Le Premier ministre indien Narendra Modi entend bel et bien hisser le drapeau de son pays en Afrique, cherchant à élargir les liens commerciaux et d'investissement entre les deux régions, confesse le banquier Premeshin Naidoo, dans son article ‘’ India is driving change by working together with Africa’’ pour Nikkei Asia.
Dans ce contexte, il a lancé le sommet du Groupe des 20 à New Delhi en septembre 2023 en annonçant que l'Union africaine deviendrait membre permanent du groupe, ce qui devrait renforcer la voix du « Sud global ».
En un mot comme en cent, il s’agit d’un véritable engagement stratégique de l'Inde en Afrique.
De fait, grâce en partie au lobbying intensif de l'Inde, l'Union africaine a été admise en tant que membre à part entière du G20 lors du sommet de New Delhi en septembre dernier. Appelant l'Afrique « la priorité absolue de l'Inde », le Premier ministre Modi a déclaré : « Quand nous utilisons le terme ‘Sud Global‘’, ce n'est pas simplement un terme diplomatique. ... Dans notre histoire commune, nous avons ensemble combattu le colonialisme et l'apartheid. C'est sur le sol de l'Afrique que Mahatma Gandhi a utilisé des méthodes puissantes de non-violence et de résistance pacifique. C'est sur cette base solide de l'histoire que nous façonnons nos relations modernes. »
Cette décision a du reste été suivi de près par celle du mois d’août 2023 de l'Inde et les quatre autres membres actuels du club des BRICS d'admettre l'Égypte et l'Éthiopie, ainsi que quatre autres pays, dans leurs rangs.
L'Inde avance ses pions. Selon un rapport de l'agence Bloomberg, quarante-deux pays africains ont reçu environ 12 milliards de dollars, soit 38 % de tous les crédits accordés par l'Inde au cours de la dernière décennie. Ce rapprochement avec l'Afrique est destiné, avant tout, à contrer l'influence grandissante de la Chine en Afrique.
Dans, le même temps, tempère le Point Afrique, Pékin a promis jusqu'à 134,6 milliards de dollars aux pays africains, selon les données du Global Development Policy Center de l'université de Boston, c'est onze fois plus que l'Inde.
« Afin de combler son retard, l'Inde multiplie les sommets et les rencontres pour établir le cadre d'un partenariat stratégique, et le secteur privé indien avance également ses pions. Quoi qu’il en soit, New Delhi peut s'appuyer sur son bras armé financier, l'Export Import Bank of India, la banque d'instrument de la "diplomatie économique" de l'Inde. Dans cette perspective, la banque a ouvert 195 lignes de crédits pour des projets à travers l'Afrique », indique le Point Afrique.
« Les services de l'Exim Bank indiquent que, avec près de 75 milliards de dollars d'investissements provenant d'entreprises indiennes, l'Inde est l'un des cinq premiers investisseurs en Afrique. Le commerce bilatéral entre l'Inde et l'Afrique a atteint près de 100 milliards de dollars en mars 2023, et le gouvernement vise à le porter à 200 milliards de dollars d'ici à 2030. New Delhi est également membre de la Banque africaine de développement, regroupant cinquante-quatre pays africains et vingt-huit partenaires non africains », souligne encore le Point Afrique.
Ces exemples montrent assurément comment l'Inde joue de plus en plus un rôle actif dans la diplomatie internationale au nom de l'Afrique et du Sud global.
Les relations commerciales et d'investissement croissantes de New Delhi avec l'Afrique illustrent quant à elles comment l'orientation des fonds vers le Sud global peut non seulement engendrer des avantages financiers, mais également impulser un changement systémique réel sur les questions environnementales, de gouvernance et sociales.
Les liens commerciaux entre l'Inde et l'Afrique remontent à une époque où les commerçants indiens se rendaient sur la côte est du continent à la recherche de métaux précieux et de pierres précieuses.
Aujourd’hui, l'Inde est un moteur clé de la reconnaissance mondiale croissante de l'importance stratégique de l'Afrique. Le Premier Ministre Modi, en particulier, utilise l’opportunité que lui offre sa position pour promouvoir une meilleure compréhension des opportunités d'investissements que l’Afrique offre aux investisseurs étrangers.
Qu’on y songe, l'Afrique bénéficie d'une grande population en âge de travailler, d'une classe moyenne en croissance et d'une richesse de matières premières, notamment de l'or, des diamants, du pétrole et des minéraux.
Alors que la course à l'approvisionnement en minéraux pour la transition vers les énergies vertes gagne en intensité, l'importance stratégique de l'Afrique pour l'économie mondiale est rapidement redéfinie, avec des démarches de plus en plus nombreuses de la part des États-Unis, de l'Europe, de la Chine et de l'Inde.
Pour sa part, l'Inde exporte des denrées alimentaires et des boissons, des produits pétroliers, des produits pharmaceutiques, des machines et des véhicules vers l'Afrique. En effet, l'Inde est devenue le plus grand fournisseur de véhicules de tourisme en Afrique du Sud, car les constructeurs automobiles sud-coréens et japonais assemblent des véhicules en Inde pour les exporter ensuite vers l'Afrique. Ce modèle devrait être étendu à d'autres nations africaines alors que leurs classes moyennes recherchent des moyens de transport abordables pour leurs familles.
En plus de sa puissance diplomatique, Delhi peut tirer parti de plusieurs avantages comparatifs pour son offensive de charme en Afrique.
Pour commencer, le commerce. L'Inde et l'Afrique représentent une part relativement faible du commerce mondial : 2,8 % et 3 % pour l'Inde et l'Afrique respectivement. Et malgré une légère augmentation ces dernières années, les produits indiens ne représentent que 6,3 % des importations totales de l'Afrique, comparé à 18,3 % pour la Chine. La création d'un accord de libre-échange semble donc être une étape évidente.
Selon le Financial Times, « la croissance des 25 prochaines années sera verte et digitale. Et l'Inde et l'Afrique, avec leurs revenus croissants et les tendances démographiques, pourraient représenter des marchés significatifs ». Une telle démarche accélérerait également le secteur privé dynamique de l'Inde, capable de répondre à des préférences de consommation diverses et de proposer des solutions personnalisées à de vastes populations.
Au cours de la dernière décennie, l'Inde est donc devenue l'un des cinq principaux investisseurs en Afrique, avec environ 74 milliards de dollars qui ont afflué vers le continent, attirés par les importantes réserves de pétrole brut, de céréales et de noix. Il existe encore de nombreux domaines potentiels pour une collaboration et une innovation accrue entre l'Afrique et l'Inde, notamment dans le domaine de l'agriculture, où une transformation majeure est en cours.
« L'agriculture représente environ 57% de l'emploi sur le continent africain. Des start-ups et des entreprises établies perturbent le marché avec des solutions innovantes qui répondent aux défis de la chaîne de valeur agricole, de la création de tableaux de bord pour connecter les agriculteurs ayant besoin de financement avec des investisseurs potentiels à la numérisation des documents commerciaux pour réduire les charges administratives des agriculteurs », souligne volontiers Premeshin Naidoo.
Les investisseurs indiens pourraient soutenir la transition aux énergies renouvelables en Afrique en finançant des projets solaires, éoliens et hydroélectriques à travers le continent. En exploitant ses liens commerciaux de longue date, l'Inde pourrait contribuer à impulser un changement systémique réel et à atteindre les objectifs mondiaux de neutralité carbone, prophétise Premeshin Naidoo, dans son article ‘’ India is driving change by working together with Africa’’ pour Nikkei Asia
L'Inde et d'autres pays asiatiques ont déjà manifesté leur intérêt à utiliser leurs technologies, compétences et capacités pour participer activement à la transition énergétique verte de l'Afrique en soumissionnant pour des contrats d'ingénierie, de construction et de gestion de projets d'énergie renouvelable.
Alors que les rouages de la mondialisation sont en marche depuis un certain temps, nous sommes désormais confrontés à de nombreux nouveaux défis. Comme cela a été vu lors du sommet du G20.
De fait, les principales questions concernent l'approvisionnement et les coûts énergétiques, la crise climatique, la sécurité alimentaire et le vieillissement de la population.
Pour autant, on ne saurait occulter le volet sécurité et Défense :
A ce titre, Abhishek Mishra note que la défense et la sécurité ont émergé comme un pilier clé des relations entre l'Inde et l'Afrique. Cela a été souligné en mars 2023, lorsque les deux parties ont convoqué le tout premier Conclave des chefs d'armée Inde-Afrique, aux côtés de la deuxième édition de l'Exercice d'entraînement sur le terrain Afrique-Inde (AFINDEX), qui s'est déroulé sur 10 jours à Pune, en Inde. Les deux parties organisent également un Dialogue annuel de la Défense Inde-Afrique (IADD) qui coïncide avec l'Exposition de la Défense de l'Inde.
La "Déclaration de Gandhinagar" d'octobre 2022 de l'Inde appelle à davantage de places de formation en éducation militaire professionnelle (EMP) pour les pays africains dans le cadre de l'ITEC. De plus, l'Inde et l'Afrique s'engagent dans « une formation spécialisée et une recherche conjointe dans de nouveaux domaines tels que l'intelligence artificielle, la cybersécurité, les systèmes de munitions, la surveillance maritime, les véhicules sans pilote, l'espace et les technologies de balayage sous-marin », explique Mishra.
Les marines africaines ont participé à toutes les 47 éditions de l'Exercice de partenariat maritime de l'Inde (MPX) dans l'océan Indien occidental. Parmi ses résultats clés figure un Mémorandum d'Entente (MoU) avec la Tanzanie et le Kenya sur la construction navale et le développement portuaire. Précise Paul Nantulya dans l’article : « La coopération entre l’Afrique et l’Inde, un point de repère en matière de partenariat » .
« Nous avons également invité des officiers africains à fréquenter diverses institutions indiennes telles que notre Centre de Fusion d'Informations (IFC-IOR) et institué une Bourse de sécurité Inde-Afrique hébergée par l'Institut Manohar Parrikar d'Études et d'Analyses de la Défense », ajoute Mishra.
À l'avenir, les liens indo-africains continueront de s'appuyer sur la place unique des Indiens et des Africains dans les histoires complexes et interconnectées.