Le Dialogue

Washington pousse à une rencontre Sissi–Nétanyahou, alors que Le Caire explore une alternative gazière avec le Qatar

La Maison Blanche tente de réunir le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, et le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, alors que les deux dirigeants n’ont plus échangé depuis les semaines précédant la guerre de Gaza. 

Selon le site américain Axios, Washington se dit prêt à parrainer un sommet, à condition que M. Nétanyahou valide au préalable un accord stratégique de fourniture de gaz à l’Égypte — un dossier gelé depuis trois mois.

Une stratégie américaine fondée sur la « diplomatie économique »

Cette initiative s’inscrit dans un projet plus vaste visant à recomposer l’environnement diplomatique d’Israël au Moyen-Orient à travers des leviers économiques. L’administration américaine estime qu’un rapprochement « chaleureux » avec l’Égypte pourrait constituer un modèle extensible à d’autres États arabes.
En prévision d’une éventuelle rencontre, Benyamin Nétanyahou a mis sur pied une équipe chargée de préparer des « offres économiques concrètes », selon Axios.

Jared Kushner, ancien conseiller de Donald Trump, a récemment appelé le premier ministre israélien à montrer que son pays pouvait proposer davantage qu’un agenda sécuritaire, en s’appuyant sur ses atouts technologiques, énergétiques et industriels.

Un accord gazier majeur, suspendu pour raisons politiques

Le cœur des discussions concerne une méga-transaction négociée avec NewMed Energy : l’exportation vers l’Égypte de 130 milliards de m³ de gaz jusqu’en 2040, pour 35 milliards de dollars — une amplification majeure de l’accord de 2019.
En août, le premier ministre égyptien Moustafa Madbouly avait justifié la prolongation de l’accord en expliquant que l’Égypte, dotée d’infrastructures uniques dans la région — notamment les terminaux de liquéfaction d’Idku et de Damiette — devait consolider son rôle de « hub énergétique régional ». Le Caire, rappelait-il, a vocation non seulement à produire du gaz, mais aussi à le traiter, l’exporter et le redistribuer.

Peu après ces déclarations, Benyamin Nétanyahou avait ordonné début septembre de ne pas avancer dans l’accord, selon plusieurs médias israéliens. Cette décision intervenait dans un contexte de tensions médiatiques autour de la présence militaire égyptienne dans le Sinaï et du refus catégorique du Caire de tout scénario impliquant un déplacement forcé de Palestiniens de Gaza vers l’Égypte.

La réaction du Caire fut immédiate : Diaa Rashwan, président de l’Autorité générale de l’information rattachée à la présidence, a qualifié le chef du gouvernement israélien de « délirant » et l’a mis au défi « d’annuler l’accord s’il est capable d’en assumer les conséquences économiques — et pas seulement politiques ».
Ces passes d’armes illustrent la dégradation continue des relations bilatérales depuis qu’Israël — avec l’appui des États-Unis — a lancé, le 8 octobre 2023, une offensive d’une ampleur sans précédent contre la bande de Gaza voisine de l’Égypte.

Le Qatar tente de prendre la place d’Israël

Le gel de l’accord israélo-égyptien a ouvert un espace dans lequel Doha cherche à s’engouffrer. Début décembre, la chaîne israélienne Channel 12 rapportait que le Qatar ambitionnait de fournir au Caire de larges volumes de gaz naturel liquéfié (GNL), afin de renforcer son accès au marché égyptien, l’un des plus vastes de la région.

Une source du ministère égyptien du pétrole a confirmé que l’Égypte privilégie avant tout « le prix le plus compétitif » et ne souhaite dépendre d’aucun fournisseur unique. Celle-ci a également évoqué la possibilité d’un « soutien qatari sans limite ».
Le Caire a récemment diversifié ses approvisionnements, achetant notamment 80 cargaisons de GNL à l’américain Hartree Partners pour 4 milliards de dollars, en plus d’accords conclus avec Saudi Aramco et d’autres producteurs.

Pressions américaines et calculs internes à Tel-Aviv

Selon Yedioth Ahronoth, le ministre israélien de l’énergie Eli Cohen envisage désormais de valider l’accord gazier, sous la pression insistante de Washington, qui soutient les entreprises américaines impliquées et avait déjà annulé en octobre une visite officielle en Israël pour protester contre le blocage de l’accord.

Aux États-Unis, la désignation de Hartree Partners comme fournisseur de l’Égypte a été saluée par le sous-secrétaire d’État Christopher Landau, qui y voit un renforcement de l’influence économique américaine.

Pour l’expert énergétique égyptien Mohamed Selim, cette diversification rapide des sources d’approvisionnement constitue un message clair adressé à Israël. L’Égypte, dont 88 % de la production électrique repose sur le gaz, « doit assurer ses besoins internes et ses engagements à l’exportation ».
Selon lui, il appartient désormais à Tel-Aviv de mesurer les effets économiques de son blocage : « Les pertes pour Israël pourraient être plus importantes que pour l’Égypte. Les pressions américaines feront peut-être bouger les lignes. »