Le Dialogue

La Libye: de l’émergence à la débâcle et au chaos

Le Dialogue

Une photo prise le 24 septembre 2020 montre le port pétrolier de Brega à environ 270 km à l'ouest de la ville de Benghazi, dans l'est de la Libye. La société pétrolière d'État libyenne a levé la force majeure sur ce qu'elle considérait comme des ports et des installations pétroliers sûrs le 20 septembre, un jour après que l'homme fort Khalifa Haftar a déclaré qu'il levait un blocus sur les champs pétrolifères et les ports. Le blocus, qui a entraîné une perte de revenus de plus de 9,8 milliards de dollars selon la National Oil Corporation (NOC), a exacerbé les pénuries d'électricité et de carburant dans le pays.
/AFP / -

 

 

A  la proclamation  de son  indépendance en  1952, la Libye était  l’un  des dix pays les plus pauvres du  monde. La raison  en  est la politique  barbare  du colonialiste fasciste  qui  a pratiqué une horrible  discrimination  entre les Libyens et les colonisateurs italiens : il  a privé les Libyens de l’éducation,  de la sécurité sociale  et sanitaire ainsi  que de l’appropriation  à moins que le Libyen  en  question accepte de se convertir  au  christianisme et de se naturaliser  Italien. Une situation qui  fut rejetée par les Libyens qui  lui  préférèrent une vie primitive,  rudimentaire et misérable  qu’ils menèrent dans les oasis et les déserts  pour s’entasser-  dans leur plupart-  dans des cabanes ou des bidons villes semés autour des métropoles. L’édification d’un Etat  indépendant et viable  fut une question difficile  surtout qu’avant l’indépendance,  le pays était  directement gouverné par les Anglais qui persistèrent dans l’exercice  de leur pouvoir même au  lendemain de l’indépendance. Une présence militaire américaine,  anglaise et française  fut imposée  dans le pays : de  grandes bases militaires américano-anglaises furent construites  tout le long  de la côte alors que la France a exercé  son  emprise militaire et sécuritaire  sur le sud.

Au  lendemain  de la découverte  du pétrole  dans les années soixante,  la vie a commencé à  s’améliorer, mais la mauvaise gestion,  la corruption  et la puissance des compagnies pétrolières n’ont pas   réussi  à réaliser  grand-chose. 

Après la révolution de 1969, le pétrole a été nationalisé, les forces étrangères  et les colonisateurs italiens chassées; le lancement d’un  plan  de développement de trois ans a réussi  à transmuter  la vie des Libyens  qui  vivaient sous le seuil  de la pauvreté  pour mener dorénavant une vie extrêmement meilleure,  les bidons villes et les tentes où vivaient les Libyens  ont été  remplacés par des habitations modernes ;  l’enseignement   est devenu  obligatoire pour les deux sexes, une révolution  agricole et industrielle  a été déclenchée et avec la création d’un énorme réseau d’électricité  qui  est parvenu à  couvrir tous les villages dont les reculés  qui  se trouvaient en  plein  désert ainsi que la construction  des routes. Et,  ce qui  importait davantage était   les services de santé gratuits  y inclut la distribution  des médicaments, les subventions alimentaires et la garantie  de l’obtention des denrées alimentaires à  des prix symboliques et équitables dans toutes les régions libyennes ; ainsi  que la propagation des instituts et  des universités.

La Libye a connu une transmutation  majeure : elle est passée  d’un  Etat  extrêmement pauvre à un autre relativement riche.  Son  développement humain a connu  un  essor fulgurant  reflété dans le rapport  des Nations Unies sur le développement  humain 2010 qui  place la Libye en  tête de liste des pays africains.

Pour  lutter  contre la pauvreté et réaliser l’égalité  entre les citoyens, l’Etat  a décidé au début  du  vingt et unième siècle de lancer  un projet sans précédent,  celui des porte feuilles d’investissement destinés aux familles nombreuses à revenu  modeste :  300000 familles libyennes en profitèrent  soit l’équivalent de la moitié de leur nombre  total  qui est de 750000. L’Etat  a affecté,  des ressources pétrolières,  la somme variant entre 30  et 50 milles dinars libyen à toute famille investissant dans un portefeuille  privée à  travers le fonds de développement  pour avoir des actions dans diverses sociétés. L’Etat a inscrit ces contributions comme propriété  sacrée des familles et l’a immunisée par  une loi  qui ne pourrait   jamais  être abolie ou nationalisée. C’est ainsi  que l’intérêt mensuel des portefeuilles n’était jamais inférieur à  500  dinars libyens  qui équivalent à « la moyenne des salaires mensuels ». 

Ce projet des portefeuilles d’investissement des familles à  revenus  modestes a  contribué à  sauvegarder un  niveau de vie  supérieur en  prenant en considération la gratuité  des soins de santé  et de l’éducation  à  tous les cycles d’enseignement  et les subventions accordées à la nourriture, l’électricité et l’énergie ! 

La Libye était un  Etat démuni, dépourvu de toute activité économique, abstraction  faite des ateliers des Italiens et de leurs petites fabriques. Elle  passa alors à une extraordinaire phase d’industrialisation où l’on  créa  une petite industrie à  toute chose ainsi  que les industries lourdes du fer  et  de l’acier, les industries pétrochimiques, chimiques, électroniques, cimentières, plastiques, de montage de voitures  et des tracteurs. Les aciéries de Misrata, le complexe pétrochimique de Ras Lanov,  de Tadjourah des électrons, de camions et de produits chimiques d’Apocamash sont encore témoins d’une renaissance industrielle pilote dans un pays sous-développé et pauvre. 

 

Dans le secteur de l’agriculture, on  compte de  gigantesques projets colonialistes dans la plaine de Djeffara   au  sud de Tripoli  et dans La Montagne Verte (Djebel Akhdar), des projets bovins et des  stations de  volailles qui ont réussi à atteindre un  degré d’autonomie ;  Ajoutons à cela  des processus d’oasification entamés  au  sud de la Libye par  l’utilisation de la haute technologie dans la production  massive de céréales et de fruits. Le plus important de tous ces projets fut la grande rivière artificielle  qui  a déplacé des milliards  de mètres cubes d’eau  du  désert  libyen, au  sud-ouest et au  sud-est vers le nord à  travers le plus gigantesque réseau de canalisations de par le monde. 

 

La Libye a  réalisé  un bond  énorme en  vue d’asservir ses richesses au  développement, au  bien-être du peuple  et à la réalisation  de son autonomie.  Elle s’est  proposée de créer  un  plus large espace de complémentarité arabo-africain et de réaliser une indépendance effective de l’ancien  et du  nouveau colonialisme. Néanmoins,  le revers  historique subi  par la Libye en  2011-quelqu’en soient les causes, les justifications, les analyses et les évaluations- est à l’origine de la situation  catastrophique  qu’elle endure  de nos  jours. Le chaos sévit  partout dans le pays.  Au  cours de ces dernières douze  années, les images de la débâcle infestent le pays surtout au  niveau de l’enseignement et de la santé. Pour la deuxième année  consécutive, les manuels scolaires n’existent pas, les écoles n’ouvrent pas leurs portes en raison  des conflits armés  réitérés :l’éducation  a reçu des coups durs à  tous les niveaux.  La performance des  enseignants s’en  est  éprouvée et pour  de multiples causes ; Pour ce qui  est  du secteur de la santé,  la corruption  y  bat  le record.  La pénurie a ravagé  tous les secteurs sanitaires  que les livraisons se trouvent en  chute libre. Ce désastre  n’a pas épargné le secteur de l’énergie :  le sud du  pays souffre de coupures d’électricité qui  durent pour  de longues heures dans les villes clés du pays dont la capitale; s’approvisionner  en carburant est  devenu  d’une rareté telle qu’il  n’existe que dans le marché parallèle  et à  des prix exorbitants  dans les zones ouest et sud. Le secteur du  transport est  dans un état  de paralysie  absolue. Et, dans cette situation désastreuse,  parler de la dégradation  de l’industrie  ou  de l’agriculture  serait  de l’ordre de l’absurde.

 

En  outre la corruption s’est enracinée dans tous les secteurs du  pays et a atteint des niveaux  inconcevables. A  titre d’exemple,  les employés sont recrutés à  des postes clés  moyennant des dessous de tables  et non en  vertu  de leurs diplômes au  point  qu’ils en  présentent des faux. Cette réalité  sévit également dans le secteur militaire  que nous trouvons  des hauts gradés- généraux  d’armées, généraux de divisions,  lieutenants colonels - placés  à la tête de services de sécurité clés  alors qu’ils n’ont même pas fait la carrière militaire. Dans le  meilleur des cas,  ils n’étaient que soldats  ou  sergents avant 2011. Ces personnes sont très  bien  connues en Libye que le besoin  ne se fait pas sentir  de les dénommer. L’usage de faux est  devenu  monnaie courante que les thèses de doctorat  et  de magistère se vendent au  vu  et au  su de tout le monde.  Dans le secteur  financier,  les contrats et les crédits ne sont accordés  qu’à  des personnes spécifiques,  mais ce qui est vraiment grave, c’est qu’aucune livraison  n’est  faite en vertu  de leurs dispositions. 

 

La Libye se débat dans un  imbroglio  inextricable dû-  de mon propre point de vue-  à l’ingérence militaire  occidentale qui  a dévasté les institutions de l’Etat  et a donné le feu  vert aux groupes criminels armés,  idéologiques et régionaux de prendre leurs places. 

 

En  somme. La Libye  aujourd’hui  est la résultante catastrophique  de ce qu’on a appelé  “le printemps  arabe”. Certains pays, à leur tête l’Egypte,  ont réussi  à dépasser cette triste période de l’histoire arabe,  alors que la Tunisie et la Syrie  tentent  encore leur chance. Malheureusement la Libye est dans le noir et ne voit pas de lueur au  bout  du tunnel. Elle est dans une impasse politique ;  les institutions publiques souffrent de la division  et l’avenir du  pays est en  jeu. Il  n’est nullement pessimiste de dire que la Libye a déjà pris le chemin  de la division et que la géographie de sa population est en  phase de changement. La Libye court le grand risque de devenir le terreau  fertile à la constitution  de micro-Etats  non –arabes dans certains de ses régions : un  stratagème exécuté à pas de géant que la Libye  pourrait devenir un  jour  une page tournée de l’histoire. Contrecarrer  cette réalité  qui  se prépare est  un  devoir qui  s’impose aux Libyens  mais aussi et  avant toute chose,  une responsabilité historique que les pays arabes et africains doivent assumer.