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Le pragmatisme, une philosophie pour qui ?

Illustration : Charles
Illustration : Charles S. Peirce (DR) montage Le Dialogue

Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/ 

 

Il est arrivé aux Américains de penser la philosophie par eux-mêmes. Ainsi en est-il du pragmatisme dont on peut se demander si c’est une philosophie construite sur mesure pour les hommes d’action... 

 

Pour le pragmatisme, tout ce qui est vrai serait utile et tout ce qui est utile serait vrai ? C'est tout de même une philosophie un peu plus subtile qui a été proposée par ses inventeurs américains, Peirce, James et Dewey qui en ont fait une philosophie de la science voire une philosophie de la démocratie. 

La philosophie pragmatiste est née et s'est développée en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle. Charles S. Peirce en a présenté l'idée, notamment à James, au cours des réunions d'un club de philosophie à Cambridge (Massachusetts). 

Pierce écrivit en français (heureuse époque) un article pour la Revue philosophique en janvier 1879, où il énonçait le principe du pragmatisme : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l'objet de notre conception. » 

William James utilisa ce principe pour construire une théorie de la vérité́ dans un ouvrage intitulé Pragmatism (1907) issu d'une série de conférences et John Dewey élabora une théorie instrumentaliste qui donna lieu à un ouvrage collectif de "l'école de Chicago" : Studies in Logical Theory (1903).

Le pragmatisme américain est plus l'expression d'une méthode qu'un corps de doctrines, car les pragmatistes ne font pas partie de ces philosophes professionnels que dénonçait en son temps Schopenhauer : Peirce est un astronome et un pionnier de la logique moderne, père de la sémiotique. James est le premier grand psychologue moderne. Dewey est le père de la pédagogie moderne et le porte-parole de la pensée libérale en Amérique. 

James, quoi qu'il s'en soit défendu, s'exprima assez maladroitement dans son expression au point de laisser croire que le pragmatisme ne reconnaissait la valeur des idées que si elles avaient une application pratique. En revanche, il apparait clairement que l'esprit du pragmatisme se situe dans l'expérimentation, ce qui en fait la philosophie de la science par excellence, non des résultats mais de sa méthode.

Peirce remplace le doute intuitif de Descartes par le doute réel du savant et l'intuition subjective par la mise à l'épreuve objective des idées. Selon la méthode, pragmatiste, l’idée est une hypothèse qui génère un plan d'action. La mise en œuvre est consubstantielle à sa mise à l’épreuve :  expérimenter et appliquer une idée, c'est tout un.

Le pragmatiste, selon Pierce, propose à Descartes de remplacer l'intuition par l'expérimentation. Par exemple, l'intuition nous dit qu'un objet devrait être dur. L'action permet de définir ce que l'on entend par dureté et, en même temps, de prouver qu'il est dur : est dur un objet qui n'est pas rayé par un certain nombre d'objets alors que lui-même raie ces objets.

Selon cette démarche, rien n'est jamais acquis. Même si le pragmatiste reconnait qu'il existe des idées qui semblent stables, il souligne que rien ne les garantit contre le changement. 

James soutient que le pragmatisme est une théorie de la vérité́, en particulier pour ce qui concerne les vérités bien établies. À leur sujet, il a proposé une drôle de formule : « La vérité́ vit à crédit », à crédit jusqu'à ce qu'elle soit confrontée avec les faits et se retrouve confirmée ou non. 

Mais le pragmatisme ne s'intéresse pas à la vérité́ en tant que telle, mais au processus de vérification.  

Et l'expérience a toujours le dernier mot. Une expérience est un processus continu, même lorsqu'elle est perturbée, car il y a continuité́ de la situation perturbée jusqu'à la découverte de ce qui en a rompu l’unité́, puis de cette constatation à la conception du problème, de la mise en forme du problème à l'élaboration d'une hypothèse en vue de sa solution, enfin de l'expérimentation de celle-ci à la suppression du problème et au rétablissement de la situation. 

Cette description du processus d’une expérience nous ramène au problème de la vérité́ et de son rapport avec la réalité́. Les hypothèses vérifiées deviennent des vérités, provisoires par définition, sauf si le temps leur confère une sorte d'éternité́ qui les fait tendre vers la Vérité́, une Vérité́ elle-même en construction

Le pragmatisme est une méthode d'élucidation des significations, mais elle n'excelle pas moins dans la régulation de la conduite qui se définit par la relation des moyens et des fins. 

À ce titre, le pragmatisme peut proposer la mise en œuvre de sa méthode en morale et en politique. Dewey a même défendu l’idée que la méthode pragmatiste est la règle d'or de la démocratie. 

Pour Dewey, la fin démocratique ne s'impose pas de l'extérieur. Ce n'est pas un idéal prédéterminé́ à atteindre par n'importe quel moyen. La fin, l'idéal, ce sont les conséquences des moyens, car imposer une fin à la conduite de l'homme la condamne : la démocratie est toujours expérimentale, elle est une mise à l'épreuve constante. Il n'y a pas de démocratie idéale, pas de forme idéale de gouvernement démocratique. Il ne suffit pas de dire que la fin ne justifie pas les moyens, si par là on entend que la valeur d'un acte réside dans son intention. 

Reste l'idéal. Quand il précise que « les fins démocratiques exigent des méthodes démocratiques pour se réaliser », Dewey donne le pas à l'idéal, ou encore à la fin sur les moyens.

Cet idéal ouvert exprime la foi des pragmatistes dans les possibilités de la nature humaine qui fait, selon Dewey, que « la tâche de la démocratie est à jamais celle de la création d'une expérience plus libre et plus humaine à laquelle tous participent et à laquelle tous contribuent. » 

Le pragmatisme, une démarche philosophique destinée à la science et à la démocratie ?

 

Bibliographie

 

DEWEY J., Studies in Logical Theory, Chicago, (1903) ; « Le Développement du pragmatisme américain », in Revue de métaphysique et de morale, oct. 1928 ; 

JAMES W., Le Pragmatisme (Pragmatism, 1907), trad. E. Le Brun, Flammarion, Paris, 1968 

PEIRCE C. S., Collected Papers, C. Hartshorne & P. Weiss éd., vol. V : Pragmatism and Pragmaticism, Harvard Univ. Press, Cambridge (Mass.), 1940, rééd. 1960 

DELEDALLE G. Le Pragmatisme, éd., Bordas, Paris, 1971 

DELEDALLE G., La Philosophie américaine, L'Âge d'homme, 1983

ROSENTHAL S. B., Speculative Pragmatism, Univ. of Massachusetts Press, Amherst, 1986