils n'étaient plus que 18 % à voter aux législatives. Il est vrai qu'entre-temps, le contexte politique s'était envenimé, et l'éclatement d'une nouvelle guerre, du nom d'Opération Dignité, avait aggravé la situation et convaincu la population de ce que les élections ne résoudraient pas les rivalités et problèmes ambiants. Il faut néanmoins convenir de ce que le pessimisme qui continue à prévaloir ne préjuge pas de l'attachement des Libyens à bénéficier de structures représentatives. Si la majorité d'entre eux avait voté en 2012, c'est bien le signe de ce que la foi en un horizon politique de type démocratique était bien là.

 

Il serait par ailleurs erroné de penser que, dans la globalité, les Libyens ne se sentiraient pas représentés aujourd'hui. Si aucune des instances en présence n'est l'expression d'un vote récent direct de la part de la population, cela ne signifie pas que les citoyens rejettent forcément celle-ci. Le Gouvernement d'Unité Nationale (GUN) basé à Tripoli et mis en place sur la base d'un processus onusien, a ses soutiens, non seulement à l'Ouest, mais également dans une partie du Sud de la Libye. En Cyrénaïque, l'Armée Nationale Libyenne (ANL), menée par le maréchal Khalifa Haftar, a aussi ses soutiens, tant à l'Est que dans le Sud de la Libye. Par extension, le Haut Conseil d'État (sorte de Sénat, basé à Tripoli) et la Chambre des Représentants (CdR, parlement basé à Tobrouk) ont aussi leurs soutiens respectifs. Le même constat s'étend non seulement jusqu'au cas du gouvernement de l'ancien ministre de l'Intérieur Fathi Bachagha, de formation récente, mais aussi à l'exemple de certaines personnalités. Parmi elles, le fameux Saif al-Islam Kadhafi, fils de l'ancien Guide Moammar Kadhafi, qui continue à bénéficier d'une aura a priori conséquente (quelque 25 % de la population libyenne, surtout à l'Est et au Sud de la Libye, selon des estimations non officielles). Car dans le fond, à défaut d'institutions fortes et représentatives, la donne libyenne a viré vers une tendance à la personnification du pouvoir. La popularité à laquelle peuvent aussi prétendre tant le Premier ministre libyen Abdelhamid Dbeiba que son rival au pouvoir Maréchal Haftar en témoignent.

 

L'impasse

On se souvient comment, à la fin de l'année 2021, les attentes demeuraient grandes de la part de maints observateurs devant la possibilité d'assister à l'organisation d'élections présidentielles, le 24 décembre 2021, que suivraient ensuite des législatives. La déception fut de mise : entre rivalités politiques, désaccords sur la nature des candidats pouvant participer aux élections, profusion de candidats aux agendas et aux profils variés, absence totale de préparation logistique, sur fond d'absence de clarification de selon il conviendrait d'adopter une nouvelle constitution libyenne avant ou après les élections, rien ne fut finalement favorable à l'organisation de ces échéances. L'impératif électoral est resté une sorte d'impératif moral, défendu par l'ONU et les pays clamant leur attachement aux principes de démocratie et de représentativité, mais que les faits prévalant sur le terrain ne soutenaient que très difficilement.

 

Un an plus tard, rien n'a avancé sur cette question. Beaucoup de choses se mijotent dans la cuisine libyenne, mais rien qui permette de bâtir sur un horizon stable. Aux dernières nouvelles, l'ONU avait souhaité l'organisation d'élections en juin 2022... depuis, les acteurs libyens s'organisent par-ci par-là, abondant dans le sens d'une diplomatie des navettes, tant à niveau intérieur que régional ou international, mais sans que l'on sache de quoi les lendemains seront faits.

 

Mais, à essayer de tirer les leçons du passé, on peut penser que le fait d'avoir voulu organiser des élections présidentielles préalablement aux législatives revenait, d'une certaine manière, à mettre la charrue devant les bœufs. Par nature, les élections présidentielles sont porteuses de polémiques, qui plus est dans un contexte dans lequel le consensus ne peut prévaloir. En effet, aucun des candidats aux présidentielles ayant des chances raisonnables de se retrouver à un second tour ne paraît pouvoir emporter l'adhésion d'une majorité des Libyens toutes régions ou provinces confondues. 

 

A contrario, considérer de manière sérieuse l'organisation d'élections législatives pourrait aider la locomotive libyenne à avancer. De fait, par nature, les échéances parlementaires laissent place aux rivalités et à une forme de diversité, les résultats étant ainsi acceptés par les électeurs. Les échéances électorales passées, notamment celles de 2012, étaient une forte indication en ce sens. 

 

Constitution, élections, et la perpétuelle quête d’une solution

En parallèle, tous les dires concernant la nécessité de mettre en place une base constitutionnelle avant l'organisation d'élections peuvent avoir un point de vérité, mais il n'est pas dit qu'ils concentrent l'essentiel de la donne libyenne et de ses blocages. Aucune Constitution, aussi consensuelle soit-elle, ne semble à même de pouvoir renverser la quête effrénée du pouvoir poursuivie par les principaux représentants politiques libyens. 

 

À interroger les libyens sur la réalité de leurs demandes aujourd'hui, ils paraissent sans ambiguïté : les besoins humains de base, à savoir avoir de quoi manger et boire, et bénéficier d'un toit et d'une sécurité dans leurs déplacements, sont clairement prioritaires. Les demandes de changement à niveau politique sont tout aussi pressantes, comme en témoignent les diverses manifestations auxquelles on assiste par-ci par-là : mais pas pour autant de quoi remplacer la quête d'une dignité humaine. 

 

Cela ne veut pas pour autant dire que la quête d'un horizon politique viable, qui soit basé sur la représentativité et le choix électoral, soient à jeter aux oubliettes. Ceux-ci restent importants, et la seule voie digne de participer des conditions pour l'amélioration de la condition libyenne moyenne. Mais le chemin vers ces élections est complexe, sinueux, et long Outre les rivalités internes basées sur la recherche de pouvoir par certaines personnalités politiques ou militaires, on ne peut que pointer la responsabilité tout aussi fondamentale incarnée par les soutiens étatiques étrangers agissant en faveur de l'un ou de l'autre des principaux protagonistes libyens, que ce soit sur le plan financier ou militaire. Cesser les ingérences couperait l'herbe sous le pied des acteurs libyens, et ne leur laisserait d'autre choix que d'aborder les négociations de manière prometteuse et payante pour eux comme pour la population libyenne. La dernière lueur en ce sens était intervenue en 2020, suite à la guerre de Tripoli, lorsque les armes se sont tous relativement tues au profit d'un processus mené par l'ONU : mais on sait aussi que, malheureusement, la donne issue de ce contexte reste extrêmement fragile, l'absence de consensus se combinant au risque constant de voir revenir les tambours de la guerre.