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Progressisme

La cancel culture s’inspire des régimes totalitaires

Illustration : Gerd
Illustration : Gerd Altmann & Pixabay

La montée inéluctable du fascisme menace-t-elle les démocraties occidentales ? Il est indéniable que tout le débat politique, en particulier en France, s’articule autour de l’extrême droite, réduite sans nuance aucune au fascisme, et cela depuis les années 80 sous l’impulsion de feu François Mitterrand. Lire la presse, suivre des émissions télévisées ou de radio sans entendre parler de la menace fasciste est une gageure ! Difficile d’échapper au quotidien, à la rhétorique des heures sombres, des idées nauséabondes, du nationalisme belliqueux, etc. Nul ne peut contester que le fascisme représente pour nos sociétés occidentales une peur, réelle pour certains, fabriquée et instrumentalisée pour d’autres. C’est un fait !

Pourtant, malgré l'obsession croissante de combattre le fascisme dans le discours politique et médiatique dominant, un processus singulier s'est mis en place au cours de la dernière décennie. Sous l'égide d'un nouvel ordre moral, ce processus attaque inlassablement notre patrimoine culturel et notre liberté d'expression, rappelant sans équivoque les méthodes des régimes totalitaires du 20ème siècle. Terrible paradoxe pour nos sociétés occidentales qui ne cessent de dénoncer le fascisme rampant ! La France n’échappe pas à ce paradoxe. Tout ce qui n'est pas jugé conforme, tout ce qui est de nature à déranger ou à offusquer, doit être effacé ou censuré. Les guerriers de la justice sociale, les nouveaux inquisiteurs de la bonne pensée, sévissent impunément. Le wokisme donne le ton et a ringardisé un politiquement correct trop timoré. Place à la cancel culture !

La cancel culture, en français, la culture du bannissement ou de l’effacement, vise à faire taire toute personne qui ne pense pas comme les wokes, et plus largement à faire disparaître de l’espace public tout ce qui représente à leurs yeux, une offense, une provocation, une agression quelle que soit sa forme et son importance. Les wokes n’hésitent pas à invoquer la micro agression en la présentant comme une source de charge émotionnelle traumatisante. « Words are violence » est l’un des slogans du wokisme. L’hystérie contre le racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie a conduit les individus à se surprotéger en se mettant à l’abri de toute évocation du « mal ». Rien ni personne n’échappe au processus de purification moral placé sous contrôle d’une véritable police de la pensée.

Tout signe pouvant évoquer une attaque contre les minorités ethniques, sexuelles et les femmes doit être effacé. Les susceptibilités étant exacerbées, rien ne doit s’apparenter à une insulte faite à ces groupes de la population, rien ne doit réveiller des traumatismes, même ceux enfouis profondément dans l’inconscient. Dès lors, les monuments honorant une figure associée de près ou de loin à l’esclavage et au colonialisme sont ciblés comme des symboles inadmissibles, reflet du passé honteux de nos sociétés occidentales. Des statues sont démontées ou menacent de l’être. Outre Atlantique, le Général Robert Lee et Edward Colston n’ont pas échappé à la curée, tout comme Victor Schoelcher en ce qui nous concerne. Quant à Colbert, il s’accroche pour le moment à son trône, placé d’ailleurs devant l’Assemblée Nationale. Les temps changent et la roue tourne. Ceux qui furent hier acclamés comme des héros, honorés par la nation toute entière, sont aujourd'hui devenus des parias, persona non grata. « Rien n’est éternel, pas même la reconnaissance » a dit Jules Renard.

Pour les wokes, les sociétés occidentales constituent des structures d’oppression vis-à-vis des minorités qui ne sont que les éternelles victimes d’un système ne profitant qu’à une partie de la population, c’est-à-dire l’homme blanc hétérosexuel. Le patrimoine culturel de l’occident porte de manière arrogante et ostentatoire, les marques du racisme, du sexisme, de la prédation, de la violence et de l’homophobie pour ne citer que ces quelques caractéristiques, inscrites selon les wokes, dans l’ADN de l’occident. Il faut effacer de notre patrimoine culturel tous ces signes, symboles et marques pour laver l’affront, faire preuve de repentance et arrêter de créer des situations de traumatisme auprès des minorités concernées. Le processus de purification morale ne se limite certainement pas aux monuments. Un vent de puritanisme frappe dorénavant l’occident !

Des livres, au même titre que des bandes dessinées et des films, sont revisités dès lors que l’ombre du racisme ou du sexisme plane. À titre d'exemples : le célèbre roman d’Agatha Christie, Dix petits nègres, a été rebaptisé Ils étaient dix ; le film aux dix oscars Autant en emporte le vent, a été retiré du catalogue de la plateforme de streaming HBO Max en raison de préjugés racistes ; Disney+ a choisi de supprimer de son catalogue pour enfants des dessins animés cultes, dont Peter Pan, Dumbo et Les Aristochats, car certaines scènes ont été jugées offensantes, racistes et stéréotypées. En 2019, au Canada, une cérémonie a été organisée dans une école pour détruire des livres jugés offensants pour les Autochtones. Voilà le retour des autodafés !

Mais les wokes veulent aller encore plus loin, en décidant de s’attaquer à la parole si celle-ci ne cadre pas avec leur morale. Selon eux, la protection des minorités contre les atteintes émotionnelles doit l'emporter sur la liberté d'expression. À ce titre, ils agissent pour que des conférences ou des débats ne puissent pas avoir lieu, pour que des personnes ne puissent pas s'exprimer, mais aussi pour que certains médias ne puissent pas exister. Par exemple en France, tout récemment : c’est un colloque sur la transidentité à l’université Panthéon-Assas qui a été interrompu par une action militante ; c’est Éric Naulleau qui a été écarté du jury du festival du film de Cabourg pour avoir accepté un entretien avec le journal Valeurs Actuelles ; c’est le journal Causeur qui est attaqué au portefeuille, car les annonceurs qui placent des publicités sur le site de ce journal font l’objet de campagnes d’intimidation les « motivant » à se retirer.

Cette entreprise de grand nettoyage touche également l’enseignement et particulièrement au sein des universités anglo-saxonnes. Le savoir est une source d’agression qu’il faut pouvoir contenir afin de protéger les étudiants d’émotions négatives et traumatisantes. Les thèmes abordés par les enseignants sont rigoureusement sélectionnés afin de satisfaire ce besoin impérieux de pureté intellectuelle et morale. Il ne faut pas heurter, choquer, blesser, injurier des étudiants par des sujets qui sont de nature à faire ressurgir les traumatismes du racisme, du colonialisme, du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie, etc. Les enseignants qui dérogent à cela s’exposent à la vindicte estudiantine, mais aussi à celle de leurs collègues. Les propos des enseignants sont scrutés à la loupe car tout le monde le sait, c’est par les mots qu’arrivent la catastrophe. Par exemple, il n’est pas de bon ton qu’un enseignant fasse un compliment à une personne racisée (non blanche) car ce serait la marque cachée d’un racisme qui ne dit pas son nom. Autre exemple, malheur à l’enseignant qui aurait des propos ambigus pouvant laisser penser que le sexe biologique, concrètement un pénis ou un vagin, aurait un quelconque rapport avec le genre féminin ou masculin. Les enseignants sont placés sous surveillance. En juillet 2021, le ministre de l’éducation britannique déclarait que 60 universités avaient mis en place un système de signalement encourageant les étudiants à dénoncer leurs professeurs pour propos déplacés. Voilà le retour de la délation !

Si les wokes dénoncent le racisme structurel ancrée dans les structures des sociétés occidentales, les anti-wokes sont en mesure de s’inquiéter du système de délation quasi institutionnel, pour ne pas dire structurel, qui est en train de se mettre en place un peu partout, et dont la face émergée en France, est illustrée par les mouvements #MeToo et #Balancetonporc. L’idée n’est pas de contester la légitimité de ces mouvements bien entendu. Par contre, on peut s’interroger à minima sur deux choses. Tout d’abord, où placer le curseur afin d’éviter certains abus ? Ensuite, est-ce normal que la dénonciation d’un acte ou d’un propos annihile dans les faits, la présomption d’innocence et déclenche des lynchages, certes métaphoriques, bien avant que la justice ne fasse son office ?

La cancel culture est un système d’oppression en soi. Elle use d’une violence dont nul ne connait en réalité les limites. Les lynchages sont dissuasifs et c’est le but recherché. La liste des personnes qui ont perdu leur emploi, leur légitimité, leur honneur, leur respectabilité est longue comme le bras. Voici comment se concrétisent les lynchages : lettres envoyées à l’employeur, harcèlement sur les réseaux sociaux, pétitions, tribunes dans les médias, sans oublier les menaces qui sont parfois des menaces de mort. Peu de personnes sont armées mentalement pour résister à une pression de la sorte. La plupart des gens sont tout simplement terrifiés ! L’heure est à l’autocensure. Il est certain que la cancel culture gagne des batailles. Les wokes veulent imposer un ordre moral qui va forcément affecter notre patrimoine culturel et notre liberté d’expression. Quel sera le corpus universitaire d’ici quelques années s’il faut sans cesse tailler dedans pour le rendre « pur » aux yeux des wokes ? N’est-ce pas l’assurance d’une régression intellectuelle et culturelle ? Brider la liberté d’expression par la censure, n’est-il pas le meilleur moyen d’asphyxier le débat public, de l’appauvrir et d’institutionnaliser la paresse intellectuelle ? Qu’en sera-t-il de la vie artistique si l’on condamne l’audace, la provocation et la transgression ? A ce titre, le tout récent « épisode Serge Gainsbourg » est symptomatique de ce néo puritanisme qui ne dit pas son nom. En effet, une pétition qui a recueilli tout de même près de 3 000 signatures vise à empêcher qu’une station du métro parisien porte son nom. Pour les wokes, l’artiste est un misogyne notoire et sa mise en visibilité dans l’espace public serait un affront fait aux femmes. La cancel culture veut forcer les individus à penser et à agir selon ses propres règles. Voilà le retour de la rééducation ! 

Par peur ou par conformisme, beaucoup cèdent avec un volontarisme marqué d’un zèle qui laisse songeur. Hé oui, il est de bon ton aujourd’hui d’afficher sa place dans le camp du « bien » et de montrer sa vertu avec force et vigueur. Pour ceux-là, le wokisme est un train qu’il ne faut surtout pas rater. Ils n’hésitent pas à condamner, à s’indigner et à se délecter dans la bien-pensance, dès lors qu’il y a matière à gagner une lettre de noblesse auprès des comités d’éthique et de censure. Comme le dit le sociologue Michel Maffesoli, il s’est installé un conformisme de base, ce ne sont pas nos idées que nous exprimons, mais ce sont celles qu’il faut dire, celles qu’il convient de dire.

A force d’aseptiser l’enseignement, de policer les déclarations, de surprotéger les individus en occultant les réalités, en n’abordant pas des sujets qui fâchent ou qui dérangent, de développer chez eux une hypersensibilité émotionnelle, il y a fort à parier que la censure soit de plus en plus plébiscitée et réclamée. Il est vrai que le fait de ne pas savoir et de ne pas se remettre en question, revêt un caractère extrêmement confortable. L’ignorance et le conformisme sont rassurants, ce qui n’est pas sans déplaire à tous ceux qui ont des velléités totalitaires. Les anticonformistes sont bien souvent haïs car ils bousculent les individus en les sortant de leur zone de confort. Ce qui est certain, c’est que la cancel culture veut les bâillonner ! Victor Hugo a dit « aucune armée ne peut résister à la force d’une idée dont l’heure est venue ». Il est évident que l’influence du wokisme est réelle, puissante et ne doit nullement être sous-estimée. Il s’agit d’une idéologie contestable à bien des égards, et l’anticonformisme représente justement l’un des antidotes les plus efficaces pour la combattre.