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Editos

La France et la guerre en Ukraine : « Que le poids de l’évidence et de la raison » s’impose enfin, avant qu’il ne soit trop tard

Le Dialogue

Photomontage Le Dialogue, photo: Laurent Blevennec / Présidence de la République

Après deux ans et l’entrée des troupes russes en Ukraine, l’échec de la stratégie occidentale de soutien à Kiev contre Moscou est patent. Et alors que le doute commence à s’installer pourtant à Washington, les responsables européens semblent, eux, persévérer dans l’erreur géostratégique, en écartant toujours une solution diplomatique au conflit et en choisissant encore le sentier de la guerre. Tout ceci, malgré les centaines de milliers de morts ukrainiens déjà comptabilisés et surtout, au mépris de l’avis et des seuls intérêts économiques et sécuritaires des populations européennes. Cette tragique fuite en avant confirme le désastre et suicide géopolitique de l’Europe déjà en cours et annonce un désastre humain encore plus lourd pour les mois à venir…

Les déclarations d’Emmanuel Macron (sans avoir consulté le Parlement !), le lundi 26 février lors de la conférence sur l’Ukraine, illustrent dramatiquement cette fâcheuse tendance et ont surtout franchi une nouvelle étape inquiétante dans l’escalade. Elles sont belliqueuses, inconséquentes, irresponsables et terriblement dangereuses. A tel point que, jugeant qu’il allait bien trop loin, même ses alliés européens ainsi que l’OTAN ont très rapidement contredit le président français et se sont désolidarisés du locataire de l’Elysée.

 

C’est pourquoi, à l’initiative de Julien Aubert et Roland Lombardi, Le Dialogue a décidé de publier une tribune collective, co-signée par des personnalités et de nombreux spécialistes de la question, afin que « le poids de l’évidence et de la raison » s’impose enfin dans la politique de la France à propos de ce conflit.

 

 

 

Curieuse phrase doublement négative que celle prononcée par Emmanuel Macron lors de la conférence sur l’Ukraine lundi 26 février : « Je n’ai absolument pas dit que la France n'était pas favorable à l’envoi de troupes ». Le président français ne voulait pas pour autant dire que la France y était favorable, mais s’est approché dangereusement de cette option en avançant : « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée, des troupes au sol. Mais rien ne doit être exclu, nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner ». 

 

Il faut dire que l’Élysée avait convié une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement européens et une demi-douzaine de représentants ministres, dont un sous-secrétaire d’État américain, pour réaffirmer la solidité du soutien (militaire et financier) à l’Ukraine, et que la conférence de presse visait à montrer à Poutine la résolution des occidentaux. 

 

Néanmoins, en adoptant une position aussi avancée, qu’il a qualifiée « d’ambiguïté stratégique », Emmanuel Macron a mis le doigt de pied dans un redoutable piège politico-juridique. 

 

Au plan légal, les pays occidentaux n’ont pas le droit de faire la guerre comme ils l’entendent. Quand bien même l’invasion de l’Ukraine est une violation patente de la Charte des Nations Unies, la France ne peut pas invoquer la légitime défense pour entrer sur le sol ukrainien au sens de l’article 51 de la Charte. Aucun traité d’alliance ne nous lie à ce pays, ce qui exclut une conception extensive de cette faculté (légitime défense collective). 

 

Par conséquent, quand bien même un « consensus » aurait émergé lundi 26 février à Paris sur le fait d’envoyer des troupes au sol, la seule manière de respecter la légalité serait de faire avaliser par le Conseil de sécurité des Nations-Unies une telle intervention au nom de la sécurité collective (chapitre VII). 

 

Or, nul n’imagine la Russie ne pas mettre un véto à cette option. 

 

Lorsqu’Emmanuel Macron n’exclut pas la possibilité d’envoyer des troupes au sol, il enterre donc consciemment ou inconsciemment l’ONU, en affirmant que plusieurs pays membres permanents du Conseil de Sécurité pourraient partir en guerre contre un autre membre permanent. 

 

Comment ne pas voir la terrible ironie de la chose ? Le matin même du jour où Emmanuel Macron s’aventurait en terrain glissant, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations-Unies déclarait, en ouverture de la 55e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, « que le Conseil de sécurité était trop souvent paralysé et incapable d’agir sur les questions de paix et de sécurité les plus importantes de notre époque ». Il a expliqué que l’inaction du Conseil sur l’Ukraine et Gaza avait peut-être mortellement sapé son autorité et que le Conseil avait besoin d’une réforme en profondeur de sa composition et de ses méthodes de travail. 

 

La sortie d’Emmanuel Macron, si elle était sans doute empreinte de lucidité au plan juridique, est une grave erreur géopolitique : la France tient justement un rôle majeur dans le système international du fait de son siège permanent. Miner un peu plus le Conseil de sécurité, c’est donc scier la branche diplomatique sur laquelle nous sommes assis. 

 

Cette erreur se double surtout d’une faute militaire. Le droit international a ses limites, mais le droit de veto est en réalité un fusible qui permet d’éviter l’escalade entre grandes puissances. Serions-nous vraiment plus sécurisés si demain, en passant par pertes et profits le droit, la France, puissance nucléaire, rentrait au contact de la Russie, autre puissance nucléaire ? 

 

Les ambiguïtés stratégiques (sur l’envoi de troupes au sol) d’Emmanuel Macron n’auront aucun effet dissuasif, car seule l’arme nucléaire en a un. A condition de ne pas se retrouver face au dilemme de son utilisation !

 

Les signataires de la tribune :

 

  • Julien Aubert, ancien député, président d’Oser la France
  • Roland Lombardi, historien, géopolitologue, rédacteur en chef du Dialogue
  • Georges Kuzmanovic, président de République souveraine
  • Valérie Boyer, sénatrice des Bouches-du-Rhône
  • Éric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
  • Yves Bonnet, ancien directeur de la DST et ancien préfet
  • Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE
  • Laurent Henninger, historien
  • Régis Le Sommier, grand reporter, ancien directeur adjoint de Paris Match, directeur de la rédaction d’Omerta
  • David Saforcada, président de l’Appel au Peuple
  • Ana Pouvreau, géopolitologue et écrivaine, docteure en Études slaves
  • Caroline Galactéros, Docteure en Sciences politiques, géopolitologue, présidente de GeoPragma
  • Olivier d’Auzon, consultant juriste auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale
  • Alexandre Del Valle, géopolitologue
  • Jean-Paul Louis Ney, grand reporter, spécialiste des questions de défense
  • Alexis Troude, géopolitologue, universitaire et président du Collectif France-Serbie
  • Annick Asso, agrégée, docteure ès Lettres, universitaire
  • Sylvain Ferreira, historien et journaliste
  • Philippe de Veulle, avocat international
  • Jean Michel Nogueroles, avocat international et économiste, président du think tank Nova Roma
  • Jacques Hogard, colonel (er), géopolitologue
  • David Nataf, juriste spécialisé en cybersécurité
  • Youssef Chiheb, universitaire, spécialiste de la géopolitique du monde arabe et de l’islamisme radical 
  • François Martin, consultant international sur les pays émergents et spécialiste des questions stratégiques
  • Hervé Carresse, expert en communication de crise, breveté de l’École de Guerre et ancien colonel de l'armée française
  • Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique d’Airbus Group et PDG de WARPA
  • Hélène Richard-Favre, écrivain
  • Nikola Mirkovic, président de l’association Ouest-Est, analyste politique
  • Général (2s) Antoine Martinez, président d’association