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Le Yémen à l’heure de la fin de la trêve : Vers une désintégration de l’état yéménite ?

http://doc.afp.com/9NN4P3
http://doc.afp.com/9NN4P3

Dans cet article-analyse stratégique, l’auteur, chercheur en géopolitique à l’Institut des Relations Internationales de Paris (ILERI), tente d’observer quels sont les possibles évolutions du conflit yéménite qui sévit depuis les révolutions arabes et qui a provoqué l’une des pires catastrophes humanitaires avec la Syrie et l’Irak dans la zone Moyen Orient. Il y évoque la situation dans les territoires contrôlés par les différentes factions. Loïc Manach aborde dans une première partie les questions hautement stratégiques de la paix sociale, de la stabilité, et des divers projets politiques à l’oeuvre dans les différentes régions de ce pays en proie à une guerre civile à multiple facteurs et aux répercussions et implications régionales et internationales complexes. 

- D’un côté, le Nord du pays sous contrôle du mouvement Houtis, assimilé au « Taliban du chiisme », qui s’enferme dans un conservatisme. Dans cette région, le gouvernement impose un régime qualifié de tyrannique, mais la population est à l’abri des luttes intestines qui traversent le reste du pays ainsi que du terrorisme.

 - De l’autre, un Sud où différentes factions se disputent le pouvoir, et où le sentiment séparatiste ne cesse de gagner du terrain au fil des mois. 

Dans une deuxième partie, l’auteur étudie les différents fronts chauds au Yémen :  des montagnes de Lahj au désert de Marib, des côtes de Hajjah à la cité de Ta’izz, observant les intérêts de chaque faction dans chacun de ces secteurs, et essayant d’analyser quel endroit serait le plus propice à une reprise anticipée des hostilités. L’auteur évoque les différents projets politiques qui se disputent au Yémen, que ce soient ceux liés à des intérêts étrangers, saoudiens, émiratis notamment, que ceux liés aux intérêts de chaque faction, des Houtis aux Frères musulmans, des séparatistes du sud aux tribus historiques qui composent le Yémen, sans oublier divers groupes terroristes. Puis les scenarios concernant l’avenir du conflit, de la possibilité d’un statut quo à l’éclatement du pays, sans écarter la possibilité d’une victoire de la coalition ou celle des Houtis. L’article traite aussi des gains et des pertes que peuvent encore obtenir les pays de la coalition en prolongeant leur engagement au Yémen, et les risques qu’ils encourent si ceux-ci voudraient se désengager, notamment en cas de victoire Houtis. L’article traite en outre de la place de la place du Yémen dans le dispositif stratégique français, du rôle controversé de certaines entreprises au Yémen, et conclut en tenant de répondre à la question de savoir si la France est un acteur du conflit ?`

 

Le 2 octobre 2022, la trêve au Yémen, en vigueur depuis le ramadan, et prolongée à plusieurs reprises, arrive à son terme[1]. Depuis, la situation au Yémen évolue de plus en plus vite. Les Houtis réclament à l’Arabie saoudite le versement des salaires des fonctionnaires yéménites, sans quoi les missiles tomberont à nouveau sur le royaume des Saoud. Les mêmes Houtis, bombardent des navires venant chercher du pétrole « injustement volé » dans des territoires pourtant contrôlé par les Séparatistes. Dans cette situation, l’ONU semble être dépourvu de moyens pour mettre fin au conflit. La trêve en vigueur à Hodeïda ? Balayée, car depuis le départ des troupes de la coalition, la ville et sa région (à l’exception du district de Hays) sont aux mains des Houtis. A Ta’izz, les affrontements sporadiques, parfois au sein même de la coalition internationale anti Houtis ont repris, et la trêve générale n’existe plus. Désormais, la question n’est plus de savoir si le conflit va reprendre, mais plutôt qui tirera en premier, et dans quelle direction. 

 

1 Les évolutions politique dans le pays durant la trêve 

 

A – Au nord, rien de nouveau 

 

Tout d’abord, faisons un point de la situation dans les différentes régions du Yémen : 

Observons d’abord le Yémen Nord, contrôlé majoritairement par les Houtis. Presque l’ensemble du Yémen nord est contrôlé par les Houtis, à l’exception de certains territoires. Ces territoires encore aux mains de la coalition se trouvent dans les gouvernorats de Hajjah, Ta’izz, Hodeïda, Al Jawf et Marib (en plus de certains postes frontaliers). Mais les acteurs de ce conflit sont aujourd’hui obligés de reconnaitre que les Houtis ont réussi à établir une structure étatique. Ils ont repris les anciens territoires du Yémen Nord, en s’appuyant sur les anciennes tribus de second rang, et en jouant aussi la carte religieuse (s’appuyant sur les chiites, mais aussi sur certains groupes sunnites). 

Les régions aux mains de AnsarAllah (l’Armée de Dieu, nom officiel des Houtis) sont dans une situation particulière. Ceux-ci subissent une importante pression, d’abord à cause du siège de la coalition (quand ce ne sont pas les bombardements), mais aussi car le régime Houtis a placé en coupes réglées la plupart des territoires qu’ils contrôlent. 

Les Houtis sont parfois considérés comme des talibans chiites[1] car ceux-ci pratiquent une version de l’islam chiite intransigeante et assez peu connue en occident le Zaydisme. Les Houtis sont des rigoristes zaydites. Ils ont notamment séparé les hommes des femmes dans la plupart des secteurs de la vie de tous les jours, ils pratiquent les exécutions en publics, même de mineurs. Il est néanmoins important de noter que contrairement aux talibans, et à d’autres groupes wahhabites, ceux si ne prônent pas la destruction de l’héritage préislamique du Yémen. 

Cependant, les Houtis ont réussi à apporter un semblant de stabilité à ses territoires, ce qui leur à permis de renforcer leur légitimité. En effet, ceux-ci ont quasiment réduit à néant les implantations de Daesh sur leur sol, et ont réussi à capturer et neutraliser certains sanctuaires d’Al Qaida (Dhammaj, Al-Bayda). Cela est assez bien retranscrit par l’opinon des ONG internationales sur le régime Houtis : « tyrannie et stabilité »[2]. Le régime des Houtis est un régime dur, où les factions radicales et religieuses ne cessent de gagner en influence, mais d’un autre coté c’est une région sans conflit interne, avec très peu d’attaques terroristes ou de banditisme par rapport au reste du pays. 


Car la situation dans le reste du pays, elle, est bien plus instable, et ne va pas en s’améliorant. 

 

B- Au Sud, la guerre Fratricide, 

 

 

En effet, le reste du pays est sous le contrôle de la coalition internationale et des multiples factions yéménites qui sont alliés à cette coalition. 

En réalité, il y a très peu de troupes émiraties ou saoudiennes sur le sol yéménites (même si l’Arabie Saoudite a envoyé des mercenaires soudanais directement au Yémen). La coalition délègue le terrain à des factions armées yéménites aux intérêts et aux programmes divergents. 
On retrouve différentes factions dans cette coalition : ancienne Armée du Gouvernement, milice du Congrès Général du Peuple (ancien parti au pouvoir avant la guerre civile), milice d’Al Islah (parti proche des frères musulmans) ainsi que tribus sunnites qui composaient auparavant la colonne vertébrale de ces forces anti Houtis. 
Mais depuis 2017, plusieurs nouveaux groupes sont apparus au Yémen. 
Les séparatistes du Conseil de Transition du Sud (CTS) [1]se sont renforcés et ont réussi à capturer la ville d’Aden face à l’ancien régime. On trouve aussi la Force des Géants, une force composée de séparatistes, d’anciens d’Al Quaida et de nombreux combattants formés par les troupes émiraties. On rencontre aussi les forces de Tariq Saleh, neveu de l’ancien président Ali Abdallah Saleh. On trouve enfin des milices locales, qui n’ont souvent un usage que défensif, ne sortant pas de leurs gouvernorats ou district. 
On remarque que depuis 2017, les nouveaux groupes yéménites sont plus proche des Emirats Arabes Unis, alors qu’avant 2017, c’était l’influence de l’Arabie Saoudite qui se faisait sentir. Les milices se disputent le contrôle de régions, et préfèrent parfois abandonner du terrain face aux Houtis afin de se renforcer dans le combat contre d’autres milices. Les tensions entre Al-Islah et les séparatistes sont les plus connues et les plus violentes. On a notamment pu voir des combats entre les deux groupes durant la trêve au Yémen, dans la région du Shawbah (bataille d’Ataq), mais aussi plus récemment dans la région de Ta’izz. 

Depuis mars 2022, et afin de limiter les tensions entre les différents groupes au Yémen, un Conseil Général de la Présidence avait pourtant été établi[2]. Il remplaçait l’ancien président, Abdo Mansour Hadi, par un conseil dans lequel toutes les factions (Al Islah, islamistes, Séparatistes, Leaders tribaux etc.) étaient représentées. Mais les conflits internes à la coalition n’ont pas cessé. Et aujourd’hui, les membres du conseil représentant Al-Islah et des leaders tribaux attaquent politiquement les séparatistes, qui répondent en avançant toujours plus sur le territoire contrôlé par Al-Islah. 

Il faut aussi noter l’importance du terrorisme dans le sud du Yémen. Partisans de Daesh, militants d’Al Quaida (qui dispose encore d'importants bastions dans le sud)[3], mais aussi rapts, conflits tribaux, rackets sont une myriade d’éléments qui composent le quotidien des habitants dans le sud du Yémen. 

Il y a cependant une région contrôlée par la coalition où les conditions se sont relativement améliorées, et ce même durant les phases intenses du conflit. C’est la région de Marib, dirigée par le gouverneur Sultan al Aradah[1]. Celui-ci autorise les journalistes à venir filmer sa région, pèse de toute son influence pour financer des projets d’accueil de réfugiés à Marib. Marib est parfois perçue comme une oasis, qui accueillerait la plupart des réfugiés du Yémen. Cette ville composée avant la guerre d’un peu plus de 15 000 habitants, a accueilli plus d’un million de réfugiés venant de tout le Yémen. Mais aujourd’hui, la situation se détériore, avec les Houtis qui sont proches de la ville, dernier bastion loyaliste au Nord du Yémen. 

Avec la reprise annoncée des conflits, voyons maintenant les régions ou des affrontements pourraient reprendre. 

 

2- quelles perspectives pour le conflit yéménite 

 

  1. Les principaux fronts en mouvement 

 

Tout d’abord, il semble évident que les Houtis vont à nouveau lancer leurs forces en direction de Marib. Marib est le dernier verrou qui sépare les Houtis des ressources pétrolières de la région du Shawbah, le dernier bastion du nord du Yémen à être aux mains des loyalistes. Cependant Marib est aussi un centre symbolique pour les loyalistes, qui ne se rendront pas sans combattre. D’autant plus que Marib est protégée par une chaine de montagne au sud (Jabal Al Balq al Sharqui) ce qui la rend quasi imperméable aux attaques venant de ce flanc. Mais les Houtis ont prouvé par le passé qu’ils étaient à l’aise sur les terrains montagneux. 
De plus, prendre Marib permettrait de libérer énormément de troupes qui pourraient ensuite aller en direction du sud. Pour l’instant, il n’y a eu que quelques accrochages dans la région depuis la fin de la trêve, mais il serait judicieux de garder un œil sur la zone. 
Ensuite, des accrochages dans la région de Lahj (sud du Yémen) ont attiré l’attention peu après la fin de la trêve. Mais les combats dans la région ont été assez brefs, et ont révélé plus de l’erreur humaine (une unité de milicien s’est dirigée de nuit vers les lignes Houtis) que d’un véritable assaut. 

Il faut donc maintenant voir les possibles nouveaux front qui pourraient s’ouvrir. 
La dernière attaque des troupes « saoudiennes » et de leurs alliés, qui s’est soldée par un échec, à visé la ville de Harad au nord-ouest du Yémen[2]
Depuis la contrattaque Houtis dans la région, ceux-ci ne sont plus qu’à quelques encablures du port de Midi, dernière base des loyalistes dans le nord-ouest du pays. Il pourrait être intéressant pour les Houtis de récupérer ce port, pour à la fois chasser les loyalistes, réallouer des troupes à d’autres endroits du front, mais aussi récupérer le port de Midi[3]. Il avait déjà servi au mouvement durant les guerres de Saada, afin de faciliter le trafic d’armes, mais aussi l’approvisionnement en ressources. 

Ensuite, un autre front est à regarder avec importance sera celui de Ta’izz. Toute les factions ont leur intérêt à Ta’izz. Al-Islah ne veut pas perdre ce qui est un de ces derniers bastions. Certaines factions de la coalition aimeraient récupérer la ville des mains de Al-Islah , afin de porter un coup décisif à ce parti, trop longtemps associé à la corruption, mais aussi à la domination du nord sur le sud . 

Les séparatistes du CTS hésitent à se lancer dans la bataille de Ta’izz, qui est une ancienne ville du Yémen Nord, mais où l’influence des mouvement socialistes dans les années 70 et 80 l’a distinguée du reste du nord traditionnellement plus conservateur et religieux. Une action du CTS à Ta’izz pourrait être perçue comme une déclaration de guerre par d’autres factions, notamment celles qui essayent encore de préserver l’unité du pays. Enfin, les Houtis, dans les montagnes au nord de la ville, ont mené depuis plusieurs semaines des raids sur des positions aux abords de la ville[1]. Une attaque sur Ta’izz serait très couteuse pour les Houtis, mais la capture de la ville, en plus de leur ouvrir à nouveau la route vers Aden, pousserait certaines factions comme Al Islah à négocier avec les Houtis au risque de disparaitre. 

Outre les fronts internes au Yémen, il faut aussi se poser la question des fronts externes. Les bombardements Houtis sur l’Arabie Saoudite sont en effet connus à l’international et leurs dégâts sont considérables. Djeddah, Khamis-Mushait et plusieurs autres grandes villes Saoudiennes ont eu à subir les frappes des drones kamikazes et missiles balistiques que les Houtis ont à leur disposition. Les Houtis ont même revendiqué des frappes sur les installations pétrolière d’ARAMCO le long du Golfe Persique bien que ces attaques soient attribuées par l’Arabie Saoudite à l’Iran.[2] 

La question qui se pose désormais est la suivante : si les saoudiens et les émiratis ne répondent pas aux demandes des Houtis, les bombardements sur leurs pays reprendront ils ? Et plus important encore : Les Houtis se limiteront ils à ces deux pays. En effet, d’autres pays sont membres de la coalition au Yémen, notamment le Bahreïn ou le Koweït. De plus les Houtis ont aussi menacé de frapper Israël (la devise des Houtis comporte d’ailleurs « Mort à Israël »). Depuis deux ans déjà, les services de la défense israéliens préviennent que les Houtis seront en mesure de frapper le port stratégique de Eilat, sur la Mer Rouge. Par conséquent, une escalade militaire du conflit passant par des bombardements sur des pays étrangers n’est pas à exclure.

 

Maintenant, voyons quelles sont les possibles évolutions politiques pour le Yémen sur le long terme. 

Tout d’abord, les évolutions politiques dépendront de certains partenaires étrangers. En effet, si les pays de la coalition finissaient par se mettre d’accord avec les Houtis pour un désengagement des forces internationales, les Houtis pourraient capturer l’ensemble du territoire national yéménite (à l’exception de l’île de Socotra contrôlée conjointement par les séparatistes et les forces des Emirats Arabes Unis[1] ). Une telle option peut sembler improbable aujourd’hui, mais en réalité la guerre a déjà coûté énormément à l’Arabie Saoudite. Cette dernière sait qu’elle a peu de chose à gagner d’un conflit prolongé avec le Yémen. 

Mais la solution à ce conflit réside peut-être ailleurs. 
En effet, la fin du conflit au Yémen, ou en tout cas les clés de la victoire ou de la défaite des Houtis, sont sans doute à chercher du côté de Téhéran. Les Gardiens de la Révolution fournissent un soutien logistique majeur aux Houtis. Plusieurs membres des Pasdarans sont d’ailleurs au Yémen commandant les escadrons de drones, de missiles de l’armée yéménite. Ce n’est pas seulement l’Iran mais toute son alliance - « l’Axe de la Résistance contre l’Impérialisme » - qui est impliqué dans ce conflit aux côtés des Houtis. 

Plusieurs combattants et formateurs du Hezbollah[2] ont été tués au Yémen, et ce depuis les guerres du Saada (d’ailleurs, le mouvement Houtis s’inspire beaucoup du Hezbollah). 

De plus, lorsque les Houtis avaient bombardé les Emirats Arabes Unis en début d’année 2022, ils avaient été appuyés par des factions irakiennes de l’axe de la résistance. Les pays de la coalition ne s’y trompent pas. Des membres des services secrets des Emirats Arabes Unis se sont notamment rendus en Irak[3] afin de dialoguer avec les factions irakiennes alliées aux Houtis afin d’éviter une escalade des tensions dans le Golfe Persique. 

Mais que gagne l’axe iranien dans ce conflit ? 

Tout d’abord, les Houtis permettent à l’Iran de frapper la Mer Rouge et ainsi de menacer le flanc ouest de l’Arabie Saoudite (là où l’Iran menace naturellement le flanc est). De plus, comme dis plus tôt, le Yémen est désormais en mesure de frapper Eilat en Israël, les Houtis deviennent ainsi une menace directe pour l’ennemi historique du régime iranien. 

Un autre acteur dans l’avenir du Yémen sera les Etats- Unis. En effet, si les Etats-Unis décident, comme ils l’annoncent de plus en plus, de réduire leur soutien militaire à l’Arabie Saoudite, alors le Royaume ne pourra pas continuer éternellement le conflit au Yémen. Car son armée est extrêmement dépendante de l’industrie militaire américaine (notamment dans le secteur des munitions). De plus, sans les systèmes « Patriot » américains, l’Arabie Saoudite et ARAMCO ne pourront pas défendre longtemps leurs installations stratégiques. Les conséquences économiques de cette situation seraient dramatiques pour le Royaume. 

 

En sortant de l’analyse internationale de la situation, quels sont les scénarios possibles pour ce conflit ?

- Tout d’abord, il y a la possibilité que le conflit yéménite dure encore, pour une dizaine d’années jusqu’à l’effondrement de l’un des deux camps. 

En effet, bien que l’année 2021 fut riche en mouvements et en avancées territoriales, depuis la fin novembre 2021, le conflit est resté principalement statique. Il est possible que ni les Houtis, ni la coalition n’est la capacité de mener des offensives destinées à récupérer des pans importants de territoire. Ce qui est sûr c’est que certaines forces aujourd’hui, Al Islah[4] et al Quaida notamment, sont sur la défensive et ne pourront sans doute pas sortir vainqueur de cette guerre. 

-Il y a ensuite la thèse de la séparation :

D’un côté un Yémen Nord, aux mains des Houtis, chiites et montagneux, tourné vers la Mer Rouge ; 

De l’autre, le Yémen Sud, aux mains des séparatistes, tourné vers les champs de pétrole offshore de la mer d’Arabie et les déserts de l’Hadramaout . 

Cette séparation est en train d’arriver dans le sud du pays où les symboles du gouvernement national sont progressivement remplacés par les drapeaux de l’ancien Sud Yémen indépendant, et où tous les partis issus du Yémen Nord perdent en influence. Ce retour à la séparation du Yémen serait pour certains une anomalie dans l’histoire. 

Mais il faut comprendre que le Yémen n’a pas eu le temps de développer une culture commune depuis la réunification. 

Depuis qu’il est unifié le pays a connu la guerre civile au Sud, l’insurrection d’Al Quaida[1], les guerres du Saada, les Printemps Arabes et la guerre civile actuelle. Le Yémen n’a pas eu la période de stabilité nécessaire pour créer une cohésion nationale. De plus, le premier président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, a, jusqu’à sa destitution en 2011, donné la plupart des pouvoir à ses fidèles, tous situés au nord du pays, renforçant le sentiment d’exclusion des populations du Sud. Tous ces éléments crédibilisent aujourd’hui une possible séparations du Yémen. 

 

- Ensuite il y a la possibilité d’une victoire de la coalition contre les Houtis. Cette possibilité, avancée comme la seule en 2015, est aujourd’hui de plus en plus improbable. Malgré tous les moyens investis par la coalition, les troupes soutenues par l’Arabie Saoudite n’ont jamais pu reprendre Sanaa. Et sans le soulèvement conjoint des séparatistes dans tout le sud du pays en 2016, la coalition aurait sans doute perdu Aden aussi.

Les succès initiaux de la coalition ; reprise de Ataq et de Marib en 2015, bataille d’Aden en 2016 ; sont bien loin. Aujourd’hui, les troupes de la coalition n’ont plus les moyens matériels et humains de lancer des offensives importantes, et seules quelques unités, Brigade des Géants notamment, sont encore capables d’infliger des défaites d’importance aux Houtis (batailles de Harib et Usyalan fin 2021[2]). De plus, pour que la coalition puisse réussir à triompher des Houtis, il faudrait que le nouveau Conseil de la Présidence réussisse à faire cesser les combats internes à la coalition. Cela impliquerait à la fois de réduire l’influence grandissant des séparatistes, de préserver les partis traditionnels pourtant accusés de corruption et de népotisme, et de redonner plus d’influence aux leaders tribaux. La tâche s’annonce complexe d’autant plus que l’Arabie Saoudite se désengage progressivement du conflit, affaiblissant ainsi une coalition qui ne semble plus avoir l’avantage en termes de capacité militaire. Une victoire des forces de la coalition semble plus être un mirage qu’un objectif atteignable. [3]

 

- Enfin dernière option, le retour à la situation avant 2015 et l’intervention de la coalition. 


Une armée Houtis appuyée par des milices locales, qui avançait à grande vitesse sur le reste du Yémen, et qui aurait sans doute réussi à détruire la plupart des forces rivales dès 2015 sans l’intervention de la coalition. 

Aujourd’hui, en 2022, après 7 ans de bombardements, le constat est le suivant : 

Le régime yéménite légitime n’a pas su repousser les Houtis, la coalition s’effrite de jour en jour, l’unité nationale du pays est menacée par les séparatistes et pendant ce temps-là les Houtis profitent des trêves pour se renforcer. L’Arabie Saoudite est d’ailleurs en train de préparer l’après Yémen. Les nouveaux investissements dans l’armement, et les évolutions dans la doctrine militaire du Royaume semble le confirmer. Les Saoudiens ont compris qu’ils n’ont plus grand-chose à gagner au Yémen, que ce soit en termes d’image, de dollars ou d’alliés. D’autant plus que dans ce scénario les Emirats, autres partenaires de la coalition, en sortiraient renforcer. Ce sont leurs alliés séparatistes qui ont infligé le plus de dégât aux Houtis. Ce sont leurs milices qui ont résisté le plus longtemps. Et même en cas de victoire Houtis totale sur le continent, les Emirats Arabes Unis ne partiraient pas les mains vides. En effet, ceux-ci contrôlent en sous-main l’île de Socotra, actuellement tenue par les séparatistes pro Émiratis. 

Mais pour le Yémen en lui-même, que signifierait une victoire Houtis ? Comment une minorité religieuse pourrait imposer une vision rigoriste du chiisme à un pays majoritairement sunnite ? Comment un mouvement profondément nordiste, ancré dans les montagnes de Saada pourrait gouverner un Sud qui cherche désormais à s’émanciper du reste du pays ? 

Et surtout, comment un mouvement, anti américain, anti saoudien, pourrait s’arrêter après avoir vaincu une première fois la coalition. Des dirigeants Houtis réclament certaines régions saoudiennes chiites, notamment les régions de Najran et de l’Asir, qui avaient été perdues peu après la Première Guerre Mondiale. Ces territoires forment déjà un nouveau casus belli pour un mouvement Houtis qui semble ne vouloir s’arrêter qu’à la Mecque et Médine. 

 

Voyons maintenant quels sont les intérêts et la posture officielle de la France dans ce conflit. 

Tout d’abord, il faut clarifier une chose : l’influence de la France au Yémen a été plusieurs fois fantasmée, certains acteurs voulant considérer la France comme un membre à part entière de la coalition. Par exemple, un ancien ministre des affaires étrangères du Yémen a récemment affirmé que la Légion Etrangère française avait été déployée au Yémen afin de préserver les champs pétroliers de la région de Bahlaf[1]. Cette affirmation, sans fondement, démentie depuis par l’administration française, montre bien que certains voient en la France un acteur, voire une menace dans le conflit.

Mais que représente le Yémen pour la France ? 

La France en tant que puissance n’a pas d’intérêts stratégiques au Yémen. En effet, celle-ci peut déjà surveiller le détroit de Bab el Mandeb depuis la base de Djibouti[2], base gardée par une demi brigade de la Légion Etrangère. La France n’a donc pas d’intérêts territoriaux au Yémen. 

Cependant, certaines firmes françaises ont des intérêts économiques au Yémen. 


Total notamment contrôle une partie des champs petro-gaziers du Yémen, ainsi que le hub stratégique de Bahlaf [1]. Plusieurs journalistes, notamment les journalistes français Roman Molina et Quentin Muller ont accusé Total d’avoir commis ou aidé à commettre des crimes au Yémen. Certains évoquent que le hub de Bahlahf aurait contenu une prison tenue par les Emirats Arabes Unis. Bien que plusieurs enquêtes soient en cours sur la question, Total a toujours ferment démenti s‘être impliqué dans le conflit si ce n’est pour préserver la sécurité de ses employés et de ses installations. Néanmoins nous savons que d’autres entreprises sont impliquées dans la guerre au Yémen. Les entreprises d’armement françaises ont réalisé d’importants contrats avec les pays de la coalition. Dassault a vendu ses rafales aux Emirats, tandis que Nexter vendait ses chars Leclerc et ses canons César aux différents pays de la coalition[2]. Plusieurs enquêtes par les médias d’investigation ont révélé que ces armes avaient été utilisées contre des populations civiles, mais à l’heure des conflits généralisés, ces considérations semblent avoir de moins en moins de prise dans les médias. 

 

Enfin, quel est l’avis de la diplomatie française ? 

La diplomatie française a invité tous les partis à respecter les cessez le feu quand ceux-ci étaient en vigueur. Elle a aussi insisté sur le fait que tous les partis devaient respecter la libre navigation dans la Mer Rouge, en réponse aux tirs de missiles Houtis sur différents navires. 

Du point de vue des implications régionales pour la France, celle-ci a insisté pour que toutes les parties prenantes au conflit tentent au maximum de préserver l’équilibre régional. Une déstabilisation grandissante de la région pourrait notamment affecter la présence des entreprises françaises dans la Péninsule mais aussi, à long terme, la base stratégique de la France aux Emirats Arabes Unis.[3] 

Pour résumer, la France ne prend pas réellement partie dans ce conflit. Certaines entreprises commercent avec les pays de la coalition, d’autres commercent directement au Yémen, mais la diplomatie française préfère ne pas s’impliquer directement dans un conflit au potentiel de déstabilisation important pour la région. C’est une posture sage, au vu des résultats des différentes interventions occidentales dans des crises du même type (Syrie, Irak). De plus, cette posture de neutralité permet à la France d’espérer jouer un rôle de médiateur dans le cas où le besoin s’en ferait sentir, ce qui serait un avantage pour la diplomatie française 

 

En conclusion, l’avenir du Yémen est compliqué, et une sortie rapide du conflit semble encore illusoire. Désormais, la question n’est plus de savoir si le conflit va reprendre mais où et quand. Et comme nous l’avons vu, derrière la façade la plus connue du conflit, se jouent des guerres internes, entre partis, tribus, groupes terroristes, pour le contrôle d’axes importants et pour certaines ressources. C’est le Yémen entier qui est en guerre interne, et il est mal venu de vouloir simplifier ce conflit à une opposition armée entre Pro-Iran et Pro Arabie Saoudite, entre chiites et sunnites. Bien d’autres facteurs entrent en jeu, et tant que tous ces éléments ne seront pas pris en compte, l’espoir d’une résolution complète du conflit, ou du moins d’une compréhension plus complète, sera inatteignable.