Le Dialogue

Jean Michel Nogueroles : " La prospérité et la sécurité du continent européen passeront par le développement durable des pays riverains de la Méditerranée et du continent africain"

Le Dialogue

Jean Michel Nogueroles est Avocat international et économiste de formation. Docteur en droit (Paris 1), Diplômé de Sciences Po (Economie et Finance), Master de recherche en économie appliquée de l’Université autonome de Barcelone et Master of Laws de l’Université de Berkeley. Vice-président de l’association Harkis, Honneur, Histoire. Radicalement républicain – patriote et européen, viscéralement méditerranéen, issu d’une famille rapatriée d’Algérie, ayant la double nationalité française et espagnole, il est aussi notamment co-auteur du livre collectif « Repenser la France d’après » (éditions Bold 2021).

 

Jean Michel Nogueroles, vous lancez un cercle de réflexion visant à promouvoir l’idée de la création d’une alliance politique particulière entre les pays du sud de l'Europe. Votre nouveau think tank Nova Roma milite, en particulier, pour la création d'une organisation des pays européens riverains de la Méditerranée, et pour le lancement d'un "plan Marshall" en faveur de l'Afrique, afin d'amorcer le développement économique du continent. Quelle est l’origine du think tank Nova Roma ?

L’origine de Nova Roma est celle du constat qu’une vision géopolitique pragmatique et pertinente devrait tout naturellement conduire la France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce à renforcer leurs coopérations politiques spécifiques s’agissant des enjeux géopolitiques méditerranéens qui nous sont communs.

Ces coopérations politiques renforcées pourraient être dédiées au contrôle de l’immigration illégale, à la sécurité intérieure, à la défense mais aussi à la transition énergétique et au développement durable de nos partenaires et voisins les plus proches. 

 

L’Europe politique actuelle manque substantiellement de cohésion et de solidarité entre ses Etats membres, comme en atteste la crise migratoire que connaissent les pays du sud de l’Europe. Les visions géopolitiques et stratégiques des uns, sont bien souvent, insuffisamment convergentes avec celles des autres. Selon vous, comment retrouver un niveau de convergence politique suffisant entre les partenaires euro-méditerranéens ?

Les noms des iles de Lampedusa, de Lesbos ou des Canaries mais aussi la frontière de Vintimille sont hélas devenus célèbres pour leurs flux de migrants dont la gestion pose difficulté et face auxquels les Etats concernés ont dû agir seuls sans véritablement jouir d’une approche solidaire de leurs partenaires européens.

Au demeurant, comment ne pas s’interroger sur la véritable orientation géopolitique de l’Allemagne (redevenue plus prussienne que rhénane après la réunification), dont la politique est de plus en plus tournée vers l’Europe centrale et de l’est ? 

Comment ne pas s’interroger aussi sur l’absence de volonté du partenaire allemand de s’engager plus avant dans une véritable coopération politique, notamment en matière d’énergie, d’immigration, de défense et de sécurité ?

L’Allemagne a fait le choix exprès d’investir massivement dans l’acquisition d’armements américains plutôt que de se lancer – notamment avec la France et avec d’autres pays européens - dans une coopération industrielle européenne à caractère substantiel (ce qui aurait été possible au-delà d’un avion de combat).

En outre, l’Allemagne s’est jusqu’à présent opposée, au niveau européen, à la mise en place d'un plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité.

Il est à noter qu’un dispositif de ce type est déjà appliqué en Espagne et au Portugal, où il a permis de contenir les prix. Et que quinze Etats européens, dont la France, la Grèce et l’Italie, demandent l'extension de ce mécanisme, dit "ibérique", à l'échelle de l'Union Européenne.

Au vu de ce constat, il paraît en effet nécessaire que nous retrouvions un niveau de convergence politique suffisant avec les partenaires qui nous sont véritablement les plus proches, afin de pouvoir mettre en œuvre, dans le cadre d’un noyau dur de nations associées au sein de l’Union européenne, une politique ambitieuse de coopérations étroites renforcées.

Une vision et une analyse géopolitique pragmatique devrait tout naturellement conduire la France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce à renforcer leurs coopérations politiques spécifiques s’agissant des enjeux qui nous sont communs.

Vous plaidez pour une politique euro-méditerranéenne de coopération renforcée en matière de « Défense », qui aurait également vocation à piloter la mise en œuvre stratégique de co-développements technologiques et de productions industrielles communes. Pouvez-vous nous détailler quelles sont vos propositions de plan Marshall pour l’Afrique et leurs intérêts pour nos nations euro-méditerranéennes ?

Une politique euro-méditerranéenne de coopération renforcée en matière de « Défense » permettrait, tout particulièrement, de faciliter le financement de la recherche par la commande publique dédiée, notamment en matière d’innovations relatives à la cyber sécurité ou à la défense anti-missile. 

Une telle politique proactive générerait bien entendu de la croissance et de l’emploi dans nos économies, par le développement accéléré d’entreprises innovantes (dont les créateurs ne se délocaliseraient plus à l’étranger grâce à cette source de financement), à l’instar du modèle israélien (dit de « start up nation ») ou encore du modèle américain (même si cela est moins connu).

A cet égard, en matière de coopération industrielle de défense, il doit être souligné le succès incontestable du système franco-italien SAMP/T de défense aérienne, connu sous le nom de « Mamba ». Le Mamba a notamment permis aux ukrainiens de remporter de nombreux succès militaires face aux russes.

Au demeurant, les nations euro-méditerranéennes, pourraient également porter plus facilement conjointement, au sein de l’Union Européenne, l’idée d’un nouveau Plan Marshall destiné à faciliter le financement des infrastructures nécessaires au développement et à la transition énergétique du continent africain et du sud de la Méditerranée.

En effet, l’Afrique compte environ 1,3 milliard d’habitants. Selon les prévisions de l’ONU, l’évolution démographique africaine sera de plus de 90% : le continent devrait compter environ 2,5 milliards d’habitants à l’horizon 2050 et l’ONU prévoit également qu’il comptera plus de 4 milliards d’habitants en 2100. 

Tout l’enjeu de cette projection, pour nous euro-méditerranéens, est de s’assurer que cette croissance démographique, sans précédent, soit accompagnée d’une croissance économique à caractère durable, au moins équivalente sinon supérieure, sans entraîner une aggravation de la crise écologique. Nous ne pouvons continuer à nous désintéresser de cette situation…

Un nouveau Plan Marshall pour l’Afrique et la Méditerranée est indispensable si nous voulons que les États du sud rattrapent leur retard économique, tout en préservant la planète, et que leurs habitants de manière générale puissent bénéficier d’un niveau de vie plus acceptable. 

La croissance et l'emploi que générerait en Afrique et au sud de la Méditerranée, comme en Europe le bénéfice d’un tel nouveau plan Marshall, devraient  en tout état de cause également profiter aux entreprises et aux citoyens, qui ne seraient de ce fait plus condamnés à l’immigration.

Les européens font face à 2 crises majeures : la crise écologique et la menace terroriste. Dès lors, comment assurer la stabilité future de la Méditerranée et de notre continent ?

La prospérité et la sécurité du continent européen passeront par le développement durable des pays riverains de la Méditerranée et du continent africain ainsi que par une élévation substantielle du niveau de vie et d’éducation des populations qui vivent et ce, au cours des toutes prochaines décennies.

C’est à cela qu’il faudra s’atteler prioritairement… si l’on veut éviter une amplification de la crise écologique et un développement de la menace terroriste et/ou militaire islamiste.

Il conviendra aussi pour ce faire de mettre en œuvre une politique volontariste de coopération renforcée aux fins d’accélérer la transition énergétique en Europe mais également en vue de coordonner, entre pays euro-méditerranéens, notre effort de défense et de sécurité avec la constitution d’un véritable pôle technologique de défense comme je le soulignais précédemment.

L’ambition de Nova Roma est de concourir à l’ouverture du champ des possibles en vue de procéder à cette indispensable rénovation de nos paradigmes géopolitiques, en réintégrant une vision stratégique proprement euro-méditerranéenne dont nous avons tant besoin pour nous préparer à faire face aux grands défis du XXIème siècle.

 

Entretien conduit par Angélique Bouchard