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L’offensive de Champagne, automne 1915 : un grignotage inutile ?

Illustration (c)BNF/Gallica
Illustration (c)BNF/Gallica

Au printemps 1915, alors que les armées allemandes et austro-hongroises percent le front russe en Galicie, Joffre décide de lancer une série d’offensives pour soulager l’allié russe en retenant les réserves allemandes à l’Ouest. Après l’échec en juin de l’offensive principale en Artois, il planifie une opération d’envergure à l’automne en Champagne.

 

Une logistique unique mais insuffisante

Le secteur choisi par Joffre est celui de la Champagne, à l’est de Reims, entre Auberive-sur-Suippe et Ville-sur-Tourbe. Le front d’attaque fait 25 kilomètres afin d’empêcher l’intervention efficace des réserves locales allemandes. Une attaque secondaire est prévue en Artois pour, là encore, retenir les réserves stratégiques allemandes loin du front principal. La planification est confiée au général de Castelnau qui commande le Groupe d’Armées Centre (G.A.C.). Il peut compter sur la 4ème armée (Langle de Cary) et la 2e armée (Pétain) pour mener l’opération. Au total ce sont donc 27 divisions qui sont concentrées pour obtenir enfin la rupture du front. Chaque armée comporte un corps de cavalerie qui devra exploiter la moindre brèche dans le front allemand. Enfin, la concentration d’artillerie atteint 1 100 pièces pour écraser les défenses et réduire l’artillerie allemande au silence.

 

Afin de réussir une telle concentration de moyens, Castelnau fait aménager le terrain en conséquence. Pendant tout l’été on creuse des boyaux d’accès aux premières (9 à 12 par corps d’armée), on double la voie ferrée Châlons/Sainte Menehould. On installe des voies secondaires de 60 cm par corps d’armée. L’infanterie est installée dans de vastes places d’armes à bonne distance de la première ligne. Côté allemand, les défenses sont réparties sur trois lignes dont la première ligne fait face au dispositif français. Elle est jugée « très forte » par l’état-major français mais elle sera écrasée par les tirs d’artillerie. Le principal souci vient des deuxièmes et troisièmes lignes qui sont à contre-pente et que seule l’aviation peut reconnaître. Elles sont chacune protégées par un réseau de barbelés très dense et de nombreuses mitrailleuses et canons légers à tir rapide.

L’offensive d’abord prévue le 8 septembre puis elle est reportée au 15 puis enfin au 25 le temps pour les unités d’achever leur concentration. Mais le temps presse car à l’est, Varsovie est tombée depuis le 5 août et la pression sur les Russes est terrible.

 

Un bombardement terrible

Le 22 septembre 1915, l’enfer s’abat sur les positions allemandes. Les 1 100 pièces d’artillerie lourdes et 1 450 de campagne, qui jouissent d’une dotation importante de munitions grâce à la mobilisation industrielle du pays, sèment la mort et la destruction sur les lignes allemandes. Les pièces de 75 et l’artillerie de tranchées « traitent » la première ligne. A partir du 24, l’artillerie lourde tente de détruire les deux autres lignes de défense, de réduire l’artillerie allemande au silence et de gêner la montée en ligne des réserves et de la logistique. C’est près d’un million d’obus qui sont tirés pour anéantir les lignes allemandes.

 

Malheureusement pour les Français, dans la nuit la météo, jusqu’alors clémente, tourne à la pluie. Il n’y aura que de courtes éclaircies jusqu’au 29. Cela va fortement gêner l’observation des destructions, le repérage aérien et bien sûr le réglage des tirs d’artillerie. Certains ont évoqué un report de l’offensive mais l’approvisionnement de l’artillerie bien qu’exceptionnel ne le permettrait pas. Bien sûr, une telle préparation d’artillerie, s’ajoutant à la concentration d’autant d’unités françaises depuis un mois, confirme au commandement allemand l’imminence d’une offensive importante. La IIIème armée commandée par von Einem avait donc été renforcée par plusieurs batteries d’artillerie. Par ailleurs, la 5ème division d’infanterie a été détournée du front serbe pour être placée en réserve opérationnelle à Attigny.

 

Le 25 à 9h15, dans un esprit offensif enthousiaste, 19 divisions françaises s’élancent à l’assaut, clairons en tête, drapeaux aux vents. Les poilus sont coiffés du nouveau casque Adrian. Les soldats sont galvanisés par l’ampleur des moyens déployés et sont sûrs de la victoire. Dans le secteur de la 2ème armée, l’avance la plus spectaculaire est réalisée par le 14e corps où l’infanterie franchit facilement les 150m qui la séparent des Allemands. A 10h, la 27e DI a submergé l’ensemble des tranchées de première ligne et atteint la seconde ligne à la hauteur de l’Arbre 193 et de la Tranchée de la Vistule. A la fin de la journée le 14ème corps a progressé de 4 kilomètres mais butte sur la seconde ligne de résistance allemande toujours intacte.

 

A la 4ème armée, c’est au nord de Souain que le 2e corps colonial, à la jonction avec la 2ème armée, parvient à avancer de 3 kilomètres et capture la Ferme de Navarin. Une fois les réserves de ce corps engagées, Langle de Cary fait avancer son 6ème corps pour tenter d’accroître les gains de terrain chèrement acquis par les coloniaux. A la nuit tombée deux divisions du 6ème corps sont en ligne. Malgré les efforts des autres unités sur le reste du front, ce sont les seuls gains substantiels obtenus au soir de cette première journée. La progression sur les flancs est très limitée.

 

Pourtant les poilus sont enthousiastes en traversant la première ligne allemande et en voyant défiler des colonnes de milliers prisonniers vers l’arrière. Derrière le 2ème corps colonial on voit s’avancer les avant-gardes du 2ème corps de cavalerie. La percée annoncée est-elle donc au rendez-vous ? Malheureusement non. Même si les Allemands ont toutes les peines du monde à faire monter en ligne la 5ème division et que Falkenhayn, le généralissime, parle de « crise grave », ils réussissent à occuper la deuxième ligne de défense encore intacte et à repousser les attaques françaises.

 

Le 26 septembre, les Français repartent à l’assaut sous la pluie qui interdit le réglage des tirs d’artillerie sur les contre-pentes. Les 75 tentent d’ouvrir des brèches dans les réseaux de barbelés de la seconde ligne, en vain. L’insertion des corps de réserves dans le dispositif offensif français se déroule de manière chaotique et des masses compactes se créent dans les boyaux d’accès. Ils constituent des cibles idéales pour l’artillerie allemande. Les pertes augmentent tandis que partout sur la ligne de front tous les assauts sur la seconde ligne allemande échouent. Les pertes sont terribles.

 

Les tentatives entreprises le lendemain subiront le même sort, d’autant que les Allemands reçoivent le renfort du Xe Corps de von Lüttwitz. Devant l’inefficacité de l’attaque Castelnau décide de suspendre l’offensive le 30 septembre. La reprise les 5 et 6 octobre n’aboutira qu’à la prise de la butte de Tahure. L’offensive de Champagne a fait long feu.

 

Bilan et perspectives

L’objectif premier fixé par Joffre n’est pas atteint. La percée tant espérée n’a pas eu lieu, en Champagne, mais aussi au cours de l’offensive secondaire d’Artois. C’est donc un échec stratégique. Les Alliés n’ont pas réussi à égaler la prestation des Allemands contre les Russes. Malgré l’allant des troupes et leur foi en la victoire, le bilan humain est très lourd. On compte plus de 70 000 morts et disparus, 7 prisonniers et 100 000 blessés, pour un gain de terrain de 4 km. Seule consolation, les Français ont capturé 25 000 hommes et 150 pièces d’artillerie.

 

Les généraux Pétain et Langle de Cary n’hésiteront pas à formuler des critiques constructives sur les raisons de cet échec sanglant. Philippe Pétain, encore colonel un an auparavant et véritable étoile montante de l’armée française, fera les observations les plus pertinentes pour améliorer les prochaines offensives. Il préconise une mise à disposition organique d’artillerie lourde au niveau de la division, du corps d’armée et de l’armée, une diminution de la longueur des boyaux d’accès et d’évacuation, une reconnaissance plus approfondie du dispositif ennemi par les officiers généraux, et l’emploi des gaz. Il critique la densité excessive des troupes d’assaut des deux premières vagues. Il insiste sur la nécessité d’opérer par vagues successives sur les différentes lignes de défense allemandes ou coupures de terrain en faisant des pauses entre chaque assaut pour réorganiser les unités. Il relève également les problèmes de communication entre les différents échelons, les lignes téléphoniques étant trop souvent coupées par le seul passage des unités de réserve bien plus que par l’artillerie allemande. Enfin, il regrette que la météo exécrable ait empêché l’aviation de jouer son rôle d’observatrice derrière les lignes ennemies et ainsi laissé toute liberté à l’artillerie allemande dans ses déplacements. Toutes ces observations pertinentes deviendront la fin 1916, une doctrine : le système Pétain.

 

En plus des critiques formulées par les deux généraux français en charge de l’exécution de l’offensive, il apparaît également que le potentiel industriel bien que mobilisé pour la première fois à une échelle jusqu’alors inconnue n’est pas encore suffisant pour « nourrir » la bataille dans la durée. Lorsque dans la nuit du 24 au 25 septembre la pluie fait son apparition on ne peut pas reporter l’offensive parce que la dotation d’obus pour entretenir les feux de destructions ne le permet pas. Enfin, cette offensive, conjuguée à celles du printemps, n’aura réussi à gêner les Allemands dans leurs entreprises contre les Russes et les Serbes qu’au cours de sa préparation plus que de leurs exécutions. Nous l’avons vu seule une division d’infanterie sera détournée de sa destination vers la Champagne. 

 

Heureusement pour l’armée française, les leçons chèrement apprises de cette année 1915 lui permettront de vaincre sur la Somme à partir du 1er juillet 1916 à moindre coût humain. Les Britanniques n’auront pas cette chance.