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Renseignement - Défense - Terrorisme

Quand « La fin justifie les moyens » devient « tous les moyens sont justifiés avant la fin »

ROMAIN LAFABREGUE
ROMAIN LAFABREGUE /AFP

Lors de notre très complète formation par Al Qaïda en Afghanistan, il y avait un module spécifique intitulé : « stratégie et tactique ». Il avait ceci de particulier qu’il s’agissait d’un module qui était à la fois suffisant à lui-même mais participait également en complément à tous les autres modules de formation.

Pour faire simple, il nous était dit que la stratégie et la tactique se distinguaient de la façon suivante.

La stratégie réside dans la désignation d’un objectif appartenant à un plan plus vaste que ce seul objectif, et la tactique relavait de la façon d’atteindre ce même objectif. 

En cela, la formation de Al Qaïda est proche de celle des officiers et officiers supérieurs des armées du bloc atlantique, ou de l’Otan. Les modalités d’actions sur le terrain sont laissées à l’appréciation des cadres à qui un objectif est donné. La « seule » difficulté consiste à prendre des décisions qui s’intègrent dans une opération inter armes ou inter armées.

Comme nous ne disposions ni d’avions, ni de navires de guerre, ni de missiles longue portée, la partie « articulation interarmées » de la formation pratique était simplifiée à l’extrême. 

Par exemple, la fabrication d’une ceinture explosive appartenait au module « moutafarajate », « les explosifs », pour apparaitre dans le paragraphe « ikhtiyalate », « assassinat » (ou élimination ciblée.)

Ce paragraphe « ikhtiyalate » était lui-même tiré du module « stratégie et tactique ». En pratique, nous étions formés à un usage « conventionnel » des explosifs, pour ensuite étudier leur usage le plus radical et violent possible avec un commando suicide.

Il en était de même avec tous les modules. Si nous étions sur l’étude d’un canon de DCA, nous en faisions le tour de son usage normal. Puis, il nous était systématiquement ajouté un usage hors cadre, ou hors manuel, pour nous être proposé une utilisation contre des blindés légers. Il est possible par exemple de placer un canon de DCA en direction d’un passage obligé pour accéder à une vallée, de sorte que l’on peut stopper ou ralentir une colonne ennemie. Pendant ce temps, un groupe placé correctement peut éliminer les personnels de cette même colonne de véhicules arrêtés par les tirs du canon de DCA. 

En fait, nos cadres nous disaient que plus durait un conflit, et plus les actions violentes seraient retenues. L’exemple qu’il nous avait été donné pour l’expliquer était celui du premier bombardement de l’Allemagne par L’Angleterre en réponse aux premières bombes larguées sur Londres par la Luftwaffe. Cela avait donné lieu à de vifs échanges en 1940, lors de cette décision par la chambre des lords anglaise.

En 1944, le « bomber command » n’avait plus d’état d’âme à réduire en cendres Dresden avec des bombes au phosphore qui avaient brulé vifs les civils dans les caves et abris antiaériens… 

Aussi, et pour ne pas « perdre » de temps, il nous était dit qu’en islam et s’agissant du djihad, il fallait systématiquement retenir l’option la plus violente dès le début. Les deux raisons principales avancées pour cela étaient les suivantes :

 

  • Cela s’inscrivait dans la mise en pratique d’un hadith dans lequel il était fait dire à Mohammed qu’il ne levait pas une armée sans que cela ne jette l’effroi dans les rangs ennemis à une distance d’un mois de marche. La terreur était donc bien à obtenir, et pour cela, rien n’est plus efficace que d’être d’emblée dans l’ultra violence.
  • Se placer dans l’ultra violence d’emblée peut permettre de laisser l’adversaire dans un temps de sidération qui peut être mis à profit pour gagner des positions rapidement.

 

C’est un peu comme si la stratégie et la tactique entrait en symbiose de sorte que l’aspect tactique de la terreur devenait un incontournable stratégique, et inversement.

Il arrive même que la terreur suffise comme stratégie et tactique. 

Nous avons par exemple la prise de Mossoul par Daesh, sans quasiment un seul coup de feu. Il aura suffi qu’à l’heure d’un appel à la prière des membres de Daesh prennent le contrôle des micros de plusieurs mosquées de la ville et remplacent le adhan par des menaces et promesses des pires traitements aux unités de l’armée irakienne pour que ces dernières quittent les lieux en les abandonnant en moins de deux heures…

C’est la raison pour laquelle tous les groupes djihadistes ont intégré que la terreur n’est pas une option mais bel et bien LA façon de procéder.