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Monde

Que s’est-il passé à Djeddah ?

Le Dialogue

Les conclusions du sommet  de la Ligue arabe, tenu, le 19  mai  2023, à Djeddah, ont provoqué une profusion de commentaires. Les uns dithyrambiques  y trouvent un tournant décisif, une étape charnière des relations interarabes ou arabo-internationales et une conférence  exceptionnelle du  rayonnement restauré. Les protagonistes de ce camp  mettent l’accent  sur l’esprit réaliste et logique qui  a prévalu sur le sommet  et a cherché  à mettre au  jour les compromis probables en  connaissance de cause des  différends ancrés entre les pays arabes.  Ils confirment qu’ils auront-  à moyen  et long  terme- un impact positif sur nombre de dossiers chauds régionaux.  Bref, le sommet de Djeddah  est  un  pas important sur la voie de  l’espoir. Il  n’a pas seulement colmaté les fissures qui  traversent la maison  arabe mais a également  adressé  des messages positifs aux pays de la région et du monde  et a opté pour les  positions et les actes et  non les communiqués  et les slogans. Les pionniers du second camp sont pour des interprétations précautionneuses et circonspectes. Tout  en adoptant des propos élogieux  qui confirment le succès de la conférence, ils attirent  l’attention à un  certain nombre de questions difficiles et des hiatus qui  exigent une explication. La plus importante est  celle de la réintégration  de la Syrie à la Ligue  arabe   et la démarche qui  s’ensuivra : les pays arabes pourront-ils s’engager dans des relations de coopération économique  et de reconstruction  sans  tomber sous l’emprise des menaces et sanctions américaines ? 

La  position  de Washington était  Claire  dès le départ : le 7  mai 2023,  date de la décision de la Ligue arabe d’y réintégrer  la Syrie, un  communiqué du  département d’Etat  américain  a précisé que la Syrie ne mérite pas ce retour  comme le président de la commission des relations étrangères du Sénat et membre du  parti démocrate  ainsi  que le doyen de  cette même commission ont dénoncé dans  un  communiqué commun  la décision des pays arabes et l’ont qualifiée  d’une tendance  préoccupante de la part  des alliés des Etats  Unis. Des informations laissent entendre que des sénateurs des deux partis ont présenté  un projet de loi  interdisant aux Etats Unis de reconnaître le régime syrien ou d’y imposer davantage de sanctions. Le  Conseil  des députés a connu  de pareils remous  lorsque le président de la commission  des affaires étrangères  a publié  un  communiqué de la même teneur. De  telles positions  ne sont qu’une mise en  garde adressée  aux pays arabes afin qu’ils ne reprennent  aucunement leurs relations économiques avec la Syrie  avant que sa crise politique ne soit  réglée. 

Une autre question soulevée  porte sur  l’engagement du  gouvernement syrien  à respecter  les compromis et les engagements  auxquels  a abouti la réunion,  tenue le premier mai, à  Amman, entre les ministres des affaires étrangères  de  l'Arabie Saoudite,  de  l’Egypte, de  l’Irak,  de la Jordanie d’une part et leur  homologue  syrien d’autre part ; elle a stipulé que les ministres  sont  convenus d’entretiens  qui  auront lieu selon un  calendrier bien  précis et qui établiront une complémentarité avec  l’ensemble des efforts onusiens et autres afférents  au  sujet de la conjecture humanitaire,  sécuritaire et politique en  Syrie.

Cet  accord  a constitué la première pierre de la décision  8914 du  Conseil de la Ligue  arabe portant sur le retour de la Syrie et qui  dispose de « la nécessité  de prendre des mesures  pratiques et  efficaces en vue d’aboutir  -  graduellement-  à la résolution  de la crise en procédant étape par étape  et en  recoupant ainsi  la résolution 2254  du  Conseil de  sécurité  des Nations Unies.  

A la question  qui  lui a été posée au cours de la conférence de  presse tenue à l’issue du  sommet sur le règlement politique en Syrie et s’il devait précéder les démarches économiques, le ministre saoudien  des affaires étrangères a martelé  ses mots en  disant :  « pas d’anticipation,  tout  se déroulera étape par  étape. »

Pourtant ce sens n’a pas été charrié  par l’allocution du  président Al-Assad  prononcée devant la conférence. Il  a mis l’accent sur une autre idée  en précisant que « ce qui  importe est de laisser aux peuples le règlement des questions internes ; ces questions sont de leur ressort. Il nous incombe  uniquement de repousser les ingérences étrangères et de prêter  assistance à ces peuples à leur demande. A  cet effet,  les médias syriens ont confirmé le même sens  en considérant cette position arabe  comme  une victoire de la diplomatie et de la résilience syriennes  et que les Arabes sont retournés à la Syrie qui  est le cœur battant de l’arabité.

Néanmoins, la situation  cultive  des paradoxes frappants. Citons à  titre d’exemple l’attitude du  président syrien Al-Assad  qui  a été le seul  président à ne pas porter  l’insigne de la conférence à l’œillère de sa veste  comme le montre la photo  de famille des chefs de délégations. Il  n’a pas mis non plus – ni les membres de sa délégation - les écouteurs de l’interprétation  lorsque le président ukrainien prononçait son  allocution.  Du reste,  l’agence de presse  syrienne a annoncé  que le président Al- Assad  a serré la main au  gouverneur du Qatar  Cheick  Tamim et ont échangé  quelques propos à part : une nouvelle qui  n’a fait  l’objet ni  de confirmation  ni d’infirmation  de la part  du  côté qatari,  comme les autres agences de  presse n’ont pas essayé de recouper la nouvelle.

 Cette absurdité n’est pas la seule. l’Émir du Qatar, son Altesse Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, a quitté  subitement la ville de Djeddah, au Royaume d'Arabie Saoudite et avant de prononcer son  allocution. Il  a participé  à la photo de famille des chefs de délégations qui  a été prise avant la tenue de la séance inaugurale pour quitter prématurément  à peine quelques instants après  son début les assises de la conférence.  Le palais princier du  Qatar   a annoncé la nouvelle et que Cheick Tamim  a  envoyé deux télégrammes  au roi Salman pour le remercier de l’accueil et de l’hospitalité qui  lui ont été réservés sans évoquer les raisons de son retrait de la conférence.  Selon certaines sources,  il  a probablement quitté  avant la prononciation  par le  président Al- Assad  de son allocution  pour confirmer la position  de son  pays qui  voit que  la suspension de l’adhésion de la Syrie est toujours justifiée. Il est à  noter que ce n’est pas la première  fois que Cheick  Tamim  quitte la séance d’ouverture  du sommet  avant qu’il ne prononce son  allocution. La première fois remonte à  2019. Les observateurs ont noté  également les raisons d’absence à la conférence de  certains dirigeants : pour le souverain  saoudien  et l’émir du Koweït sont invoquées les conditions de santé ;  le chef du Conseil  de la suprématie soudanaise, la guerre. Quant à l’absence des chefs du  Maroc, de l’Algérie,  des EAU  et du Sultanat d’Oman , elle était loin d’être justifiée pour faire l’objet de débat et de pronostics  sur les réseaux sociaux.

Malgré  tout , le sommet arabe de Djeddah demeurera un indice positif de l’état des Arabes et une source  de leur espoir.