Le Dialogue

L’Égypte au cœur du rapprochement russo-africain

Le Dialogue

La réception, au Caire, du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov par le président Abdel Fattah Al-Sissi, en marge du deuxième forum ministériel du partenariat Russie–Afrique, s’inscrit dans une séquence diplomatique révélatrice des recompositions géopolitiques à l’œuvre au Moyen-Orient et sur le continent africain. À travers cette double séquence — bilatérale avec Moscou, multilatérale avec les capitales africaines — l’Égypte cherche à consolider son rôle de pivot stratégique entre Afrique, monde arabe et puissances extra-occidentales.


Sur le plan bilatéral, la rencontre entre M. Al-Sissi et M. Lavrov a confirmé la solidité d’un partenariat que les deux capitales qualifient désormais de « stratégique ». Moscou et Le Caire mettent en avant des projets structurants — la centrale nucléaire d’El-Dabaa, la future zone industrielle russe dans la zone économique du canal de Suez — qui témoignent d’une coopération inscrite dans le long terme, au-delà des fluctuations conjoncturelles. Ces projets permettent à l’Égypte de diversifier ses partenariats économiques et technologiques, tandis que la Russie y voit un ancrage durable dans une région clé, à l’heure où son isolement vis-à-vis de l’Occident s’accentue depuis la guerre en Ukraine.
La dimension politique n’est pas absente. Les échanges ont porté sur les crises régionales — Gaza, Libye, Soudan — avec une convergence de vues autour de la nécessité d’un arrêt des hostilités et du refus des logiques de déstabilisation. En soutenant publiquement le rôle de médiation du Caire, Moscou reconnaît à l’Égypte une centralité diplomatique dans un Moyen-Orient fragmenté, où les canaux de dialogue se raréfient.
Mais c’est surtout la tenue au Caire du forum ministériel Russie–Afrique qui confère à cette visite une portée plus large. En accueillant cette rencontre, l’Égypte se positionne comme la plateforme privilégiée du dialogue russo-africain. Le message est clair : Le Caire entend capitaliser sur sa double appartenance — africaine et arabe — pour peser dans la redéfinition des partenariats internationaux du continent.


Le discours présidentiel prononcé devant les délégations africaines s’inscrit dans cette logique. Abdel Fattah Al-Sissi y a esquissé une vision du développement africain fondée sur les infrastructures, l’énergie, l’agriculture, l’intégration commerciale et les technologies de l’information. Un discours qui fait écho aux priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, tout en soulignant la volonté égyptienne de transformer son influence politique en présence économique concrète. Les chiffres avancés — plus de 12 milliards de dollars d’investissements égyptiens en Afrique — traduisent cette ambition.
Sur les dossiers sensibles, notamment la question des ressources hydriques et le différend avec l’Éthiopie autour du barrage de la Renaissance, Le Caire maintient une ligne constante : appel au dialogue, refus des mesures unilatérales, et inscription du contentieux dans le cadre du droit international. Une position qui vise autant à rassurer ses partenaires africains qu’à préserver son image de puissance responsable.
En toile de fond, la Russie apparaît comme un partenaire complémentaire, proposant une alternative aux acteurs traditionnels sans imposer, du moins officiellement, de conditionnalités politiques. L’annonce d’une future cime Russie–monde arabe et d’une troisième édition du forum Russie–Afrique confirme la volonté de Moscou de s’inscrire durablement dans ces espaces.
Reste que cette dynamique n’est pas exempte de limites. Les promesses de coopération économique devront se concrétiser dans un contexte africain marqué par l’instabilité sécuritaire et les contraintes financières. Pour l’Égypte, le défi consiste à maintenir un délicat équilibre entre ses partenariats occidentaux historiques et son ouverture affirmée vers la Russie et le Sud global.
En accueillant Sergueï Lavrov et les ministres africains, Le Caire envoie toutefois un signal sans ambiguïté : dans un monde multipolaire en gestation, l’Égypte entend rester un acteur central, capable de dialoguer avec tous et de peser sur les grands équilibres régionaux et continentaux.