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Monde

Le dindon de la farce* européen ?

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Le blog d'André Boyer : http://andreboyer.over-blog.com/ 

 

Les États-Unis ne fournissaient pas seulement de l'argent et des armes à l'Ukraine, ils contribuaient et contribuent toujours à la formation des soldats ukrainiens, ils fournissent aussi des données de reconnaissance et de ciblage et ils sont enfin au cœur de la planification des opérations depuis leur QG à Wiesbaden.

 

Les Européens ne pourront pas fournir l'ensemble de ces services. C'est pourquoi les dirigeants européens qui pensent en termes de poursuite de la guerre sont effrayés par l'arrivée éventuelle de Trump. Mais, quoi qu'il se passe aux États-Unis, la volonté de la plupart des dirigeants européens de faire la guerre à la Russie semble rester inébranlable. 

Toutefois, la situation militaire est la suivante, en ce mois de mars 2024 : les forces ukrainiennes ont perdu leur capacité à l'offensive. Elles doivent se contenter de démontrer qu'elles existent en menant des attaques sur le territoire russe, y compris contre la population civile.  

En face, les Russes ont repris l'initiative et semblent se contenter de consolider leurs positions actuelles, mais il n'est pas exclu que Kharkiv et Odessa soient menacés. Dans ces conditions, après avoir poussé les Ukrainiens à l'offensive en 2023, les Américains leur ont dicté pour 2024 une stratégie défensive qui a pour objectif de garder le plus possible de territoire tout en limitant les pertes humaines. Pour la suite, ils espèrent que l'armée ukrainienne sera plus forte dans un an et encore plus dans dix ans. La CIA aime voir loin. 

Dans une perspective du retrait, sans doute partiel, de leur engagement en Ukraine, les États-Unis ont aussi dicté aux États européens de signer avec l'Ukraine des engagements de défense bilatéraux sur dix ans, ce qui revient à faire entrer l'Ukraine dans l'Otan par une porte dérobée.

Obéissants, les principaux États européens, la Grande Bretagne, le plus fidèle allié en premier, l'Allemagne, la plus impliquée dans le conflit ensuite, puis la France, l'Italie et même le Canada ont déjà signé ces engagements.   

Pour justifier ces accords, on agite la perspective d'une Russie dont l'objectif stratégique serait non seulement de conquérir toute l'Ukraine mais aussi d’attaquer les pays baltes et la Pologne.  

Ces rumeurs ne sont que des hypothèses qui ne sont confirmées ni par les déclarations de Poutine ni par les faits antérieurs. En effet, Poutine a toujours déclaré que la crise en Ukraine n'était pas un conflit pour obtenir un territoire et que, comme la Russie était déjà le plus grand pays du monde, elle n'avait aucun intérêt à en conquérir de nouveaux. Ce qu'il veut, selon ses déclarations, c'est la Crimée, le Donbass et la neutralité de la partie de l'Ukraine qui ne sera pas sous le contrôle russe. 

En outre, les faits sont les suivants : en février 2022, la Russie a déployé 190 000 soldats contre 400 000 soldats ukrainiens bien formés et équipés par l'Occident depuis 2014. Impossible de conquérir l'Ukraine avec des moyens aussi faibles, ni même de l'occuper une fois conquise : il lui faudrait faire stationner 1 million de soldats en permanence. Pour attaquer et occuper en sus la Pologne et les Pays Baltes, il lui en faudrait combien ? 

À ce stade des évènements, la question qui se pose est celle de la négociation. 

Cette dernière a déjà avorté deux fois, à Minsk et à Istanbul, la première parce que les États-Unis voulaient du temps pour préparer l'armée ukrainienne à la guerre, la seconde parce qu'ils voulaient que cette même armée lance une grande offensive avec le soutien de l’Occident, dont on peut supposer qu'ils en attendaient un succès. 

C'était une fiction, visible aujourd'hui. Les Ukrainiens ont atteint tout ce que leur force armée était capable de faire avec le soutien occidental. Maintenant, on sait que l'Ukraine ne vaincra jamais militairement la Russie, qu'il n'y a pas d'arme miracle, que les forces armées ukrainiennes sont dans un état critique et qu'une défaite militaire de l'Ukraine se profile, malgré l'aide occidentale.

Si les dirigeants occidentaux ne veulent pas négocier aujourd'hui, qu'attendent-ils de la suite ? L'Europe possède des armées trop faibles pour les engager contre l'armée russe et les États-Unis n'ont jamais voulu et ne veulent pas d'une confrontation directe avec la Russie, en raison du danger nucléaire et de l'ombre de la Chine qui se profile. 

Puisque les Occidentaux ont décidé que la Russie était leur ennemi à long terme, qu'ils se préparent donc à la guerre pour avoir les moyens de la gagner. Qu'ils augmentent fortement les budgets militaires, sachant qu'il leur faudra entre cinq et dix ans pour atteindre un niveau suffisant et pour convaincre leurs opinions publiques du bien-fondé d'une future guerre contre la Russie.

En attendant, il leur reste encore à digérer l'humiliation d'avoir surestimé leur force, en convenant avec la Russie d'un accord de cessez-le-feu suivi d'une négociation de paix, avant de songer à une guerre.  

En dehors de cette démarche, ils peuvent aussi et c'est ce qu'ils laissent croire aujourd'hui, procéder à une intervention active en Ukraine pour tenter d'empêcher la défaite militaire de l'Ukraine, au risque d'une grande guerre européenne où seraient probablement utilisées des armes atomiques tactiques. Puis, après les massacres et les destructions considérables que cette grande guerre risque d’entrainer, peut-être les Européens accepteront-ils de discuter avec la Russie, entre survivants ?  

 

Les Européens doivent être nombreux à penser que, dans une situation qui est défavorable à l'Ukraine et à l'Europe, le plus tôt sera le mieux, sauf à accepter d’être le dindon de la farce. 

  

*Être le dindon de la farce, c'est servir de dupe dans une affaire bancale ou une entreprise ratée dont on subit les inconvénients, alors que des partenaires plus habiles, ou plus chanceux, tirent leur épingle du jeu.

L'expression semble venir d'une forme de divertissement forain que l'on appelait « le ballet des dindons » : on plaçait quelques-unes de ces volailles placides sur une tôle surélevée et clôturée, formant une scène, puis on chauffait progressivement ce plancher métallique par en dessous. À mesure que la chaleur se faisait sentir dans leurs pattes, les dindons commençaient à s'agiter, à danser sur la tôle d'un air évidemment grave qui mettait en joie les badauds admis à contempler l'action. Le ballet des dindons fut interdit en 1844, par une ordonnance du préfet de police. 

D'après Claude Duneton