Le Dialogue

Exclusif. Khaled El-Enany : « L’UNESCO doit redevenir la maison de la conscience universelle »

Le 6 octobre, date symbolique de la victoire égyptienne de 1973, a marqué un nouveau tournant pour la diplomatie du Caire. Ce jour-là, Khaled El-Enany, égyptologue et ancien ministre du Tourisme et des Antiquités, a été élu directeur général de l’UNESCO avec un score inédit de 55 voix sur 57. Premier Égyptien et premier Arabe à diriger l’organisation, il voit dans cette élection « un témoignage de confiance mondiale envers la vision culturelle de l’Égypte ».
Dans cet entretien, il détaille les coulisses de cette victoire et esquisse les priorités de son mandat : éducation, culture, science et paix. 
 

 

Le Dialogue : Comment avez-vous accueilli cette élection historique ?
Khaled El-Enany : J’ai ressenti avant tout un immense sentiment de responsabilité. Ce résultat n’est pas une victoire individuelle, mais l’aboutissement d’un travail collectif mené par l’État égyptien, le ministère des affaires étrangères et le soutien constant du président Abdel Fattah Al-Sissi.
Obtenir 55 voix sur 57, c’est bien plus qu’un chiffre : c’est une marque de confiance du monde envers la vision de l’Égypte et sa capacité à diriger une organisation comme l’UNESCO. Nous avons œuvré pour une cause, non pour un titre.
Quelles ont été les grandes lignes de votre campagne ?
Ce fut un véritable travail d’équipe, étalé sur plus de deux ans. La candidature de l’Égypte n’était pas une démarche électorale ordinaire, mais un projet national visant à replacer la culture, l’éducation et le patrimoine au cœur du dialogue international.
Notre programme liait ces dimensions à la paix et au développement durable. À chaque rencontre, nous avons cherché à bâtir des ponts de confiance, convaincus que l’UNESCO doit rester un espace de convergence, non de rivalité.


Vous parlez souvent d’une “UNESCO plus humaine”. Que signifie cette expression ?
Cela veut dire rapprocher l’organisation des citoyens, des enseignants, des chercheurs, des communautés locales.
L’UNESCO ne doit pas se limiter aux conférences et aux résolutions. Elle doit être présente sur le terrain, à travers des projets concrets, des actions éducatives, culturelles et scientifiques.
Nous voulons également renforcer la participation des jeunes et des femmes dans la gouvernance culturelle et éducative, pour que la diversité ne soit pas un slogan, mais une réalité vécue.


Dans un contexte mondial tendu, quel rôle l’UNESCO peut-elle jouer face aux crises environnementales ?
L’environnement est au cœur de la mission de l’UNESCO. L’organisation gère des centaines de réserves de biosphère et de sites naturels inscrits au patrimoine mondial.
À la prochaine COP30 de Belém, nous mettrons en avant des initiatives sur l’éducation environnementale et la recherche scientifique sur les effets du changement climatique.
Notre responsabilité est de relier la science à la conscience : rappeler que la Terre n’est pas une ressource à exploiter, mais un héritage à protéger.


Le retrait de certains États membres, notamment les États-Unis, a fragilisé l’organisation. Comment y remédier ?
Un tel retrait a évidemment un impact, à la fois financier et symbolique. Mais la force de l’UNESCO repose sur la solidarité de ses 194 États membres.
Nous travaillons à diversifier nos partenariats, en associant le secteur privé, les fondations culturelles, les universités et les banques de développement.
Notre objectif est clair : garantir l’indépendance et la durabilité de l’organisation. 


L’UNESCO doit continuer à servir l’humanité, au-delà des clivages politiques.
Certaines conventions sur le patrimoine datent des années 1970. Faut-il les revoir ?
Absolument. Le monde a profondément changé depuis ces textes fondateurs. Les défis numériques, climatiques et identitaires exigent une adaptation.
Il faut moderniser les mécanismes d’assistance technique, renforcer la représentativité du patrimoine immatériel et accorder une place plus juste aux cultures encore sous-représentées.
Protéger le patrimoine, c’est aussi défendre la diversité et la mémoire collective de l’humanité.
Quelles seront vos priorités à la tête de l’UNESCO ?
Trois piliers guident mon action : l’humain, la connaissance et la paix.
Nous concentrerons nos efforts sur quatre axes :
• L’éducation, avec un accent sur l’équité numérique et la formation à la citoyenneté.
• La culture et le patrimoine, en les transformant en moteurs de développement local.
• La science et l’innovation, notamment autour de l’eau, de l’énergie durable et du climat.
• Le dialogue entre les peuples, devenu aujourd’hui une nécessité vitale.
Je souhaite une UNESCO plus proche des citoyens, plus agile et moins bureaucratique.
Quel message adressez-vous à la jeunesse mondiale ?
Les jeunes ne représentent pas seulement l’avenir : ils sont déjà le présent du monde.
La paix ne se construit pas uniquement dans les conférences, mais dans les idées, les initiatives et les engagements quotidiens.
Je leur dis : faites de l’éducation un moyen d’émancipation, pas seulement une clé d’emploi.
L’éducation durable, ouverte à la diversité, est le fondement d’un monde plus juste et plus pacifique. L’UNESCO sera à leurs côtés pour en faire une réalité.
 

 


Khaled El-Enany, un parcours au service du savoir
Docteur en égyptologie de l’Université Paul-Valéry – Montpellier III, il a consacré sa carrière à l’enseignement et à la valorisation du patrimoine. Ministre des Antiquités (2016), puis du Tourisme et des Antiquités (2019), il a été le premier à cumuler ces deux portefeuilles.
Lauréat de nombreuses distinctions internationales – Légion d’honneur (France, 2025), Ordre du Soleil levant (Japon, 2021), Ordre du Mérite (Pologne, 2020) –, il a aussi été nommé ambassadeur du tourisme culturel par l’OMT en 2024.