Points de silence au milieu d’un conflit déchaîné
Je ne suis pas un devin ni un amateur de lecture de cauris. Mais j’essaye toujours de lire entre les lignes, en essayant de m’enquérir des dernières informations et de me confronter aux experts autour d’une question quelconque, pour en arracher davantage de ce qui ne peut être dit devant les caméras.
En Europe, le champ de l’information est tellement ouvert que les politiciens, décideurs et chercheurs savent beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas étaler sur les plateaux des chaînes de télévision ou dans les journaux.
Concernant le conflit israélo-iranien, les informations étaient si abondantes et précises — notamment sur la nécessité du changement de régime en Iran — pour pouvoir démanteler le programme nucléaire. Pourquoi ? Pour la simple raison que tous s’accordent à croire que la détention d’une arme nucléaire par l’Iran est une question de vie ou de mort. Un dogme que les Iraniens ne pourraient concevoir sans, quel qu’en soit le prix.
Et c’est pour cette raison que les négociations ont été, selon un rapport communiqué au président Trump, pour les Européens, épuisantes, compromises et vaines — d’autant plus qu’elles ont offert aux Iraniens un sursis pour atteindre le seuil nucléaire.
Ce sont les mêmes conclusions avancées par la cheffe du renseignement national américain, Tulsi Gabbard, dans son rapport remis à Donald Trump en main propre, en mars dernier.
Le plus curieux est que les services de renseignement militaire israéliens ont reçu, peu de temps après, un rapport mis à jour affirmant que l’Iran « avait développé la capacité de convertir l’hexafluorure d’uranium enrichi, produit dans ses usines de centrifugation, en uranium métal enrichi ».
Au-delà de la complexité de la terminologie, les décideurs américains, israéliens et européens étaient convaincus que l’Iran était sur le point de développer la bombe nucléaire — et que la première chose qu’il ferait, d’après les allégations d’Israël de l’époque, serait d’attaquer l’État d’Israël.
Le conflit portait sur le timing. Lors de sa première rencontre avec le président américain — en tant que premier visiteur à la Maison-Blanche en février dernier, après la victoire de Trump — le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a assuré le président de sa volonté de porter ce qu’il a qualifié de « coup décisif » à l’Iran dans un délai de deux mois.
Trump, qui s’était retiré de l’accord P5+1 en 2018, savait pertinemment que l’Iran ne se conformerait pas à la communauté internationale et ne renoncerait pas à l’arme nucléaire. Toutefois, préférant apparaître comme un négociateur en quête d’une solution diplomatique à la crise, il a demandé à Netanyahou de lui accorder plus de temps.
En avril, les deux hommes se sont à nouveau entretenus. Trump a alors informé Netanyahou de sa décision finale : accorder à l’Iran soixante jours, à compter du 12 avril jusqu’au 12 juin.
Les abonnés de mon compte Facebook peuvent consulter ce que j’avais écrit à cette date du 12 avril :
« Si l’Iran fait les concessions nécessaires aux États-Unis sur le démantèlement de son programme nucléaire — surtout après avoir perdu ses moyens d’influence dans la région (le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, la famille Assad en Syrie, les Houthis au Yémen et la réduction de ses relais en Irak) — il reprendra le rôle du gendarme américain dans la région. Cela conduira certainement à réduire le rôle de l’Égypte, de la Turquie, et bien sûr d’Israël. C’est ce que ce dernier essaye d’empêcher, en anticipant par une frappe préventive. La lutte est donc autour du temps, et le temps presse. »
Je ne jouais pas au devin en rédigeant cette publication, alors que Netanyahou avait déjà déclenché le compte à rebours, en préparant l’attaque et en engageant ses agents en Iran, selon un plan que Donald Trump avait lui-même examiné et approuvé dans tous ses termes.
Le mardi 10 juin, trois jours avant la frappe, Netanyahou a passé un étrange appel à Trump. Selon des informations disponibles depuis le 1er avril, cet appel visait à obtenir l’autorisation de frapper, car le délai convenu entre les deux hommes allait expirer le jeudi 12 juin.
Ce jour-là, j’ai écrit sur mon compte Facebook : « Les dés sont jetés. » Certaines connaissances m’ont contacté pour en comprendre le sens. Mais quand je leur ai expliqué mon propos, plusieurs ont exclu la possibilité d’une attaque, d’autant plus qu’un cycle de négociations était prévu pour le dimanche 15 juin. J’avais pourtant la certitude qu’on n’atteindrait jamais ces négociations, et que la frappe aurait lieu avant.
Encore une fois, je ne faisais pas de prophétie. Ce constat est le fruit d’un travail incessant de récolte d’informations, d’analyses et d’entretiens avec les différentes parties présentes ici en Europe. Et il s’est avéré juste.
Netanyahou et Trump ont défini dès le départ l’objectif de cette frappe : viser le régime iranien afin de préparer le terrain à son changement. Mais pourquoi ? Pour la simple raison qu’il est impossible de s’attaquer à l’ensemble du programme nucléaire iranien, qui ne peut être détruit par une frappe militaire conventionnelle.
Deux options se présentent donc :
1. Instaurer un nouveau régime, en accord avec l’Occident et les États-Unis, qui démantèlera volontairement le programme nucléaire et garantira son caractère pacifique.
2. Frapper l’Iran avec une bombe nucléaire — ce qui est exclu par les États-Unis, Israël, et l’ensemble de l’Occident, car cela créerait un précédent dangereux, isolant Israël et les USA sur la scène internationale.
À ceux qui se demandent pourquoi ce programme ne peut être démantelé par la voie des négociations, je réponds clairement : modifier ou amender la doctrine nucléaire iranienne revient à tenter de modifier la doctrine d’Al-Qaïda ou des groupes islamistes armés, pour les faire croire en la démocratie et en un État civil.
Le programme nucléaire iranien, pour les mollahs, est aussi fondamental que l’instauration d’un État islamique régi par la charia pour les Frères musulmans ou autres organisations islamistes radicales. Ces deux convictions sont inaliénables.
Points de silence
Je ne prétends pas être un expert militaire en mesure d’évaluer les rapports de force durant ce conflit, mais je peux parfaitement en discerner l’objectif final et ses étapes, compte tenu des informations dont je dispose et qui me permettent d’étudier la situation et de l’analyser.
Premièrement : la guerre actuelle vise à changer le régime iranien, comme je l’ai déjà souligné, en prévision de l’émergence d’un autre régime qui entreprendra le démantèlement du programme nucléaire iranien de sa propre initiative.
Deuxièmement : j’ai déjà évoqué les objectifs intermédiaires sur mon compte Facebook depuis le début de cette guerre, et ils peuvent être résumés comme suit :
1. Paralyser la force de réaction et de décision du régime iranien en ciblant les dirigeants des Gardiens de la Révolution, les forces de sécurité et militaires, ainsi que les responsables des services de renseignement.
2. Neutraliser les systèmes de défense aérienne en frappant les zones de stockage de missiles, leurs usines et leurs sites de déploiement, laissant ainsi le ciel de Téhéran sans protection.
3. Mener des frappes contre les installations nucléaires et pétrolières.
Toutes ces frappes ont été réalisées jusqu’à présent, à l’exception de l’objectif ultime : démanteler les structures du régime en poussant les Iraniens à se révolter de l’intérieur.
Aucun chercheur ni analyste politique ne peut prédire quand cette action aura lieu, malgré toutes les informations provenant de l’intérieur de l’Iran : effondrement économique, crise des services médicaux, ou encore données contradictoires sur les cellules israéliennes opérant en Iran.
Ces éléments pourraient éventuellement conduire à une implosion interne, et donc à la réalisation de cet objectif tant espéré par les États-Unis, Israël et l’Occident tout entier.
Israël
À ceux qui s’extasient devant le spectacle de missiles balistiques s’écrasant sur les immeubles de Tel-Aviv, je dis que l’heure n’est pas aux émotions.
Nous dénonçons tous les massacres commis par Israël et ses exactions. Nous souhaitons plus que jamais la chute imminente de ce régime raciste et fasciste. Cependant, les faits montrent le contraire.
Les États-Unis et l’Occident n’abandonneront jamais leur enfant adoptif qu’est Israël, ni ne resteront spectateurs passifs.
Je vous renvoie aux déclarations de l’ancien président Sadate, quelques heures après la glorieuse guerre d’Octobre. Il avait compris qu’il ne combattait pas seulement Israël, mais aussi les États-Unis d’Amérique et tout leur arsenal — des armes mises à la disposition d’Israël à l’époque, comme aujourd’hui, sans oublier les milliards de dollars consacrés à la reconstruction et à la réparation des infrastructures fragilisées par les frappes iraniennes.
Taper sur les doigts
Cette politique de « taper sur les doigts », engagée par l’Iran, est inadaptée à ce conflit, d’autant plus que d’autres protagonistes se positionnent dans le camp adverse.
Il est donc primordial de comprendre qu’à une étape ultérieure — si ce conflit venait à durer plus d’un mois — une intervention américaine serait inévitable, ce qui conduirait à un embrasement généralisé de toute la région.
Que se passera-t-il alors ?
Je ne fais évidemment aucune prédiction, mais toutes les informations disponibles indiquent que les États-Unis et Israël poursuivront leur trajectoire vers un changement de régime en Iran, même si cela mène à une entrée en guerre directe des États-Unis aux côtés d’Israël.
C’est la seule solution qui s’offre à eux pour éliminer définitivement la menace nucléaire iranienne.
La question qui persiste est la suivante : les ambitions américaines et israéliennes se limiteront-elles à vaincre l’Iran et à démanteler ses armes nucléaires ?
J’ai la claire conviction que la réponse est non. Leurs ambitions ne s’arrêteront pas là.
Cela nous amène à certains impératifs pour l’Égypte, que j’exposerai, le moment venu, dans un autre article.