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Culture - Livres - Histoire

La Méditerranée …De Taha Hussein à Fernand Braudel, Intersection et patrimoine

Le Dialogue

Un homme prend une photo d'une sculpture dans le cadre de l'exposition 'Alexandrie, futurs antérieurs' au musée du Mucem à Marseille, dans le sud de la France, le 6 février 2023. (Photo de Nicolas TUCAT / AFP)

 

Il  devient impératif de tenir, en  rotation, dans une ville côtière de la Méditerranée, un festival triennal portant sur son patrimoine et son folklore.

Cette mer a non  seulement une personnalité  complexe, compliquée  et singulière mais aussi porteuse de l’histoire de l’évolution de la civilisation humaine depuis la nuit des temps et jusqu’à notre époque contemporaine. Elle nous  en  présente la synthèse.

La Méditerranée est  loin  d’avoir une géographie  simple comme l’on  pourrait  imaginer. Elle est  entrecoupée par  nombre d’îles et bordée  par un faisceau de côtes. Les marins qui la sillonnaient étaient des paysans et savaient que c’était la mer du  raisin  et des olives. 

La dialectique entre la mer et la terre  est plus profonde qu’on ne l’imagine. Ses échos retentissent chez deux grands écrivains de l’Orient et de l’Occident, respectivement Taha Hussein que nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire de sa mort, qui  a conçu  la Méditerranée  comme la sphère incontournable des relations réciproques d’influence entre l’Egypte et son entourage ; ainsi  que le penseur français Fernand Braudel qui  a consacré dix-huit ans de sa vie  à partir de l’année 1923 à étudier  et à comprendre la Méditerranée pour en déduire que, depuis le seizième siècle, elle a servi de voie de transports du commerce international  de l’Océan  Atlantique. Bien  plus, elle est restée jusqu’à nos  jours  la plateforme de l’activité économique, politique et culturelle du monde entier. 

Dans son  ouvrage « L’avenir  de la culture égyptienne » ,  Taha Hussein a soulevé l’idée de l’importance de la dimension méditerranéenne pour  l’Egypte. Il  ne s’est pas arrêté  à  ce stade,  Il  est passé de la théorie  à l’acte en encourageant les études gréco-romaines à l’Université du  Caire et en faisant savoir  la pensée occidentale   contemporaine aux Egyptiens et aux Arabes.  Il  a été même chargé  du portefeuille de l’éducation de  1950 à  1952. Il  a fondé même l’Institut des études arabes à  Madrid  qui  a joué,  depuis, et jusqu’à nos jours, un  rôle clé au  niveau  des relations vitales arabo-européennes  en ressuscitant le patrimoine andalou. De  telles études ont  connu un  grand  essor dans les universités espagnoles que l’orientalisme européen  a acquis une nouvelle dimension  et est  devenu  un pont jeté entre les deux civilisations pour  ne  plus se contenter d’un  rôle critique :  c’est la Méditerranée  qui  a permis aux Grecs de faire leur  traversée vers l’Egypte pour  abreuver de sa civilisation et ont pris leur  chemin  vers les temples d’Héliopolis.  Et  à notre époque, on  a trouvé  des chercheurs s’orienter vers la philosophie grecque pour trouver qu’elle présentait l’écho de celle de l’Egypte antique. Et  ce qui  importe le plus,  est qu’on  a trouvé que les Grecs ont  transmis vers l’Europe l’ancienne religion  égyptienne :  nous trouvons dans divers sites européens des reproductions du  Sphinx et des rémanences de l’ancienne religion égyptienne à l’époque d’avant J.C. Néanmoins,  à partir de la vingt sixième dynastie,  les Grecs s’installèrent  intensivement  en Egypte jusqu’à  créer des cités et villages  principalement au  nord du Delta. La ville de Mutubas demeure toujours.  jusqu’à nos  jours, sur la branche canopique (l’une des deux branches de l’Egypte contemporaine),  porteuse de son  nom grec  et son  tell archéologique  qui portait la mosaïque comme des monticules semblables en  Grèce. On comprend,  par-là  l’étonnement des historiens  lorsque Alexandre le Grand  entra en Egypte et demanda la reconnaissance des temples égyptiens alors qu’il  était  imbibé de la culture égyptienne antique. A vrai  dire, à  son entrée  en  Egypte, la communauté  grecque  représentait une proportion  non négligeable de la population égyptienne. De plus,  les Egyptiens s’étaient  alliés  afin de chasser  l’occupation perse.

Le rêve  d’Alexandre le Grand de créer une fusion entre le nord et le sud de la Méditerranée, afin de constituer ce qui  fut historiquement nommé  la civilisation hellénistique,  ne fut  réalisé que par les Phéniciens  qui  habitaient les côtes palestiniennes, libanaises et syriens  qui ont révolutionné la navigation maritime  au  treizième siècle avant Jésus Christ par leur découverte de la navigation  rectiligne. Des expériences et des expertises accumulées dans cette mer  ont engendré une croissance et une  splendeur  sans pareil dans aucune autre mer. Elle devint alors le pivot de tous les événements, les guerres et les civilisations.

Vint alors Fernand Braudel  pour  nous informer que la géographie  délimite les frontières de l’activité humaine. Il  a parlé  des cadres géographiques rigides qui  emmagasinent les expériences vécues par l’homme  et  héritées à travers les âges. Il  est  juste de dire que l’interaction  érige des fondements profonds à l’intérieur des sociétés. La preuve en  est que l’Egypte,  depuis l’époque  romaine, fut la terre élue pour la communauté italienne  que les gènes même des Egyptiens remontaient à  cette époque et qu’on  trouva, à l’époque Mamelouk, des commerçants italiens  de Venise,  de Gênes et de Florence s’installer en  Egypte  dans la ville de Fouah  pour obtenir des prérogatives  dans les oukases royaux sultanesques  ainsi  qu’un  consulat dans un port  interne situé en  Egypte sir le Nil. Ils sont arrivés jusqu’au  tréfonds de l’Egypte.   C’est la raison pour  laquelle  lorsque les Italiens  se sont installés en  Egypte au  dix-neuvième et vingtième siècles,  leur interaction  et immixtion avec les Egyptiens furent  très rapides  que plusieurs mots italiens ont pénétré  dans l’argot  égyptien et  demeurent  toujours jusqu’à notre époque. Et  lorsque c’était  le tour des Egyptiens de s’expatrier  dans les années soixante-dix du  vingtième siècle,  la synergie fut  rapide avec la société  italienne  et  ils y ont fondu à une vitesse telle que nous avons vu  des personnes remarquables  dans tous les domaines en  Italie.

C’est l’esprit de la  Méditerranée  que nous éprouvons le besoin  urgent de le redécouvrir  sous un  autre regard voire de l’ancrer de nouveau  sur  tous les plans populaire  et culturel. En  rendant visite à tous les ports de la Méditerranée  nous y trouverons un  esprit identique  qui  culmine dans la relation  entre la ville et la mer  et dans l’architecture des bâtisses et dans l’aménagement  des routes. Cette âme commune est  toujours présente à  travers nos multiples visites à  Alexandrie, Sfax, Oran, Tanger, Gênes,  Marseille et Venise ;  Et  si vous en  faites partie  de leurs habitants  vous ne sentirez  jamais que vous êtes étranger  à  ces lieux  mais serez animé par le sentiment de nostalgie  pour les visiter tous.

Reste une question : est-ce que l’activité du  commerce à  travers l’Océan  Atlantique après la connaissance des Européens et leur émigration  vers les deux Amériques  n’a pas impacté la Méditerranée ? En  fait, cette influence  a été  relative et n’a pas eu  l’effet  qui mettrait  fin  au rôle de cette mer : le mouvement du  commerce international via la Méditerranée demeure florissant et important. D’autant  plus  que le creusement  du Canal  de Suez et  son inauguration  en  1869 a  rendu  à la Méditerranée  son prestige et sa splendeur  et  pour que Port-Saïd  véhicule également  son  âme avec l’installation  en  son sein  de communautés  européennes.

Avons-nous  besoin de davantage d’incidents et de preuves pour  assimiler la Méditerranée et  son  esprit ?         

A  vrai dire,   on  a été témoins au  cours de ces dernières décennies  d’études fouillées effectuées dans les universités  du  nord et du sud de la Méditerranée  ainsi  que de  nombreuses conférences, forums, séminaires et la publication d’ interventions et de recherches multiples qui  sont  restés confinés dans les cercles universitaires et politiques et dans les instituts de recherche  scientifique . Néanmoins, cet  esprit peine à  s’ancrer  dans les années à  venir en  raison  de l’absence de partenariats solides et d’intérêts mutuels  entre les peuples et les Etats.  L’initiative  de l’Union pour la Méditerranée  fut  purement officielle  et ne s’est pas étendue  jusqu’à la construction  de partenariats sur  la  base des intérêts communs. De plus, les manuels scolaires des deux rives de la Méditerranée sont lacunaires sur le point de définir cet esprit.  Ils portent l’accent  sur les guerres et les conflits politiques sans présenter  de lecture  qui  incite à la recherche de  points communs. C’est  pourquoi, il importe  d’insuffler  cette âme à  travers deux musées l’un  au nord et l’autre  au  sud qui  nous présenteraient l’âme de la Méditerranée  ainsi qu’à  travers des festivals  qui iraient  dans ce sens. A  ce point. Il serait  intéressant d’attirer l’attention  sur  une  curiosité culinaire  celle des plats d’aubergine qui  sont  répandus dans toutes les cuisines à l’est de  cette mer  avec des différences  remarquables entre son utilisation  à Chypre,  en  Syrie ou en  Egypte. Pourquoi  ne pas faire en  sorte pour enrichir  le  savoir des peuples à  travers un  festival qui  passerait,  par rotation,  d’une ville  à une autre où l’on  assisterait à une compétition  acharnée  entre les villes de la Méditerranée qui  présenteraient  leurs recettes créatives  d’aubergine qui  mettraient l’eau  à la bouche  et stimuleraient  l’imagination.  Sortir des sentiers battus engendre des idées qui  créent  le rapprochement  entre les peuples dans une recherche de leurs intérêts communs dans tous les domaines. 

La tenue du  tournoi des jeux méditerranéens à partir de la ville  d’Alexandrie a constitué un  événement important  qui a instauré la vision  de l’Egypte vis à  vis de la Méditerranée  et de ses Etats. Cependant,  il importe aujourd’hui  de tenir,  tous les trois ans et par rotation  à  travers les villes méditerranéennes,  un festival  portant  sur le patrimoine et le folklore  de la Méditerranée  comme sur tous les arts  et les patrimoines culinaires surtout  que la cuisine méditerranéenne occupe la place vedette au  niveau  de sa richesse, de sa variété  et de son authenticité.