Le Dialogue

Histoire du Sahel, Des origines à nos jours… de Bernard Lugan

Le Dialogue

Bernard Lugan est à la fois géographe, historien et ethnologue. Bien que boudé par les médias mainstream et certaines institutions françaises, il n’en demeure pas moins, certes toujours discrètement, sollicité ou étudié par nos militaires ou nos services spéciaux du fait de son expertise de terrain indéniable, reconnue mondialement, souvent à contre-courant de la « bien-pensance », mais qui en fait véritablement l’un des meilleurs spécialistes des Afriques. 

 

Il vient de publier cette formidable Histoire du Sahel (Éditions du Rocher, 2023). Ses écrits, on l’a dit, ne laissent pas indifférents mais sont très souvent justes et pertinents car basés sur le réalisme du terrain, de l’histoire et de la géographie. Sa revue, l’Afrique réelle, diffusée uniquement sur internet est assurément reconnue.

Vaste de plus de 3 millions de kilomètres carrés, le Sahel – « rivage » en arabe (al Sàhil) – est un couloir de 4 000 kilomètres de long s'étendant du Sénégal, à l'ouest, au Soudan, à l'est. 

Milieu naturellement ouvert, le Sahel est aujourd’hui cloisonné par ces frontières artificielles que Pierre Gourou qualifiait volontiers « de pièges à peuples ». Le Sahel est également un espace de contact. Composé de zones agricoles au sud et pastorales au nord, il met en effet en relation l'univers nomade de l'Afrique « blanche » (le Bilad el-Beidan) et les sociétés sédentaires de la civilisation méridionale des greniers de l'Afrique « noire » (le Bilad-el-Sudan). Au nord, il s'abîme insensiblement dans la désolation saharienne, alors qu’au sud, il se fond par touches dans le monde des savanes.

Le Sahel est un « rift ethno-racial » le long duquel vivent des sédentaires sudistes et des nomades nordistes en rivalité territoriale depuis la nuit des temps.

La colonisation libéra les premiers de la prédation des seconds, puis elle rassembla les uns et les autres à l’intérieur de limites administratives devenues frontières d’États lors des indépendances. « L’ethno-mathématique » y donna le pouvoir aux sudistes car ils étaient électoralement plus nombreux que les nordistes.

Ce fut alors « la revanche de la houe sur la lance ». Mais, au Mali, au Niger et au Tchad, comme ils refusaient de devoir obéir aux fonctionnaires sudistes, les nordistes se soulevèrent.

Ce furent les conflits sahéliens qui s’étendirent de la décennie 1960 jusqu’aux années 2000, notamment au Mali, au Niger mais aussi au Tchad. Ces derniers ont du reste confirmé l’inversion des rapports de forces, provoqués par colonisation.

De fait, avec le multipartisme, à partir de 1990, réapparurent les constantes ethniques inscrites dans la longue durée qui avait été mises en parenthèse par la colonisation. Et il en découla la multiplication des conflits qui seront opportunément utilisés par la suite par les groupes jihadistes.

Dans tout le Sahel prospérèrent ensuite les trafiquants : 35% de la cocaïne sud-américaine à destination de l’Europe transiterait par le Sahel. De fait, des organisations terroristes se sont installées dans la région, profitant de la porosité de ses frontières, trafiquants et terroristes transnationaux utilisant des anciennes structures pré-coloniale de circulation nord-sud.  

Enfin, à partir des années 2000, les islamo-jihadistes chassés d’Algérie s’immiscèrent avec opportunisme dans le jeu politique local, y provoquant « la surinfection de la plaie ethno-raciale » matrice des actuels conflits.

De plus, après 2011, l’élimination du Colonel Kadhafi a donné aux trafiquants et aux terroristes de nouvelles opportunités et créé une nouvelle définition géopolitique régionale, sans parler des armes dérobées des arsenaux libyens (explosion du trafic d’armes venant de la Libye déstabilisée) qui irriguent ces conflits.

Cette plaie a d’autant moins de chances d’être refermée que la région est belle et bien convoitée par les Russes, Chinois et Turcs qui sont attirés par les matières premières telles que l’uranium, le fer ou le pétrole.

Chemin faisant, Bernard Lugan ne manque pas de souligner les erreurs de la France. A ce titre, il en relève au moins deux :  

  • La France aurait « essentialisé » la question du jihadisme en qualifiant systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’armes 
  • La France aurait globalisé la question alors qu’il était impératif de la régionaliser. Pour preuve, elle n’a pas su saisir l’opportunité politique et militaire consistant à découpler l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara) de l’AQMI (Al-Qaïda pour le Maghreb islamique), car ces groupes ont des objectifs bien différents. Dans cette perspective, il eût été judicieux de se rapprocher du Touareg Iyad Ag Ghali, émanation locale de larges factions ; alors que le Peul Ahmadou Koufa, milite pour un califat trans-ethnique.  « Il eût fallu nous entendre avec ce chef Ifora (Iyad Ag Ghali) avec lequel nous avions à l’origine des contacts, des intérêts communs, et dont le combat est d’abord identitaire avant d’être islamiste » commente l’africaniste.

Illustré de plus de 60 cartes en couleur, l’Histoire du Sahel de Bernard Lugan mériterait d’être le livre de chevet du Quai d’Orsay, en particulier de sa direction Afrique. Il s’adresse tout particulièrement aux militaires qui se projettent sur le terrain. Mais eux, ils le liront assurément ! Quant à nos responsables politiques, il est fort dommage qu’ils soient encore et toujours de si mauvais élèves…