Au Caire, Abdel Fattah Al-Sissi et Khalifa Haftar affichent une convergence stratégique sur l’avenir de la Libye
La rencontre entre le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et le maréchal libyen Khalifa Haftar, tenue au Caire, s’inscrit dans une relation de dépendances réciproques que les deux pays cultivent de longue date.
L’entretien, auquel ont également participé les plus hauts gradés du renseignement égyptien et de l’état-major de l’Armée nationale libyenne (ANL), intervient dans un contexte régional traversé par les incertitudes — du chaos soudanais à la fragmentation persistante de la Libye.
Selon la présidence égyptienne, les deux hommes ont réaffirmé la « profondeur » et la « spécificité » des liens bilatéraux. Mais derrière les formules diplomatiques affleure une convergence stratégique assumée : l’Égypte voit dans l’ANL un rempart essentiel à sa sécurité frontalière, tandis que Khalifa Haftar continue de s’appuyer sur Le Caire, soutien politique et militaire constant depuis l’éclatement de la crise libyenne en 2014.
Le Caire réaffirme son soutien sans réserve à l’ANL
Abdel Fattah Al-Sissi a renouvelé son appui à « l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale » de la Libye. Une position classique pour la diplomatie égyptienne, qui n’a cessé de plaider pour la mise à l’écart des milices et des forces étrangères présentes dans le pays. L’Égypte craint depuis longtemps l’enracinement de groupes armés proches de ses adversaires régionaux — Turquie ou Qatar — dans l’ouest libyen, susceptible de reconfigurer l’équilibre sécuritaire à ses portes.

En retour, le maréchal Haftar a exprimé sa reconnaissance au rôle du Caire, saluant l’implication personnelle du président égyptien dans la « restauration de la stabilité » en Libye. La formule, soigneusement choisie, vise autant à conforter l’alliance qu’à rappeler l’impossibilité pour l’ANL d’imposer seule un règlement militaire.
L’Égypte pousse à un compromis politique encadré
Le porte-parole de la présidence égyptienne, Mohamed Al-Shennawi, a souligné que Le Caire soutenait toutes les initiatives visant à relancer un processus politique « complet », incluant la tenue simultanée d’élections présidentielle et législatives. Une position qui reflète le souhait égyptien de stabiliser un système institutionnel susceptible d’intégrer l’ANL comme un pilier de l’armée nationale future.
Cette approche, qui privilégie une sortie de crise ordonnée plutôt qu’une recomposition révolutionnaire, place l’Égypte en médiateur intéressé, cherchant à canaliser les ambitions des différents acteurs libyens tout en préservant ses propres leviers d’influence.
Le spectre soudanais au cœur des discussions
La dégradation rapide du conflit au Soudan, voisin commun des deux pays, a occupé une place majeure dans l’entretien. Le Caire et l’administration de Haftar partagent l’inquiétude d’une contagion régionale : afflux de réfugiés, circulation d’armes, implantation de groupes armés sur les routes du désert.
Les deux parties ont insisté sur la « nécessité » de renforcer les efforts internationaux et régionaux pour parvenir à un règlement politique au Soudan, soulignant que la stabilité de ce pays est « indissociable » de leur sécurité nationale. Derrière cette affirmation, se dessine la crainte d’un arc d’instabilité s’étendant du Sahel à la vallée du Nil.
Un partenariat qui se consolide dans un paysage instable

En recevant Khalifa Haftar, Abdel Fattah Al-Sissi rappelle une constante de sa politique étrangère : la volonté de s’imposer comme pilier de sécurité en Afrique du Nord. Pour le maréchal libyen, affaibli par les divisions persistantes dans l’est libyen et la concurrence des puissances étrangères, le soutien égyptien demeure indispensable.
Cette rencontre, qui s’apparente moins à une médiation qu’à une coordination stratégique, confirme que la crise libyenne reste un enjeu majeur pour Le Caire — à la fois menace potentielle et espace d’influence.